La présidentielle de 2017 révèle non seulement la crise du système judiciaire qui s'ingère dans le processus politique, mais, ce qui est pire, un déclin de la moralité publique et l'indifférence devant l’injustice, alerte l'écrivain Diana Johnstone.
Les enquêtes judiciaires qui encombrent nos élections présidentielles sont interprétées par les médias comme mettant en doute la qualification des candidats visés. Mais pour toute personne ayant un sens profond du concept de «l’égalité devant la loi», c’est le système judiciaire lui-même qui se met en question par ses ingérences flagrantes dans le processus politique.
Dans les cas de François Fillon et de Marine Le Pen, les procédures principales concernent un abus allégué d’utilisation des fonds qui leur ont été attribués en tant que parlementaires pour rétribuer leurs employés. Même si ces allégations sont bien fondées, ce qui n’est pas prouvé, les fautes avérées sont d’une importance mineure par rapport aux enjeux d’une élection au moment où, parmi d’autres problèmes graves, le pays risque d’être entraîné dans une guerre mondiale nucléaire grâce à son appartenance à l’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN). Concentrer l’attention du public sur les frais des députés à un tel moment historique est une diversion irresponsable. Les mêmes médias qui déplorent ce qu’ils veulent bien appeler le «populisme» célèbrent avec délice le populisme le plus simpliste, illustré par le ressentiment que Philippe Poutou a exprimé pendant le débat à onze. Soit dit en passant, la démagogie facile du candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) ignore que «l’immunité parlementaire» n’est pas un privilège mais qu'elle est conçue pour protéger les élus d’un abus de pouvoir d’Etat politiquement motivé – ce qui pourrait bien être le cas.
Le programme et les positions du candidat de la droite, qu’on les juge négativement ou positivement, méritent plus d’attention que les histoires de sous
En ce qui concerne les allégations qui empoisonnent la campagne de François Fillon, je n’en sais rien sur le fond, mais comme beaucoup d’autres personnes je trouve plus que suspect le moment choisi pour poursuivre des faits tirés d’un passé assez lointain. Par ailleurs, je trouve plausible l’observation faite par des personnes bien informées selon laquelle de telles pratiques n’étaient ni illégales ni rares à l’époque. Par ailleurs, le programme et les positions du candidat de la droite, qu’on les juge négativement ou positivement, méritent plus d’attention que les histoires de sous.
Marine Le Pen et le Parlement européen
Les accusations portées contre Marine Le Pen m’indignent pour les mêmes raisons – le timing, le choix de la harceler en pleine campagne présidentielle – mais dans ce cas, l’injustice me paraît encore plus évidente pour une raison simple : j’ai une expérience du Parlement européen qui me laisse croire que les charges contre la candidate du Front national sont politiquement motivées à 100%.
Les membres du Parlement européen baignent dans un argent qui sert souvent à réconcilier les élus avec l’impuissance de leur fonction dans la législation européenne. Il y a peu de contrôles et si les responsables éprouvaient une soudaine impulsion d’imposer une discipline spartiate, ils n’avaient qu’à initier une enquête dans les pratiques de tous les groupes politiques pour apprendre lesquels d’entre eux utilisent les rémunérations de leurs employés pour les besoins de leurs partis nationaux. Je suis plus ou moins certaine qu’ils y trouveraient des abus plus flagrants que ceux imputés à Marine Le Pen.
Chercher la petite bête chez Marine Le Pen au moment le plus critique de sa carrière politique ne peut pas être un hasard
Je ne suis pas adepte de la délation, mais mon sens de la justice m’oblige à révéler que lorsque je travaillais pour le Groupe des Verts au Parlement européen dans la première moitié des années 1990, ce groupe instrumentalisait les salaires de ses employés de manière tout aussi douteuse moralement, et plus douteuse légalement, que Marine Le Pen. En effet, ce groupe exigeait que ses employés signent une clause secrète les obligeant à reverser une partie de leur salaire au groupe, une clause qui ne s’appliquait pas aux députés.
Mais c’est un fait que ceux qui dirigent le Parlement européen sont des partisans, pour ne pas dire des fanatiques, de la «construction européenne», dont Marine Le Pen est une critique notoire. Chercher la petite bête chez elle au moment le plus critique de sa carrière politique ne peut pas être un hasard.
Les Verts, par contre, sont des européistes pur jus qui ne risquent pas d’être ciblés par les moralistes à la petite semaine de cette institution, dont la vraie fonction est de donner un masque de «démocratie» à la bureaucratie de Bruxelles.
Emmanuel Macron est, au moins en apparence, trop jeune pour traîner des casseroles et peut être plus facilement vendu comme Monsieur Propre dans une ambiance de «scandales»
Les allégations de «corruption» visent les deux candidats qui au départ paraissaient les plus aptes à faire obstacle à Emmanuel Macron, le grand favori des médias (et de certains dirigeants du Parti socialiste moribond). L’engouement des médias pour ces scandales-là ne fait pas de mal à leur chouchou. Malgré le fait qu’il est très vite devenu millionnaire, Emmanuel Macron est, au moins en apparence, trop jeune pour traîner des casseroles et peut être plus facilement vendu comme Monsieur Propre dans une ambiance de «scandales».
Ceux qui diront que je dis tout cela pour «défendre» mon candidat, que ce soit François Fillon ou Marine Le Pen, n’auront rien compris, d’abord au sentiment de la justice. Si, face aux cas flagrants de «deux poids, deux mesures», on ne s’indigne que pour défendre les siens, la société se trouve dans un déclin de moralité publique grave. C’est cette indifférence, sinon jouissance, éprouvées face à l’injustice qui touche ceux qu’on n’aime pas qui inspire ma protestation, et non cette élection dont je n’attends rien de bon.
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