Un an de macronisme : de la start-up nation à l'ultra-présidentialisme

Un an de macronisme : de la start-up nation à l'ultra-présidentialisme© Fabian Sommer Source: AFP
Effigie de Macron lors du carnaval de Mayence
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Depuis son élection le président fait montre d'une volonté inflexible de réformer le pays, quitte à s'affranchir du Parlement. Mais, pour les exclus de la start-up nation, ceux de la «France périphérique», cette tendance à l'autoritarisme passe mal.

Tout le monde – opposants comme partisans – en conviendra, Emmanuel Macron a renversé la table. En quelques mois, de sa déclaration de candidature en novembre 2016 à son élection le 7 mai 2017, l'ex-associé gérant de la banque d'affaires Rothschild, jamais passé par le suffrage universel jusque-là, a fait table rase du paysage politique français, mettant fin au ronron de l'alternance entre RPR-UMP-Les Républicains d'une part et, d'autre part, l'antique Parti socialiste issu du congrès d'Epinay de 1971.

Casse du siècle

Même BFMTV, régulièrement raillée pour sa complaisance envers le chef de l'Etat en convient. La chaîne évoque, avec un brin de culot mais tout en bienveillance, un «casse du siècle», à l'occasion d'un documentaire consacré au premier anniversaire de l'élection du candidat d'En Marche!

«Casse du siècle» ? L'expression recouvre donc l'idée d'un braquage, ou encore d'un passage en force. Aussi, en ce mois de mai 2018, après un an de macronisme, ceux qui se montrent critiques de l'action du président listent-ils ses nombreuses voies de fait : réforme du code du Travail par ordonnances, réforme de la SNCF, frappes en Syrie... Sur tous les grands dossiers où il considère qu'il y a urgence, le locataire de l'Elysée contourne systématiquement le Parlement, c'est-à-dire la représentation nationale. Et quand il croit son autorité menacée, Emmanuel Macron n'hésite pas à sévir, là où ses prédécesseurs cherchaient plutôt un compromis plus diplomatique : en juillet 2017, il limoge ainsi son chef d'état-major, Pierre de Villiers, pour un désaccord concernant les coupes budgétaires imposées à l'armée. «Je dis ce que je fais et je fais ce que je dis, ce n'est pas plus compliqué que cela», martèle alors le président. Et d'ajouter : «Si quelque chose oppose le chef d'état-major des armées au président de la République, le chef d'état-major des armées change.» Trois jours plus tard, le 19 juillet, Pierre de Villiers présentait sa démission.

A la rentrée 2017, Emmanuel Macron donne le coup d'envoi de la réforme du code du Travail. Après les combats contre la loi Travail de 2016, le gouvernement d'Emmanuel Macron enfonce les lignes des syndicats, visiblement à bout de souffle et peinant à mobiliser leurs troupes contre un candidat pour lequel ils ont appelé à voter quelques semaines plus tôt. Les prenant de vitesse, il signe en septembre 2017 devant les caméras de télévision les ordonnances permettant notamment d'assouplir les conditions de licenciement collectif pour les entreprises.

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Jupiter (et Bruxelles) au pouvoir

S'il s'est présenté aux Français en mettant en avant une démocratie collaborative où toutes les énergies étaient supposées fusionner dans la logique de la synergie, et où les propositions des «marcheurs» étaient les bienvenues, le tropisme d'Emmanuel Macron pour une pratique «jupitérienne» du pouvoir n'est pourtant pas une surprise.

Recommandé au secrétaire général de l'Elysée, Jean-Pierre Jouyet, par Jacques Attali, influent partisan de la mondialisation à tout crin, éminence grise de François Mitterrand et conseiller informel de plusieurs présidents, Emmanuel Macron met les pieds à l'Elysée pour la première fois en 2012. En 2014, devenu ministre de l'Economie sans jamais avoir été élu, il sort de l'ombre et annonce la couleur avec une première loi portant son nom.

Avec la loi Macron, d’inspiration bruxelloise, il lance en août 2015 la libéralisation du marché des autocars, grâce à laquelle les Français découvrent les fameux «bus Macron». La loi élargit également la possibilité pour les employeurs de faire travailler leur salariés le dimanche, toujours dans le sillage des recommandations de l'UE. Emmanuel Macron doit toutefois reporter une disposition notable contenue dans son projet initial : celle introduisant un secret des affaires.

Il ne recule toutefois qu'à charge de revanche : elle sera finalement votée trois ans plus tard, une fois le ministre devenu président. Un an après la vente à l'américain General Electric de la branche stratégique énergie d'Alstom, indispensable à l'indépendance nucléaire de la France en 2014, la loi Macron permettait aussi la vente d'actifs de l'Etat dans des sociétés comme Gaz de France, ou encore Orange, conformément aux attentes de l'Union européenne.

