Schiappa et Blanquer : un duo rôdé pour séduire les «réacs» et en même temps les «bobos» ?

Schiappa et Blanquer : un duo rôdé pour séduire les «réacs» et en même temps les «bobos» ?© Pascal Pochard Source: AFP
Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer
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Sur Internet, dans la presse et auprès de l'opinion, Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer séduisent simultanément deux électorats que rien ne semblait pourtant pouvoir réconcilier. Un exemple de l'efficacité de la stratégie d'Emmanuel Macron ?

La première est une militante féministe issue des rangs de la gauche, le second un haut fonctionnaire proche de la droite. A priori, rien ne disposait Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer à se retrouver un jour dans le même gouvernement. La secrétaire d'État à l'Égalité femmes-hommes et le ministre de l'Education nationale semblent être devenus des figures emblématiques d'un mouvement désireux de transcender le clivage gauche-droite.

Jean-Michel Blanquer et Marlène Schiappa étaient inconnus du grand public il y a quelques mois encore : en les choisissant pour occuper leurs postes respectifs, nul doute qu'Emmanuel Macron voulait conforter l'image d'une vie politique renouvelée. Le nom de Jean-Michel Blanquer n'était en effet familier que dans les hautes sphères du milieu académique et du ministère de l'Education. Celui de Marène Schiappa ne l'était quasi exclusivement que des milieux féministes. En quelques mois, l'un et l'autre sont devenus les avatars d'un début de quinquennat d'Emmanuel Macron marqué par le dépassement de l'opposition entre droite et gauche. Chacun s'adresse en effet à un public bien particulier – deux cibles jusqu'ici peu perméables aux charmes de La République en marche (LREM) et a priori irréconciliables, mais qui se laissent de plus en plus tenter par des discours taillés sur mesure.

Jean-Michel Blanquer : un atout pour séduire les «réacs» ?

Le choix de Jean-Michel Blanquer n'est pas anodin, tant au regard de son parcours que de son positionnement politique dans un milieu aussi marqué par les clivages idéologiques que l'Education nationale. Cet ancien camarade de classe de François Baroin au prestigieux lycée privé parisien Stanislas est passé par le cabinet Robien (Les Républicains, LR) en 2006, avant de se voir offrir un poste clef du ministère de l'Education nationale sous Luc Chatel (LR) en 2009. Nommé président de l'ESSEC en 2013, il avait échoué à obtenir la direction de SciencesPo l'année précédente, des rumeurs faisant état de pressions exercées pour empêcher sa nomination.

C'est que Jean-Michel Blanquer n'a pas que des amis. Il est d'ailleurs habitué des polémiques. Sa carrière, parfois cahoteuse, en est d'ailleurs parsemée, témoignant de la réputation de «réac» que lui prêtent ses confrères et qui l'aurait souvent desservi, d'après le Canard Enchaîné. Dernière en date : en mai dernier, il avait donné une interview à SOS Education, une association proche de Sens commun. Rapidement retirés d'internet par la suite, les propos du ministre avaient alerté plusieurs syndicats, qui y voyaient la preuve de son accointance avec les milieux qualifiés de réactionnaires et une volonté de «privatiser l'éducation». 

La décision de nommer Jean-Michel Blanquer à l'Education nationale témoigne de la volonté d'Emmanuel Macron de marquer une rupture symbolique avec l'ère Vallaud-Belkacem, caractérisée par des polémiques nombreuses et une personnalité excessivement clivante. Celle de son successeur le sera peut-être tout autant. Mais dans la longue histoire de l'opposition entre le courant dit «pédagogiste», dont les idées ont fait florès rue de Grenelle sous la droite comme sous la gauche depuis les années 1980, et les tenants d'une école de la République, cette nomination est un gage donné aux seconds.

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Dictée obligatoire, mise en place de «deux heures de chorale proposées dans chaque collège», interdiction du portable dans les établissements scolaires, «petite leçon de morale tous les matins à l'école», encouragement du recours à l'uniforme dans les établissements volontaires... Le ministre multiplie les prises de position qui tranchent avec la volonté qu'affichait Najat Vallaud-Belkacem de «placer l'élève au cœur de l'école» et de le rendre «acteur de sa propre éducation». 

Signe de l'efficacité de la stratégie : la presse de droite s'enthousiasme quand celle de gauche s'étrangle. ChezMarianne, on estime qu'aux mesures annoncées par le ministre «ne manquent plus que le lever de drapeau chaque matin et les coups de règle sur les doigts !» A l'opposé, le magazine Causeur titre : «Après Najat, le réconfort ?», tandis que Le Figaro fait de Jean-Michel Blanquer «le hussard noir de la Ve République». Au-delà de la presse, sur les réseaux sociaux, la popularité de Jean-Michel Blanquer est palpable, notamment auprès d'un public ordinairement peu enclin à soutenir la politique d'Emmanuel Macron. Les internautes expriment non sans humour la perception positive qu'ils ont de ces annonces concernant l'école, à rebours de la tentation qu'il ressentent de critiquer l'exécutif.

Il n'empêche que le ministre commence à se faire une place à l'Education nationale, institution plutôt ancrée à gauche quand bien même, selon une étude de l'Ifop publiée en avril 2017, cette tendance tend à s'estomper. Le Syndicat national des écoles (SNE), souvent présenté comme ayant une sensibilité de droite, accueille de manière favorable la prise de fonction de Jean-Michel Blanquer, ainsi que ses premières annonces. «Le ministre est très courageux et pragmatique. Il s'oppose à 30 ans d'idéologie afin de redonner une boussole aux enseignants. Des pédagogues ont voulu, de toute bonne foi, ouvrir des voies pour permettre la réussite de tous mais ils se sont perdus en chemin», explique le président du syndicat, Pierre Favre, dans les colonnes de Marianne.

