L'ex-secrétaire général adjoint de l'OTAN Alessandro Minuto-Rizzo ne voit pas réunies les conditions pour la création d'une armée européenne, et affirme que la participation de l'alliance à la lutte contre Daesh est un message politique.
RT : Lors du dernier sommet de l'OTAN, Donald Trump a reproché à ses membres de ne pas avoir respecté leur engagement financier, à savoir contribuer à hauteur de 2% du PIB au budget de l'Alliance. Mais, les Etats-Unis exerçant le plus d'influence au sein de l'alliance, n'est-il pas juste que Washington en prenne la plus grosse part ?
Alessandro Minuto-Rizzo (A. M.): Cette histoire des 2% ne date pas d'hier, et n'est inscrite nulle part. C'est un but qui, en termes politiques, a été fixé il y a quelques années et il est vrai que la plupart des partenaires européens de l'OTAN n'atteignent pas le seuil des 2%. Cependant, les alliés européens font certaines choses qui ne sont pas comptabilisés dans ces fameux 2% : ils prennent part aux opérations de l'OTAN, par exemple. C'est donc un problème complexe. Il est probable que les pays européens dépensent plus à l'avenir, mais combien et à partir de quand – cela reste à voir.
RT : L'OTAN est désormais membre de la coalition anti-Daesh. Dans quel but l'a-t-elle rejointe ? La plupart des pays de l'OTAN sont déjà fortement engagés dans la lutte contre l'Etat islamique. La coalition dirigée par les Etats-Unis a-t-elle besoin d'un soutien, disons... de l'armée islandaise ?
A. M. : Effectivement, presque tous les alliés de l'OTAN participent aux opérations contre Daesh, mais pas l'OTAN en tant que telle. La décision qui a été prise il y a quelques jours à Bruxelles, est principalement une décision politique, symbolique. Il ne s'agit pas d'opérations de combat sous le drapeau de l'OTAN. C'est hors de question. C'est un signal politique. L'OTAN fournira des avions de reconnaissance, participera à des missions de formation et d'éducation. Mais il n'y aura pas de combat sur le terrain.
Il n'y a pas d'armée européenne et je ne pense pas qu'il puisse y en avoir une
RT : Le secrétaire général de l'Alliance, Jens Stoltenberg, a aussi déclaré que l'adhésion de l'OTAN à la lutte anti-Daesh envoyait un message politique fort. Mais à qui ce message est-il adressé ?
A. M. : Cela revient à dire que l'OTAN reconnaît en tant que telle la menace du terrorisme venant de cette partie du monde – un point de vue partagé, il me semble, par la Russie –, et veut être pleinement visible dans la lutte contre ces groupes extrémistes. Voilà le message politique. Il y a de toute évidence une menace croissante des groupes extrémistes dans la région, et l'OTAN tente de renforcer sa visibilité.
RT : Autre sujet d'actualité : on parle maintenant au sein de l'UE d'une armée européenne commune. Mais ne sera-t-elle pas un doublon de l'OTAN ?
A. M. : Parler d'armée commune est une mauvaise manière d'envisager la politique de défense européenne – parce qu'il n'y a pas d'armée européenne et je ne pense pas qu'il puisse y en avoir une, à moins que l'Europe ne soit politiquement unie. Et c'est une chose que je ne vois pas arriver avant quelques années, au moins... pour dire les choses avec diplomatie. Dans les faits, il y a un effort visant à mieux utiliser les moyens existants, à réduire les doublons qui existent entre les armées européennes. Dans l'UE, il y a 28 ou 27 armées qui font doublon entre elles à plusieurs égards. Un effort [d'optimisation] aura lieu, mais ce ne sera en aucun cas une armée européenne.
RT : Le Monténégro vient d'adhérer à l'OTAN. Quand l'élargissement de l'organisation va-t-il enfin prendre fin ? La Russie s'opposant vivement à l'activité de l'alliance près de ses frontières, l'OTAN s'élargit-elle vers l'est uniquement pour contrarier Moscou ?
A. M. : Je pense que l'OTAN a, plus ou moins, atteint sa taille maximale. Un futur élargissement est évidemment possible, mais pour le moment, je ne vois pas de nouvelles adhésions à l'OTAN. Comme vous le savez, pour qu'un pays devienne membre de l'organisation, il faut d'abord que ledit pays fasse une demande, et je ne vois personne demander de rejoindre l'OTAN à l'heure actuelle. D'autre part, l'OTAN n'a peut-être pas «l'appétit» pour s'étendre au-delà des frontières actuelles.
Penser à une guerre aujourd'hui en Europe est absurde
RT : L'OTAN déploie des troupes en Pologne et dans les pays baltes. C'est la plus grande accumulation de forces en Europe de l'Est depuis la Guerre froide. Ces mouvements entraînent une réaction de la Russie : le déploiement de missiles à Kaliningrad. L'OTAN insiste sur le fait qu'elle ne veut pas de course aux armements, mais ne fait-elle pas que la provoquer ?
A. M. : Si on parle de la présence militaire des pays de l'OTAN en Pologne et dans les pays baltes, elle a en réalité été décidée l'année dernière à Varsovie. Et la raison en est très simple : certains gouvernements de l'alliance ont déclaré vouloir disposer d'une présence militaire d'autres membres de l'OTAN, sans laquelle ils seraient une sorte d'Etats membres de «catégorie B». C'est la raison invoquée par la Pologne et d'autres pays. Il y a effectivement un petit déploiement dans cette partie de l'Europe, mais je pense que c'est plutôt symbolique et que cela a un sens plus politique que militaire. C'est une rotation, une démonstration de solidarité, mais je n'y vois rien de plus.
RT : Le ministre polonais des Affaires étrangères a exhorté l'OTAN à poursuivre ses pourparlers avec la Russie afin de s'assurer que les activités militaires de l'Alliance en Pologne ne soient pas considérées comme une provocation vis-à-vis de Moscou. Ces préoccupations ne sont pas dénuées de sens : avec tant d'armes et de militaires aux frontières des deux côtés, que se passera-t-il en cas d'incident ?
A. M. : Je vois de temps à autre ces préoccupations dans le journaux. Mais, vraiment, penser à une guerre, aujourd'hui, en Europe, est absurde. En cas d'accident, jusqu'à présent, il y a toujours eu une procédure de contrôle à suivre. Le danger apparaît lorsqu'un accident a lieu et que vous êtes incapables de reprendre le contrôle de la situation. Cela n'a pas eu lieu jusqu'à présent et je pense que nous sommes tous très prudents.
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