«Jupiter» distant, Macron va-t-il devenir l'«ennemi du peuple» ?

«Jupiter» distant, Macron va-t-il devenir l'«ennemi du peuple» ?
Emmanuel Macron en visite officielle à Athènes le 7 septembre 2017, photo ©LUDOVIC MARIN / AFP
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Avec sa première rentrée sociale, Emmanuel Macron joue gros. Un divorce d'avec le pays réel, François Hollande en témoigne, pourrait en effet plomber durablement son quinquennat. Pourtant, le président paraît s'employer à souffler sur les braises.

Avec la bénédiction de l'Union européenne et les applaudissements de Bruxelles, Emmanuel Macron a décidé, comme promis, d'aller encore plus loin que la loi Travail de 2016. Pourtant, François Hollande, son Premier ministre Manuel Valls, et la ministre du Travail Myriam El-Khomri, envoyée en première ligne, ont payé cher l'impopularité des réformes passées à coup de 49.3. François Hollande a dû renoncer à se présenter une seconde fois. Son Premier ministre Manuel Valls a échoué à la primaire de la gauche. Myriam El Khomri, battue aux législatives, a disparu des radars.

Continuateur de François Hollande dans la refonte du marché du travail, Emmanuel Macron semble conscient que cette «loi Travail XXL» n'ira pas sans résistance. «Je vais devoir vivre pendant des mois avec l‘impatience du peuple», a-t-il reconnu dans l'interview de rentrée accordée au Point le 30 août 2017. «Constamment je devrai refixer le cap, expliquer où nous allons», a-t-il encore ajouté dans un registre d'explorateur maritime à l'occasion de cet entretien fleuve, destiné aussi à reconquérir les Français. La cote de popularité présidentielle s'est en effet effondrée en quelques mois seulement, pour tomber à seulement 30% fin août. Un an à peine après le traumatisme de la loi travail, fatal pour son prédécesseur, Emmanuel Macron joue gros. Peut-être même son quinquennat en cas de brouille durable avec le «pays réel».

Question de méthode, méthode questionnable

En choisissant de gouverner par ordonnances, gardées qui plus est secrètes jusqu'au 31 août dernier, Emmanuel Macron a opté pour une autre stratégie. Mais elle risque de paraître tout aussi brutale que celle de Manuel Valls. Et, à défaut de provoquer une sanction dans les urnes, faute d'élections dans un proche avenir, elle pourrait laisser une marque durable sur le quinquennat.

Emmanuel Macron a lancé cette refonte en début de mandat, ce qui peut lui laisser espérer qu'il en récoltera les fruits. Et ce d'autant que, d'un point de vue électoral, après une année chargée, la majorité présidentielle n'a plus guère devant elle que les sénatoriales, élections au suffrage indirect, à l'abri de la colère du peuple. Le président paraît donc en position de force, avec une fenêtre idéale pour mener à marche forcée les réformes qu'il juge indispensables.

La France gronde

Et pourtant. La rue pourrait rattraper Emmanuel Macron, le Premier ministre Edouard Philippe et son gouvernement. Un risque réel, dont les autorités semblent avoir conscience, comme en témoigne l'appel d'offre de marché public lancé début août dernier pour 22 millions d'euros en gaz lacrymogènes et autres munitions anti-émeutes. Les craintes du gouvernement seraient fondées, l'agenda social se remplit peu à peu.

Ce 12 septembre, La France insoumise et la CGT flanquées par le mouvement de Benoît Hamon, le «Mouvement du 17 Juillet», ont appelé à manifester contre la réforme du Code du travail. Une autre journée d'action a également été fixée pour le 21 septembre. Deux jours plus tard, ce sera le «déferlement» contre le «coup d'Etat social», promis par Jean-Luc Mélenchon. Même les forains s'invitent dans les manifestations. «Il y a une ordonnance qui est parue sans aucune discussion [et] qui va tuer le métier», a ainsi déclaré à RT France Marcel Campion, exploitant de la Grande roue de la place de la Concorde à Paris, et surnommé «roi des forains». «Nous allons boucher les villes parce qu'on a pas voulu nous écouter», a-t-il encore promis.

Si l'opposition aux réformes d'Emmanuel Macron paraît pour l'instant encore dispersée, ces manifestations pourraient faire boule de neige. Un danger réel pour la légitimité des réformes, que le gouvernement s'emploie à conjurer.

Mais comment ? Avec «pédagogie» et «concertation», maîtres mots des responsables de La République en marche et du gouvernement d'Edouard Philippe. Emmanuel Macron lui même martèle ces éléments de langage. «Avec vision, pédagogie, méthode. Je dois agir en profondeur, sans rien céder», a-t-il encore répété à l'occasion de l'interview publiée par Le Point du 30 août.