De plus, la popularité du ministre auprès de l'opinion est en forte progression depuis la rentrée scolaire. Un sondage réalisé par l'institut YouGov en septembre dernier révélait que Jean-Michel Blanquer était devenu la cinquième personnalité politique préférée des Français. 

Marlène Schiappa : la carte «bobo» du gouvernement ?

Sans doute Marlène Schiappa était-elle un peu plus connue du grand public que Jean-Michel Blanquer, mais force est d'admettre que sa notoriété auprès des Français est, elle aussi, toute récente alors qu'elle était présentée, il y a quelques années encore, comme une simple «blogueuse parisienne». Après avoir fondé l'association Maman travaille, elle s'était taillée une place à la lisière entre militantisme associatif, engagement politique et célébrité sur internet. En 2013, Europe 1Le Parisien et Frenchweb la classaient en 6e position du Top 100 des personnalités «qui font le web», dans la catégorie «influenceurs sociétaux».

Fille d'historien, ancienne doctorante en lettres modernes et auteur de guides pratiques tel Osez l’amour des rondes, la secrétaire d'Etat à l'égalité hommes-femmes, née à Paris, affiche une image de femme moderne issue de la bourgeoisie intellectuelle. Un atout assumé pour celle qui occupe le poste d'experte des «droits des femmes» au sein de la Fondation Jean-Jaurès, un think-tank de gauche qui se définit comme «progressiste et européen».

C'est d'ailleurs à gauche que Marlène Schiappa a décidé de s'engager politiquement dès l'âge de 19 ans. En 2001, elle est en effet candidate aux municipales de Paris sur une liste associative pour la défense des services publics qui n'obtient que 1%. S'ensuit une série d'engagements témoignant des ambitions politiques de la jeune blogueuse. En 2014, elle est élue au conseil municipal du Mans sur la liste d'union de la gauche. En 2015, elle se présente aux départementales de la Sarthe, sans succès. En 2016, elle est finalement nommée au cabinet de Laurence Rossignol (Parti socialiste, PS), ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes.

Si Marlène Schiappa maîtrise les marqueurs politiques classiques, comme lorsqu'elle se prononce en faveur «des quotas partout» ou de la PMA pour les couples homosexuels, elle ne correspond pas totalement au profil traditionnel de la militante de gauche. Elle cultive en effet un engagement politique particulièrement attentif aux questions sociétales d'avant-garde et aux dernières tendances sur les réseaux sociaux. Au cours de son ascension fulgurante, elle a notamment su se faire le porte-voix de causes jusque là marginales, comme la lutte contre la grossophobie, la dénonciation du «manspreading» ou la verbalisation du harcèlement de rue. Soucieuse de renvoyer une image aussi moderne que possible, elle s'inspire volontiers du militantisme anglo-saxon popularisé par internet.

Si Emmanuel Macron a déclaré que l'égalité hommes-femmes serait «la grande cause» de son quinquennat, annonçant que le budget du secrétariat de Marlène Schiappa serait augmenté de 13% sur toute la durée de son mandat, cette bataille, d'ailleurs qualifiée de «combat culturel» par le président de la République, semble d'ores et déjà promise à être livrée au niveau des symboles, et la nomination de Marlène Schiappa en est un de taille.

La secrétaire d'Etat reconnaît d'ailleurs que sa personnalité et sa politique ne font qu'un. «On me reproche d'être qui je suis et où je suis», explique-t-elle, racontant recevoir des lettres d'insultes et des menaces de mort. Sans aller jusqu'à de tels procédés, ses nombreux détracteurs semblent avoir trouvé en elle la parfaite remplaçante de Najat Vallaud-Belkacem, et la presse de droite ne se prive pas de commenter chacune de ses sorties. «Elle répète sur un ton péremptoire les bons mots et les paroles mielleuses qui prolifèrent dans les dîners de bobos parisiens», estime par exemple le magazine Contrepoints.

Mais Marlène Schiappa irrite aussi à gauche, où la pertinence de ses combats n'est pas toujours bien perçue. En outre, la multiplication de ses déclarations choc peine à convaincre d'une réelle volonté d'agir en faveur de l'égalité entre hommes et femmes. «Dans l’incapacité de conduire de véritables politiques publiques, l’ancienne militante associative fait descendre ses combats dans l'arène médiatique où sa réactivité, sa liberté de ton et son engagement pour des causes largement consensuelles lui assurent un certain succès», résume Marianne

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Vu de l'extérieur, la ligne de Jean-Michel Blanquer et celle de Marlène Schiappa semblent partager peu de points communs et leur présence au sein de la même équipe gouvernementale ressemblerait presque à une cohabitation. Mais aucune friction entre les deux intéressés n'est à déplorer à ce jour, témoignant d'une mécanique bien huilée. Plus remarquable encore, sur certains sujets, comme l'écriture inclusive, le ministre et la secrétaire d'Etat prennent soin de ne pas se désavouer mutuellement. Alors qu'un sondage vient de révéler que LREM séduisait un tiers des électeurs socialistes et 20% des électeurs de droite, l'exercice auquel se livrent Jean-Michel Blanquer et Marlène Schiappa semble rencontrer un certain succès. Et la stratégie mise en place par Emmanuel Macron pour dépasser les anciens clivages politiques en tire pleinement profit.

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