Double peine pour Benoît Hamon qui perd le soutien de Manuel Valls et dégringole dans les sondages. Le politologue Bruno Cautrès revient sur les raisons de l'échec de celui qui a été abandonné par un camp qui vise le coup d'après.
RT France : Le dernier sondage Elabe annonce que Benoît Hamon est tombé à 10% d'intentions de vote, au profit de Jean-Luc Mélenchon qui atteint désormais les 15%. Peut-on imputer cette baisse de Hamon aux départs des pontes du PS comme Jean-Yves Le Drian ou Manuel Valls ?
Bruno Cautrès (B. C.) : Cela n’a sans aucun doute pas aidé Benoît Hamon, mais les raisons profondes ne sont pas là. Il faut d’abord et avant tout noter que Benoît Hamon n’est pas arrivé à imposer sa candidature auprès de la gauche. Tout simplement. Son agenda sur le revenu universel a du mal à prendre dans l’opinion. Je pense également que Benoît Hamon est dans une situation structurellement difficile. Il a un discours critique sur la gauche pendant le mandat de François Hollande, mais il est face à Jean-Luc Mélenchon, qui est un candidat très solide. Au fond, le créneau gauche critique a été pris par Jean-Luc Mélenchon. Benoît Hamon se trouve donc dans une situation très difficile. Je pense que la raison de l'échec de Benoît Hamon s'explique avant tout par ce positionnement. C'est d'autant plus clair qu'il ne fait pas une bonne campagne. Son programme est un empilement de propositions très importantes mais sans véritable hiérarchie. Son programme donne l'impression d'être plutôt une sorte de catalogue très important. Les électeurs ont du mal à voir clair dans son programme – qu'il n'a d'ailleurs pas du tout chiffré. On a le sentiment d'être face à quelqu’un qui propose beaucoup de choses peut-être intéressantes mais sans parler de leur financement.
Et puis, en face il y a quand-même Jean-Luc Mélenchon qui fait lui-même une très bonne campagne. Tout le monde reconnait qu’il performe très bien. Il se passe quelque chose autour de Jean-Luc Mélenchon.
Les socialistes ont déjà tous en tête l'après présidentielle et le combat qui aura lieu pour la prise de contrôle du PS.
RT France : Dans ce contexte où, depuis le premier débat télévisé, Jean-luc Mélenchon est passé devant Benoît Hamon dans les sondages, la décision de Manuel Valls de soutenir Emmanuel Macron est-elle logique ?
B. C. : Oui, tout à fait. Manuel Valls explique son choix en disant qu'il veut avant tout éviter un deuxième tour Marine Le Pen contre François Fillon. Qu'il y a un contexte nouveau. C'est son argumentaire. Il est vrai que s'il y avait un deuxième tour Fillon-Le Pen, on pourrait s'attendre à ce que de nombreux électeurs de gauche s'abstiennent. Or, on sait que l'abstention va plutôt favoriser Marine Le Pen. Je pense que Manuel Valls a sa cohérence. Ce mouvement de ralliements traduit aussi le fait que tout le monde a intégré que Benoît Hamon ne serait pas présent au deuxième tour. Les socialistes ont déjà tous en tête l'après-présidentielle et le combat qui aura lieu pour la prise de contrôle du PS après les échéances électorales.
Manuel Valls veut surtout prendre date pour l'après-présidentielle et pouvoir dire «j'ai voulu barrer la route à Marine Le Pen»
RT France : Trahison, manque d'honneur... Les réactions des membres du parti socialiste proches de Benoît Hamon, des médias et des citoyens ont été très dures envers Manuel Valls. Etait-ce prévisible ?
B. C. : C'est sûr ! C'est certain ! Il s'était engagé à soutenir le gagnant de la primaire. Il aurait pu faire un soutien passif en disant : «Je ne participe pas à la campagne je ne dis rien.» Manuel Valls veut surtout prendre date pour l'après-présidentielle et pouvoir dire : «J'ai voulu barrer la route à Marine Le Pen.» Il a déjà le regard sur l'après-présidentielle.
Emmanuel Macron a une stratégie pour le moment optimale : il engrange des soutiens mais ne se lie pas les mains
RT France : La réaction d'Emmanuel Macron face au soutien de Manuel Valls, acceptant le soutien mais sans promettre aucun poste dans son équipe ou futur gouvernement est-elle un moyen suffisant pour empêcher ce soutien, qui peut s'apparenter à un «boulet», de lui nuire ?
B. C. : Bien sûr. Emmanuel Macron essaie de faire du gagnant-gagnant. Gagnant dans un premier temps en montrant qu'il y a une dynamique derrière lui, que des gens le soutiennent toujours un peu plus chaque jour. Gagnant dans un deuxième temps, car il explique que cette dynamique ne veut pas dire qu'il fera de la nouvelle politique avec des anciens. Emmanuel Macron a une stratégie pour le moment optimale : il engrange des soutiens mais ne se lie pas les mains.
RT France : Pensez-vous qu'Emmanuel Macron soit en train de profiter de ce qu'on appelle le «vote utile» dès le premier tour ?
B. C. : Il n'est pas impossible que cela soit le phénomène auquel nous assistons. De nombreux électeurs de gauche vont se dire qu'il faut éviter un deuxième tour Fillon/Le Pen. Il n'est donc pas impossible du tout qu'Emmanuel Macron bénéficie beaucoup du vote utile.
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