La liste Renaissance est officiellement soutenue par Emmanuel Macron à l'approche des élections européennes. En amont du scrutin, le spécialiste des questions stratégiques Philippe Migault commente pour RT France le programme du parti présidentiel.
Les européennes, élections de «second ordre» selon une expression revenant fréquemment dans la bouche des analystes politiques, attirent de moins en moins les Européens et moins encore les Français, scrutin après scrutin. Elles sont en conséquence l’occasion pour les partis politiques hexagonaux de faire tout et n’importe quoi. En dehors des souverainistes qui font de ce rendez-vous une priorité, les autres formations politiques affichent une légèreté, un dilettantisme, qui en disent long sur leur motivation, leur attachement à l’événement.
Bien des indicateurs en témoignent.
On confie la conduite de la campagne à des seconds couteaux, des médiocres, des inconnus, des personnalités issues de la société civile, des «intellectuels», des gamins qui, peut-être, y trouveront l’opportunité de marquer les esprits pour la suite, en faisant leurs premières armes, mais qui, le plus souvent, tomberont dans l’oubli. Ceux qui se croient un destin national se gardent bien de prendre part à une campagne où il n’y a que des coups à prendre.
Les programmes sont à l’avenant. Du tout et n’importe quoi. On fait des promesses avec l’argent de l’Europe. On vend des projets grandioses, censés séduire les 400 millions d’électeurs de l’UE qui ne demandent, une fois encore, qu’à s’enflammer devant le génie français...
Le programme de La République En Marche (LREM), rendu public cette semaine, est de ce point de vue un modèle du genre. Dix-sept pages de prêchi-prêcha dégoulinant de moraline, sans projet structuré, argumenté, instrumentalisant des notions essentielles – souveraineté, liberté, identité, valeurs – mais sur un mode totalement contradictoire. De la com. Ni fond, ni réflexion. Un exemple ? La défense.
Passons sur l’appel à la mise en place d’une véritable armée européenne, «complémentaire à l’OTAN». Cette volonté relève du vœu pieux, auquel les Français seuls aspirent et croient, nous avons déjà eu largement l’occasion de le relever dans ces colonnes. Cela relève de l’exercice incontournable, a fortiori à l’occasion d’un tel scrutin. Mais ceux qui ont apporté leur expertise sur le sujet doivent cependant très vite revoir leurs fondamentaux.
Car qu’est-ce que la défense ? Ce n’est pas simplement une question de budget, de soldats et d’armement. Ce n’est pas un service public un peu particulier. Ce n’est pas juste une volonté de sauvegarder des intérêts, fussent-ils vitaux. Etre prêt à se défendre, c’est être prêt à tuer et à mourir, pour une cause transcendant l’individu. Cela nous renvoie à des notions, des valeurs fortes, confinant au sacré ou ancrées de plein pied dans ce dernier. Il faut «consolider nos valeurs», souligne LREM. Soit. Mais quelles sont-elles ? Quelles sont les valeurs chères à LREM ? Est-on prêt à mourir pour elles ? A tuer pour elles ? Dans le passé, ces causes s’appelaient liberté, honneur, nation, patrie, Dieu, République… Qu’en reste-t-il ?
Notre monde libéral-libertaire est fondé sur le dogme de l’absolue liberté individuelle en dehors – et encore - des limites fixées par la loi. A moins de briser certains tabous, non énoncés mais dont la transgression est bien comprise de tous comme synonyme de mort sociale, tout est permis. Alors ? Pourquoi faudrait-il se battre et risquer sa vie ? La liberté des autres ?
La nation ? La patrie ? Dieu ? Ils ne sont plus guère présentés que comme facteurs de guerre, de trouble, de communautarisme, alors qu’il convient de rêver village planétaire, de penser printemps.
L’honneur ? A part quand il s’agit d’évoquer certaines causes, relatives aux tabous susdits, l’honneur est tourné en ridicule, considéré comme une notion dépassée, surannée. Une Légion d’honneur sur un cercueil dans la cour des Invalides, des drapeaux en berne pont Alexandre III, et on passe à autre chose. A l’essentiel. A Greta Thunberg et ses disciples. Au grand débat avec Cyril Hanouna.
