Le président français est élu mais les problèmes du pays demeurent, et le projet d'Emmanuel Macron n'est pas en phase avec les attentes de la majorité des Français, rappelle le président du Parti chrétien-démocrate Jean-Frédéric Poisson.
RT France : Emmanuel Macron est le prochain président de la République française. Comment imaginez-vous son quinquennat à venir ?
Jean-Frédéric Poisson (J.-F. P.) : C'est un quinquennat qui démarre de manière inhabituelle. Pour la première fois dans l'histoire de la Ve république, le président français est élu avec un petit nombre de voix face à un très grand nombre d'abstentions, de bulletins blancs et nuls. La configuration politique qui est devant nous est inédite. Nous avons adopté le quinquennat en 1999 par référendum avec la certitude que l'élection du président provoquerait une majorité à l'Assemblée nationale de la même couleur que celle du président aux élections législatives quelques semaines plus tard. Cette fois-ci, nous nous rendons compte qu'aucun bloc – au moment où nous parlons en tout cas – ne se dessine pour assumer à lui seul la majorité législative à l'Assemblée. Ce qui se profile, c'est plutôt des majorités par projets, par texte. C'est-à-dire une assemblée de la IVe République plus que de la Ve. La difficulté probable et répétée – qui sera presque hebdomadaire – pour le futur gouvernement de trouver une majorité à l'Assemblée va rendre compliqué le quinquennat qui vient. Il est probable que dans ce contexte, des réformes exigeantes, de fond, un axe politique très clair vont être difficiles à trouver et à tenir. J'ai la conviction – et elle est renforcée ce soir – que le redressement de la France n'est pas encore acquis. Loin de là.
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Une Assemblée nationale morcelée se profile, des partis vont devoir réfléchir à leur ligne politique, une recomposition s'annonce
RT France : Quels sont vos pronostics pour ces élections législatives ?
J.-F. P. : Il est difficile de faire un pronostic parce que les partis de gouvernement – le Parti socialiste et les Républicains – ont été sanctionnés très durement il y a deux semaines pour une raison, à mon avis, majeure : ils ont abandonné, au fur et à mesure des années, les idées, les projets, les convictions qu'ils étaient pourtant censés défendre. Ils ont été sanctionnés pour cela. Aujourd'hui, on voit bien que ces formations politiques ne sont pas mortes car les partis politiques ne meurent pas comme cela mais se profile une recomposition idéologique importante dans le paysage politique français. Or dans cette recomposition idéologique, je crois qu'il y a un espace qui n'est pas occupé aujourd'hui par le Front national et qui l'est très peu par les Républicains, un espace entre les deux pour une droite fidèle aux convictions traditionnelles et aux racines chrétiennes de la France, une droite qui croit que l'Europe doit être forte mais réorganisée et donnant davantage de place à la souveraineté des nations, une Europe qui croit dans les enjeux civilisationnels qu'elle doit porter. Tout cela n'était pas vraiment représenté dans le deuxième tour de ce soir. Une Assemblée nationale morcelée se profile, des partis vont devoir réfléchir à leur ligne politique, une recomposition s'annonce. Tout cela promet pour les semaines et les mois qui viennent un temps politique très intéressant mais également très important pour notre pays.
Je souhaite qu'Emmanuel Macron réussisse mais j'en doute beaucoup car je ne crois pas qu'il soit en phase avec les attentes de la majorité des Français
RT France : Pensez-vous qu'Emmanuel Macron sera en mesure de réunir une majorité à l'Assemblée ?
J.-F. P. : Ce sera difficile parce que, premièrement, la part des Français qui ont voté pour lui au premier tour de l'élection présidentielle par adhésion à son projet n'était pas si importante que cela – à peine la moitié des électeurs. Deuxièmement nous voyons bien qu'énormément des électeurs de la droite et du centre sont venus voter pour lui ce soir de deuxième tour en n'étant pas convaincus par le projet qu'il porte. Au moment où il entre en fonction, on se rend compte que sa base assurée, son socle électoral convaincu par le projet qu'il défend est en vérité faible. Ce n'est pas étonnant car les Français ont exprimé tout au long de cette campagne présidentielle à la fois un besoin de protection de la part de l'Etat mais également davantage d'oxygène afin d'avoir plus de libertés dans les familles, dans les associations, dans les entreprises et dans les territoires. Ils ont voulu un plus grand respect et une meilleure défense du patrimoine français tout en étant un peuple ouvert. Ils veulent que l'on réforme l'Etat, qu'on donne davantage de place à la création de richesses, à la liberté tout en étant très attachés au modèle de protection sociale. Dans toutes ces attentes contradictoires, ils expriment de manière très différenciée et très paradoxale au fond. Ils n'ont pas trouvé ce soir un candidat véritablement capable de les porter. Les problèmes aujourd'hui restent entiers. Toutes ces demandes restent actives alors que le président a été élu. Le projet qu'il porte ne répond pas à ces attentes-là. Ce n'est pas une élection par défaut – je n'aime pas cette expression. Le président français est élu. Je souhaite qu'il réussisse mais j'en doute beaucoup car je ne crois pas qu'il soit en phase avec les attentes de la majorité des Français.
Les électeurs n'ont pas trouvé dans l'entre deux tours de la présidentielle suffisamment d'éléments pour fonder leur choix
RT France : Que signifient selon vous le niveau record des votes blancs ou nuls quant à l'état du paysage politique en France ?
J.-F. P. : Cela démontre d'abord une très grande incapacité à choisir. J'ai depuis le premier tour expliqué que je n'étais pas en situation de porter mon choix sur l'un ou l'autre des candidats car je n'étais convaincu et en accord avec aucun des deux. Plus de quatre millions des électeurs l'ont dit ce soir dans les urnes. Sans oublier qu'un quart des électeurs Français – c'est-à-dire plus de dix millions – ne sont pas venus voter. Il me semble ensuite qu'encore une fois l’ambiguïté du programme d'Emmanuel Macron – dont nous allons devoir connaître un peu mieux les contours dans les temps qui viennent – n'est pas de nature non plus à rassurer les électeurs français. Ils n'ont pas trouvé dans l'entre deux tours de la présidentielle suffisamment d'éléments pour fonder leur choix et exprimer un choix clair. Je ne sais pas qui a voté blanc ou nul ou qui n'est pas venu voter – c'est très difficile de le savoir – mais on voit bien que sur des attentes très fortes comme le renforcement de l'Etat, de sécurité, la lutte contre le terrorisme, un discours clair sur la question de l'islam et sa place en France, la défense de la famille, le partage des richesses etc., sur tous ces aspects-là le projet d'Emmanuel Macron n'est pas clair, pour ne pas dire qu'il est vide dans bon nombre d'endroits.
Emmanuel Macron devra clarifier son projet, ce qui lui fera immanquablement s'éloigner de l'un ou l'autre des côtés qu'il a jusqu'ici rassemblés dans les urnes
Ces attentes demeurent et les Français qui ne sont pas venus voter ou qui ont voté blanc ou nul nous disent qu'il y a tous ces manques. Il appartient aux formations politiques comme les autres de redire que les Français peuvent compter sur nous pour les porter. Une partie de la droite et du centre les porte pour partie. Un certain nombre de mes collègues sont fidèles à ces convictions-là. Je les porterai avec le Parti chrétien-démocrate pour être une forme d'aiguillon au sein de la droite et du centre afin de répondre davantage à ces préoccupations. Emmanuel Macron devra clarifier son projet, ce qui lui fera immanquablement s'éloigner de l'un ou l'autre des côtés qu'il a jusqu'ici rassemblés dans les urnes.
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