Mai 2017 - mai 2018 : les relations difficiles d'Emmanuel Macron avec la presse
Emmanuel Macron entretient des rapports parfois tendus avec les médias depuis son élection. En témoigne la loi sur les «fake news», le déplacement de la salle de presse de l'Elysée, la loi «secret des affaires» ou encore la réécriture d'interviews.
Depuis les débuts de son quinquennat, il y a un an, Emmanuel Macron entretient des relations souvent tumultueuses avec la presse. Le chef de l'Etat, qui avait promis d’accorder peu d’interviews dans les médias, au contraire de son prédécesseur, a par exemple modifié les habitudes d’accès des journalistes aux déplacements du gouvernement, exigeant des reporters spécialisés.
Comme symbole de ce nouveau paradigme macronien, la salle de presse de l'Elysée a été déplacée à l'extérieur du siège du pouvoir présidentiel, alors que de nombreux ministères imposent désormais des relectures et réécritures d'interviews aux médias, sous peine d'être rejetées. Deux textes législatifs voulus par le président de la République viennent en outre appuyer cet encadrement de la profession de journaliste sous le quinquennat Macron : la loi sur les «fausses nouvelles» et celle qui concerne le secret des affaires.
«Pas de volonté politique d'écarter la presse» ? #Macron déménage la salle de presse hors de l'Elysée
— RT France (@RTenfrancais) 15 février 2018
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La loi sur les «fausses nouvelles»
En 2017, la France s'est classée au 39e rang mondial de la liberté de presse selon Reporter sans frontières qui s'inquiète de l’annonce du projet de loi pour lutter contre les «fausses nouvelles». Emmanuel Macron avait annoncé le 3 janvier à l'occasion de ses vœux à la presse ce projet de loi visant à «protéger la vie démocratique». Evoquant «la vérité», ou encore «la liberté d'expression», le président de la République a expliqué que l'Etat souhaitait désormais surveiller la façon dont les informations sont produites et diffusées.
Suppression rapide des informations jugées erronées durant les périodes électorales, coopération des plateformes avec l’Etat et transparence exigée : tels sont les mots d'ordre de ce projet de loi. Le CSA pourrait par exemple suspendre une chaîne «si elle propage massivement une "fausse nouvelle" qui risque de déstabiliser un scrutin national» et refuser une convention à une société contrôlée par un Etat étranger, ou «sous l’influence de cet Etat», si la chaîne «est susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou de participer à une entreprise de déstabilisation de ses institutions, notamment par la diffusion de fausses nouvelles».
Le Syndicat national des journalistes a exprimé son inquiétude. «Comment un juge va-t-il décider en 48 heures ce qui est une fausse nouvelle, quand il faut parfois des semaines ou des mois à un journaliste pour l'établir ?», s'interrogeait-il notamment en mars. Le texte, actuellement étudié par le Conseil d'Etat, devrait être présenté à l'Assemblée nationale le 11 juin prochain. Le gouvernement s'est fixé pour objectif de le rendre effectif avant les élections européennes de 2019.
Le déplacement de la salle de presse de l'Elysée
La présidence de la République a ordonné le 14 février le déménagement de la salle de presse hors du palais de l'Elysée dans une rue à proximité. Pour dénoncer cette décision, les agences presse et certains journalistes accrédités avaient alors décidé de traiter le compte-rendu du Conseil des ministres à distance, en le suivant sur internet, où il est diffusé chaque semaine. Sibeth Ndiaye, chargée des relations presse d'Emmanuel Macron, avait assuré aux journalistes que «la présidence avait décidé d'un déménagement de la salle de presse dans une annexe [...] afin d'augmenter sa taille [et pour] élargir le champ des accréditations permanentes».
En juin de l'année précédente, une vingtaine de sociétés de journalistes, telles que celles de l'AFP, BFMTV, Mediapart, Le Point, L'Obs, Libération et les journaux télévisés de M6 cosignaient une tribune, accusant Emmanuel Macron de choisir les journalistes qui l'accompagnaient, de bloquer l’accès à l’information et de menacer le principe de protection des sources. La carte de presse, quant à elle, ne suffit plus pour couvrir l'actualité gouvernementale au plus près, comme l'ont constaté à leurs dépens les journalistes de RT France.
La loi controversée sur le secret des affaires
Le Sénat a adopté le 19 avril la proposition de loi pour protéger le «secret des affaires» malgré l'opposition de la gauche. Contre l'avis du gouvernement, les sénateurs ont élargi la définition du secret des affaires aux informations qui ont «une valeur économique».
Le texte initial voté à l'Assemblée nationale évoquait lui simplement les informations qui avaient une «valeur commerciale». Il transpose une directive adoptée par le Parlement européen en juin 2016. Sera ainsi désormais protégée toute information qui n’est pas «généralement connue ou aisément accessible à une personne agissant dans un secteur […] traitant habituellement de cette catégorie d’information» dont la valeur commerciale est due à son caractère secret, et qui a «fait l’objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables».
Une vingtaine de sociétés de journalistes, ainsi qu'une cinquantaine de lanceurs d'alerte et de syndicats, comme le Syndicat national des journalistes (SNJ) ou d'associations, ont exprimé leur opposition à l'adoption de cette proposition de loi. Dans une tribune publiée dans Les Echos le 21 mars, ils fustigent ce projet qui constituerait «une offensive sans précédent» au droit à l'information. «Cette directive a été élaborée par les lobbies des multinationales et des banques d'affaires qui souhaitaient un droit plus protecteur pour leurs secrets de fabrication et leurs projets stratégiques», écrivaient-ils, ajoutant que «des scandales comme celui du Mediator ou du bisphénol A, ou des affaires comme les "Panama Papers" ou "LuxLeaks" pourraient ne plus être portés à la connaissance des citoyens».
La réécriture récurrente des interviews
La relecture, courante dans le domaine de la presse, peut être sollicitée par l'interviewé pour vérifier la restitution exacte de faits et de formulations. Mais peut-elle donner lieu à une métamorphose du texte pour satisfaire à des impératifs de communication ? C'est en tout cas la conception que semble imposer l'Elysée et le gouvernement. Le journal Les Echos a ainsi en effet choisi en mars de ne pas publier une interview d'Elisabeth Borne, la ministre chargée des Transports, trop corrigée par les services du Premier ministre au goût de la rédaction. En avril, Franck Annese, patron du magazine Society, a lui confié avoir refusé la réécriture d'une interview d'Emmanuel Macron selon des consignes du service presse de l'Elysée. Son média sera en conséquence privé d'entretien avec le président de la République durant toute la durée du quinquennat.
En janvier déjà, c'était le rédacteur en chef du quotidien La Voix du Nord, qui, confronté à des exigences de réécriture importantes d’un entretien avec le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, avait même décidé de refuser catégoriquement, de manière générale, la relecture des articles. La Voix du Nord a annoncé s'en tenir désormais à la restitution fidèle des interviews enregistrées des responsables politiques qui accepteront cette décision.