«Casse du siècle» ou «projet» ? Quoi qu'il en soit, avec constance et continuité, depuis Bercy, Emmanuel Macron testait donc déjà ce qui deviendrait par la suite son programme économique. En clair : une déréglementation de l'économie tous azimuts, avec pour boussole les grandes orientations de politique économique (GOPE) de la Commission européenne. Europe, post-libéralisme en matière économique, «progressisme social»... la doctrine de celui qui deviendrait le huitième président de la Ve République était déjà assez lisible. En 2016, le gouvernement auquel il appartient passe en force, avec l'article 49.3 de la Constitution, pour faire adopter la loi Travail, portée en façade par le ministre Myriam el-Khomri.

Cette pratique dessine déjà les contours de la gouvernance selon Emmanuel Macron. La série de passages en forces, habillés du maître mot martelé de la «concertation», de la première année de mandat du président auront confirmé cette hypothèse, celle d'une approche «jupitérienne» du pouvoir.

Cette conception, éminemment conflictuelle, constitue bel et bien une rupture avec la pratique traditionnelle des institutions des devanciers d'Emmanuel Macron. Si ceux-ci avaient évidemment su imposer leur autorité, sans jamais délaisser les ordonnances ou le 49.3 par exemple, jamais ils n'avaient été jusqu'à théoriser cette approche très «top-bottom». Elle semble imprégner jusqu'aux proches du président eux-mêmes. Dernier exemple éloquent en date : en dépit des usages républicains, Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre de l'Intérieur, s'est indignée le 19 avril dernier des questions de l'opposition sur le projet de loi asile et immigration. «Qu'est-ce que c'est que d'obliger un ministre à répondre ?», a-t-elle lancé au chef de file des Républicains, Christian Jacob, se posant en victime. Et d'ajouter, inversant les rôles : «Ce sont des méthodes autoritaires qui ne sont pas acceptables dans une démocratie.»

Macron, les start-up, et «ceux qui ne sont rien»

Dans les rangs même de LREM, la discipline de fer exigée passe parfois mal, malgré la bonne volonté et l'inexpérience de nombre de députés élus à la faveur du raz-de-marée des législative de juin 2017.

Mais c'est aussi le peuple lui-même qu'Emmanuel Macron affronte parfois directement. Face à la contestation, il n'hésite pas à relever le gant. Déjà, en mai 2016 face à des militants de Nuit Debout le prenant à partie, alors qu'il était encore ministre de l'Economie, il avait lancé : «La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler.» Entre autres épisodes, en octobre 2017, Emmanuel Macron s'en prenait aux grévistes de l'équipementier GM&S, entreprise du département de la Creuse en faillite, emblématique de la désindustrialisation française et de la détresse de territoire ruraux face à la disparition d'employeurs majeurs. «Il y en a certains, au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux d’aller regarder s’ils peuvent avoir des postes», avait lancé le président. Ces propos n'étaient pas destinés à être publics, mais avaient été filmés par une équipe de BFMTV présente sur place.

Le 29 juin 2017, quelques semaines seulement après son élection, Emmanuel Macron commettait le premier impair majeur de son mandat en matière de communication. «Une gare, c'est un lieu où l'on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien», avait-il déclaré dans le but peut-être de faire preuve de compassion. Mais la petite phrase eut un effet contraire, faisant écho aux malheureux «sans dents» de François Hollande. Et ce d'autant qu'Emmanuel Macron inaugurait ce jour-là un incubateur de start-ups, la Station F, hébergée dans une ancienne et majestueuse halle du XIXe siècle, près de la gare d'Austerlitz, à Paris, en compagnie du fondateur de Free et actionnaire du Monde, Xavier Niel, et de la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo.

Le président agit volontiers seul et vite, quitte à s'affranchir des conventions. Proche de l'esprit start-up, cette manière de gouverner ne constitue donc pas un reniement de ses promesses de campagne, à l'exception près que l'esprit participatif s'est perdu en chemin. A l'image de LREM, qui se voulait une plateforme horizontale mais s'est révélé être une structure verticale et, selon nombre de témoignages de militants, creuse, le quinquennat d'Emmanuel Macron se déroule par bien des aspects en marche forcée. Déçus, de nombreux Français découvrent ainsi qu'un ancien lycéen d'Henri IV, passé par l'Ecole nationale d'administration et l'Inspection des finances avant d'intégrer les hautes sphères de la banque mondiale, n'a finalement que peu d'intérêts communs avec la «France périphérique», selon l'expression du géographe Christophe Guilluy. Or pour l'instant, les anciens garde-fous, de l'opposition parlementaire aux syndicats en passant par les débats internes au parti présidentiel, ne semblent plus à même de remplir leur fonction. Sans doute est-ce là le véritable «casse du siècle».

Alexandre Keller

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