Le magazine Society privé d'interview avec Macron pour avoir refusé de réécrire un entretien
Franck Annese, patron du groupe So Press, a confié avoir refusé la réécriture d'une interview d'Emmanuel Macron selon des consignes du service presse de l'Elysée. Il sera en conséquence privé d'entretien avec lui durant le quinquennat.
Le service de presse de l'Elysée confond-il communication et journalisme ? Frank Annese, créateur du groupe So Press, éditeur du magazine Society, a fait des révélations au magazine L'Opinion le 17 avril. Le patron de presse explique qu'il a refusé de céder aux injonctions de réécriture de l'Elysée et qu'il en paie aujourd'hui le prix.
Si tu crois que l’interview de trois heures parues dans Le Point correspond aux trois heures d’entretien, tu te trompes
«Nous avons publié ce que nous voulions et son service de presse nous a fait savoir que nous n’aurions plus d’interview de Macron durant le quinquennat» @FranckAnnesehttps://t.co/QIhF9i0jnp
— l'Opinion (@lopinion_fr) 18 avril 2018
«Je me suis accroché avec le service de presse d’Emmanuel Macron qui voulait réécrire une interview donnée à Society sur l’Afrique. Naïvement j’ai pensé que ce n’était qu’une relecture mais ils m’ont répondu cette phrase folle : "Si tu crois que l’interview de trois heures parues dans Le Point correspond aux trois heures d’entretien, tu te trompes"», explique-t-il au magazine.
La relecture, courante dans le domaine de la presse, peut être sollicitée par l'interviewé pour vérifier la restitution de faits et de formulations. Mais peut-elle donner lieu à une métamorphose du texte pour satisfaire à des impératifs de communication ? C'est en tout cas la conception, pourtant peu déontologique, que semble avoir l'Elysée.
Frank Annese, lui, n'a pas voulu céder aux demandes du service de presse. «Au bout du compte, nous avons publié ce que nous voulions et son service de presse nous a fait savoir que nous n’aurions plus d’interview de Macron durant le quinquennat», annonce-t-il.
Les rédacteurs en chef en butte aux exigences de réécriture de l'Elysée
Deux autres médias avaient récemment refusé de se plier aux pressions des services de presse du gouvernement. Le journal Les Echos avait choisi en mars de ne pas publier une interview d'Elisabeth Borne, trop corrigée par les services du Premier ministre au goût de la rédaction.
En janvier, confronté à des exigences de réécriture importantes d’un entretien avec Gérard Collomb, le rédacteur en chef du quotidien La Voix du Nord, avait même décidé de refuser catégoriquement la relecture des articles et a annoncé se tenir désormais à la restitution fidèle d’interviews enregistrées des responsables politiques qui accepteront cette décision.
«Dernièrement, on nous a envoyé un texte totalement "caviardé", coupant des réponses qui avaient été faites et ajoutant des questions qui n’avaient pas été posées !», avait dénoncé Patrick Jankielewicz dans un édito. «Nous prenons nos distances avec les politiques : ils ne pourront plus relire et corriger leurs interviews avant publication, pratique qu’ils imposent à toute la presse écrite depuis des décennies», s'était-il rebiffé sur son compte Twitter.
Nous prenons nos distances avec les politiques : ils ne pourront plus relire et corriger leurs interviews avant publication, pratique qu’ils imposent à toute la presse écrite depuis des décennies. Ça va faire de la place dans nos colonnes 🙂. #lavoixdunord#Médiaspic.twitter.com/Ote8RfCkVr
— Patrick Jankielewicz (@PJankielewicz) 15 janvier 2018
Les relations acides du président avec la presse
Depuis les débuts de son quinquennat, les relations entre Emmanuel Macron et la presse ont souvent été tumultueuses. Le président a promis d’accorder peu d’interviews et modifié les habitudes d’accès des journalistes aux déplacements du gouvernement, exigeant des reporters spécialisés. La carte de presse, quant à elle, ne suffit pas pour couvrir l'actualité gouvernementale au plus près, comme l'ont constaté à leurs dépens les journalistes de RT France.
Un déni du droit des citoyens à être informés
Le déménagement de la salle de presse de l'Elysée hors de ce bâtiment, annoncé le 14 février, avait également fait grand bruit.
«La présidence a décidé d'un déménagement de la salle de presse afin d'augmenter sa taille», avait assuré Sibeth Ndiaye, la conseillère en communication d'Emmanuel Macron. Et d'ajouter, pour couper court aux protestations de la profession, qu'il ne fallait surtout pas y voir une «volonté politique d'écarter la presse». Le Syndicat national des journalistes s'est tout de même indigné dans un communiqué, d'un «bannissement» de la presse «qui risque de faire tache dans [le] quinquennat», évoquant même un «déni du droit des citoyens à être informés.»
En juin, une vingtaine de sociétés de journalistes, telles que celles de l'AFP, BFMTV, Mediapart, Le Point, L'Obs, Libération et les journaux télévisés de M6, avaient cosigné une tribune, l'accusant de choisir les journalistes qui l'accompagnent, de bloquer l’accès à l’information et de menacer le principe de protection des sources.
Ses rares entretiens sont en revanche soigneusement orchestrés, comme par exemple un entretien avec le journaliste Laurent Delahousse diffusé le 17 décembre sur France 2, jugé très déférent par certains de ses confrères comme Jean-Jacques Bourdin qui avait qualifié l’émission de «service après-vente».
Le président de la République est en même temps accusé, par certaines figures des insoumis, de vouloir noyauter les médias. Le 5 mars, Alexis Corbière affirmait ainsi qu’il y avait «volonté de reprise en main [de La Chaîne parlementaire] de la part de Monsieur Macron pour placer un de ses amis, qui s’appelle Bertrand Delais». Ce réalisateur, qui avait offert au président un documentaire policé sur les coulisses de l'élection, a finalement été élu le 14 mars à la tête de cette chaîne par un collège de l'Assemblée nationale.
Lire aussi : «Fainéants» : pourquoi Emmanuel Macron revient-il sur ses propos ?