Emmanuel Macron en voie de «Hollandisation» ?

Emmanuel Macron et son équipe ont beau parler de pédagogie, d'explication ou encore de concertation, la rentrée sociale représente un risque réel. Comme le note le professeur d'Histoire du syndicalisme Stéphane Sirot : «On remarque souvent dans l'histoire que les mouvements sociaux ont un impact politique tant à gauche qu'à droite. Il y a de nombreux exemples.»

Selon l'universitaire, les mouvements sociaux de 2010 contre la réforme des retraites a durablement plombé le quinquennat de Nicolas Sarkozy, et pesé dans sa défaite en 2012, face à François Hollande. Les électeurs, contrairement à ce que pensent les communicants, n'auraient donc pas toujours la mémoire courte. «Le moment s'avère important pour le gouvernement», souligne l'historien, «on voit bien que le pouvoir en place essaie de redorer son blason au travers de toute une salve de réformes».

Pour l'essayiste et démographe Emmanuel Todd, la direction prise par Emmanuel Macron est pour l'instant sur une trajectoire de «conformisme absolu». «Réformer, flexibiliser, accepter la gestion allemande de la monnaie… une direction qui amène inévitablement à un ou deux points de chômage supplémentaires en fin de quinquennat», affirme-t-il dans une interview publiée par Libération le 6 septembre dernier . Et l'auteur de Qui est Charlie ? d'asséner : «Pour Macron, poursuivre dans cette voie, c’est accepter de disparaître politiquement à 40 ans. Une hollandisation éclair.»

Des travailleurs flexibles, mais un président inflexible

De fait, en un temps record, Emmanuel Macron s'est aliéné plusieurs catégories sociales. La célébration de son succès au premier tour de la présidentielle au restaurant parisien huppé de La Rotonde, en compagnie d'invités triés sur le volet aurait pu rester anecdotique. Mais, plus de trois mois après, le dîner semble avoir donné le ton du quinquennat : celui d'une présidence olympienne, d'un «Jupiter» un peu distant. Celui d'un monde où les «gens qui réussissent», se fréquentent dans un certain entre-soi, mais gardent leurs distances avec «ceux qui ne sont rien».

Outre le couac de la baisse des APL, qui touche notamment les jeunes, il s'est également brouillé avec l'armée et les corps constitués en acculant à la démission le chef d'état-major des armées Pierre de Villiers. La réforme du code du Travail, elle, touche massivement les Français. Les ordonnances vont en effet bouleverser la vie d'un peu plus de 23 millions de salariés, soit 88,6% des actifs selon les chiffres du Bureau international du travail.

Emmanuel Macron soufflerait-il sur les braises ?

Pourtant, le président martèle qu'il restera inflexible, parfois même avec une pointe de mépris pour ses compatriotes. «Les Françaises et les Français détestent les réformes. Dès qu'on peut éviter les réformes, on ne les fait pas. C'est un peuple qui déteste cela», avait-il ainsi déclaré en visite officielle en Roumanie fin août. «Cette réaction est très révélatrice du mépris dans lequel Emmanuel Macron tient en réalité le peuple», avait, entre autres, vivement réagi le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), Pierre Laurent.

Loin de modérer ses propos, le chef d'Etat a martelé le 8 septembre dernier, depuis Athènes cette fois-ci qu'il assumait ces propos. «D'aucuns faisaient semblant de découvrir cette forme de provocation que j'assume», a-t-il lancé, droit dans ses bottes. «La France n'est pas un pays qui se réforme [...] parce qu'on [les Français] se cabre, on résiste, on contourne», a-t-il analysé. «Je serai d'une détermination absolue et je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques», a-t-il encore lâché, sur fond de ruines du Parthénon, déclenchant, naturellement, un tollé.

Pour l'instant, les faux-pas d'Emmanuel Macron et sa «provocation assumée», selon ses propres termes, n'ont eu de conséquences que pour son image, les manettes du pouvoir restant, elles, entre ses mains. Mais ces premières maladresses pourraient avoir constitué le terreau d'une grogne plus durable. Un noyau sur lequel pourraient s'agréger les mécontentements. «On a d'un côté une mobilisation syndicale, traditionnelle, menée par la CGT, et de l'autre une mobilisation politique qui se déporte dans la rue, en l’occurrence celle de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise», analyse encore Stéphane Sirot. Et d'ajouter : «C'est une donnée qui n'existait pas en 2016 et qui va être intéressante à observer car c'est quelque chose qui peut engendrer une dynamique qui pourrait être problématique pour le pouvoir.»

De Jupiter parfois jugé arrogant et distant, Emmanuel Macron pourrait devenir l'homme que les Français aiment détester.

Alexandre Keller

Lire aussi : «Un autre président français raté» : la tribune assassine du New York Times contre Emmanuel Macron

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