La nation ? La patrie ? Dieu ? Ils ne sont plus guère présentés que comme facteurs de guerre, de trouble, de communautarisme, alors qu’il convient de rêver village planétaire, de penser printemps. Reste la République. Mais en dehors de France elle n’est guère un absolu. Et il y a longtemps qu’elle a cessé chez nous d’être un idéal pour se réduire à un régime.
Alors quoi ? Pourquoi sommes-nous prêts à mourir ? Que nous propose LREM ? Qu’est-ce qui, dans cette «Europe» à laquelle nous sommes censés rêver, mérite le sacrifice suprême ?
LREM évoque «l’identité européenne», affirmant que «l’Europe s’est faite par la culture », que « c’est la civilisation européenne qui nous réunit» et qu’il faut nous «unir autour de l’identité européenne».
Soit. «La France s’est faite à coups d’épée», l’Allemagne «par le fer et le sang», mais ce n’est pas bien grave. Ces déclarations rejoignent les opinons d’une bonne part des électeurs. Nous avons appris à l’école que les guerres mondiales ont été des «guerres civiles européennes», qui ont conduit au «suicide de l’Europe» et que plus jamais une telle folie ne devait opposer Français, Allemands, Britanniques, Russes… Tous enfants d’une même mère : l’Europe.
Mais qu’est-ce qui définit la civilisation européenne ? La culture européenne ? L’origine indo-européenne de l’écrasante majorité des habitants et des idiomes cohabitant Dublin et Vladivostok ? Nos racines chrétiennes ? Notre héritage gréco-latin ? Celui de la Renaissance et des Lumières ? Quel est ce dénominateur commun qui fait de nous des Européens et de ceux qui ne le partagent pas des allogènes ? LREM se garde bien de nous le dire.
Ou plutôt si. Pour LREM ce qui fait de nous des Européens ce n’est pas notre passé, notre langue, notre religion, nos traumatismes communs, ou notre race : c’est ce que nous devons devenir. Car pour les marcheurs, il convient de «réinventer politiquement, culturellement, les formes de notre civilisation dans un monde qui se transforme.» Bref, peu importe le passé, peu importe ce qui nous est sacré, peu importe ce pour quoi nos anciens sont tombés, il faut s’unir autour d’une nouvelle civilisation. Une civilisation dont les contours ne sont pas définis, sur lesquels nous n’avons pas été consultés, avec des peuples qui restent à définir, auxquels nous n’avons pas encore donné notre assentiment pour intégrer le club. On a tout de suite envie de se sacrifier pour ça…
#Européennes 🇪🇺 : le pari risqué d'Emmanuel #Macron#ElectionsEuropéennes#NathalieLoiseau#LREM@Renaissance_UE
— RT France (@RTenfrancais) 10 mai 2019
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Mais si. Il faut être prêt. Car de facto, nous n’avons pas le choix souligne LREM. «Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe n’a été aussi nécessaire. Et pourtant jamais elle n’a été autant en danger», avertissent les marcheurs avec emphase. L’Europe est nécessaire car «elle a garanti la paix après les conflits», or «la paix n’est plus un acquis» martèlent-t-ils.
Vraiment ?
Passons aussi sur le fait que la paix n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais un acquis. Mettons ça sur le compte de la déformation gauchisante des bobos de LREM.
Est-ce l’Europe qui a ramené la paix dans les Balkans à compter de 1995 ? Est-ce l’Europe qui a empêché l’Union soviétique de pousser plus loin que l’Elbe entre 1945 et 1953 ? Non. C’est l’Alliance atlantique. C’est l’équilibre de la terreur régnant entre l’OTAN et le Pacte de Varsovie, l’Ouest et l’Est, qui a permis de maintenir la paix, empêché la guerre froide de déraper. Ce n’est pas la CECA, ou la CEE de messieurs Monet, Schumann, Spaak et consorts. Ce ne sont pas les technocrates ou les chefs d’entreprise qui dissuadent. Ce sont ceux qui savent se battre. «L’Europe est le continent de l’économie sociale de marché», souligne LREM. Les valeurs de l’UE sont celles de ses fondateurs, bourgeoises, mercantiles. Ce ne sont pas celles qui font les guerriers, encore moins les héros.
