Les récentes frappes contre la Syrie ont détruit l'espoir que Trump rejette la politique d'ingérence. Il s'est montré, en réalité, la marionnette l'«Etat profond», explique l'historien John Laughland.
Le revirement de 180 degrés du président Trump sur la Syrie met fin à toute illusion sur sa présidence. Loin de représenter une révolution, son élection l'an dernier n'est que la énième preuve que le processus démocratique est aujourd'hui incapable d'effectuer de vrais changements dans la vie politique des grands Etats, tant les grandes lignes de cette politique sont fixées par un appareil de l'Etat qui, lui, ne change jamais.
En attaquant la Syrie, Donald Trump – un homme dont la confiance en soi frôle la mégalomanie – s'est montré, en réalité, la marionnette de ce qu'on appelle l'«Etat profond». Depuis son inauguration, nous avons observé l'ampleur de l'opposition, y compris au sein de son propre parti, à sa volonté déclarée d'avoir un bon rapport de travail avec Moscou. Cette opposition acharnée tourne au délire, comme en atteste l'obsession avec le fantasme d'une ingérence russe dans les élections américaines en sa faveur.
Avec ses frappes aériennes, le président américain veut sans doute éradiquer ce soupçon qui menaçait d'empoisonner tout son mandat. Comme tous ses prédécesseurs, Trump a recours à la force militaire de son pays pour renforcer sa propre position sur l'échiquier politique interne. Mais en le faisant, il a capitulé sur un élément central de sa campagne, son refus de permettre que l'Amérique soit le gendarme du monde, un refus qu'il avait d'ailleurs réitéré dans son discours devant le Congrès le 1er mars.
La fameuse révolution trumpienne, qui devait mettre fin à de longues décennies d'ingérence américaine, vient de s'évaporer comme la rosée matinale
Au lieu de renforcer sa position, Trump se ridiculise par cette capitulation devant les exigences de ses ennemis. Combien de fois avons-nous entendu de sa bouche l'affirmation que le terrorisme islamiste était l'ennemi principal ? Il l'avait notamment martelé dans son discours inaugural. Ses actes montrent qu'il n'en est rien. Au moment où la paix en Syrie, qui passe par la défaite des islamistes, était à portée de main, Trump vient de redonner de l'espoir aux rebelles qui étaient sur le point de jeter l'éponge. La fameuse révolution trumpienne, qui devait mettre fin à de longues décennies d'ingérence américaine, vient de s'évaporer comme la rosée matinale. Avec le grand coup de pied que Trump vient de donner à la fourmilière syrienne, nous voilà donc repartis pour encore plusieurs années de chaos au Moyen-Orient.
Chaos aussi dans la politique étrangère américaine. Il y a moins d'une semaine, Washington avait déclaré que le départ d'Assad n'était plus une condition ; Paris n'a pas tardé à suivre la nouvelle ligne dictée par les Américains. Maintenant, cette politique est jetée aux oubliettes, tout comme la politique pro-russe que Trump appelait plusieurs fois de ses vœux, et son attitude vis-à-vis de l'OTAN. Sur tous ces sujets, Trump s'est montré d'une incohérence totale. On passe, du jour au lendemain, de la Russie comme «partenaire occasionnel» (Rex Tillerson, 12 janvier 2017) à la Russie comme «concurrent stratégique» (James Mattis, 31 mars 2017) ; de la dénonciation de l'OTAN comme alliance «obsolète» (Trump, le 16 janvier 2017) à l'expression du «soutien fort» à cette même alliance (Trump, le 17 mars 2017). Une telle cacophonie est tout simplement absurde.
Ce que Trump reproche à Obama, en réalité, c'est d'avoir laissé la Syrie aux Russes. Voilà ce qui est insupportable pour l'establishment américain comme pour son président
Elle est absurde par son incohérence mais aussi parce qu'elle fait tomber le masque. Pourquoi, au fond, Trump a-t-il changé d'avis sur la Syrie ? Pour comprendre cela, il faut l'écouter attentivement. Dans sa conférence de presse avec le roi de Jordanie, le 6 avril à la Maison blanche, Trump a accusé le président Obama d'avoir reculé devant une intervention en Syrie en 2013. Pour Trump, cet acte de couardise serait à l'origine de la situation actuelle. C'est un pur mensonge : ce n'est pas Obama qui n'a pas voulu intervenir en Syrie, c'était le Congrès américain dominé par les Républicains. Le Congrès exigeait un vote sur une éventuelle intervention car il n'était pas prêt à la cautionner.
Pour se distancer d'Obama, Trump a plusieurs fois utilisé l'expression «les lignes rouges» qu'Obama aurait permis à Assad de franchir sans réagir. Mais cette accusation, qui est d'un néo-conservatisme pur et qui relève donc de l'idéologie des pires ennemis de Trump, révèle involontairement les vrais enjeux, qui sont géopolitiques. Ce que Trump reproche à Obama, en réalité, c'est d'avoir laissé la Syrie aux Russes. Voilà ce qui est insupportable pour l'establishment américain comme pour son président. Incontestablement, l'intervention russe a augmenté l'influence de Moscou en Syrie et au Moyen Orient : le but des frappes aériennes américaines n'est donc pas de mettre fin au déploiement des armes chimiques, mais seulement de contrer cette nouvelle influence russe afin que les Etats-Unis soient, eux, maîtres du jeu.
Les frappes aériennes sont, une fois de plus, un outil pour donner l'apparence d'une virilité en réalité inexistante
La politique du chaos, qui a caractérisé l'action des présidents Obama, Clinton et Bush fils, va donc continuer, sans interruption, sous Trump. Les frappes aériennes sont, une fois de plus, un outil pour donner l'apparence d'une virilité en réalité inexistante. Avec son attaque intempestive, qui aurait été inspirée par de simples images, l'homme fort de la Maison blanche s'est montré au contraire un homme de paille, une girouette sans substance qui vient de faire de lui la risée du monde. Une fois de plus, aux Etats-Unis comme en France, les électeurs ont été trompés par un homme qui, se présentant comme un révolutionnaire, une fois élu fait le contraire de ce qu'il a promis. Jamais la prédiction lugubre du prince de Lampeduse n'aura été si vraie : il fallait que tout change pour que rien ne change.
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