Quant aux menaces qui pèsent sur l’Europe, le parti présidentiel est des plus flous. Sauf bien entendu en ce qui concerne la Russie qui, «depuis 10 ans (…) multiplie les interventions armées.» Les Russes, dans le collimateur d’Emmanuel Macron depuis les présidentielles ont le dos large, nous y reviendrons, mais après ? Est-ce le seul danger ?
Non, évidemment.
Comme LREM le souligne, il faut intensifier la lutte contre «le terrorisme au niveau européen.» Mais de quel terrorisme s’agit-il ? Du terrorisme russe ? De celui des Gilets jaunes ? De l’extrême droite ? On reste dans l’expectative…Curieux pour un parti dont les partisans sont si friands du name and shame. Appeler un chat un chat et un Russe un Russe passe encore. Mais un terroriste un Islamiste, non. «Les quartiers sensibles» votent, ne l’oublions pas. Il ne faut pas froisser leur sensibilité.
Par ailleurs, souligne LREM «de nouvelles puissances voient leurs dépenses militaires s’accroître considérablement.» Certes mais lesquelles ? Pourquoi ne pas les nommer ? Name and shame ! Ce n’est pas la Russie : son budget de la défense est en recul depuis trois ans et la France dépense plus qu’elle pour son armée. Alors ? Chinois, Saoudiens, Turcs… Sauf que les Saoudiens écrasent le Yémen avec notre assentiment et notre armement. Que les Turcs sont membres de l’OTAN et ont, officiellement, toujours vocation à intégrer l’Europe. Qu’il est difficile enfin de vendre des Airbus à un partenaire chinois susceptible.
Pour jouer les matamores, il ne reste donc que la Russie et ses fameuses «interventions». La guerre russo-géorgienne de 2008, le soutien aux séparatistes du Donbass et l’opération des forces russes en Syrie. Or pouvons-nous reprocher grand-chose à Moscou sur ces dossiers ? Sommes-nous en position de le faire en conscience ?
L’UE a désigné le responsable de la guerre russo-géorgienne dans un rapport : le Président géorgien Saakachvili qui a pris l’initiative d’ouvrir les hostilités.
Des conseillers militaires russes ont soutenu les révoltés du Donbass. Mais ce type de proxy war, avec des forces spéciales opérant aux côtés d’une rébellion, nous est-elle étrangère ? De quel côté étaient les hommes de la DGSE et les SAS britanniques au Kosovo alors que nous intervenions et bombardions en violant la résolution 1 199 du conseil de sécurité de l’ONU ? N’avions-nous pas de troupes au sol en Libye alors que nous outrepassions un autre mandat des Nations-Unies qui prévoyait la simple mise en place d’une no fly zone ? De quel mandat se prévalent les forces spéciales françaises et américaines opérant sur les marges orientales de la Syrie ? Les forces russes, elles, sont sur place à la demande du régime de Bachar el-Assad qui, jusqu’à preuve du contraire, demeure l’autorité légale du pays, quels que soient ses crimes…
L’Amérique a utilisé toute une série de Fake News pour attaquer l’Irak en 2003, provoquant l’actuel chaos au Moyen-Orient que LREM déplore. Avons-nous placé Washington sous sanctions ? Avons-nous dénoncé les médias occidentaux complices, leur «désinformation», leur «manipulation» pour reprendre les termes du parti présidentiel ? Non, bien au contraire. Ce dernier déplore que «Les Etats-Unis menacent pour la première fois de se désengager de la défense de l’Europe.» Alors ? Il n’y a guère de cohérence dans cette dénonciation de la Russie alors que nous fermons les yeux sur les crimes de guerre et les violations du droit international commis par Washington depuis vingt ans. Guère de cohérence dans les propositions de LREM. La guerre est une affaire trop sérieuse pour la confier à de tels amateurs.
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