La ralliement de Manuel Valls à Emmanuel Macron peut avoir des conséquences imprévisibles pour ce dernier, et jouer en faveur de Benoît Hamon, explique Philippe Marlière, professeur en sciences politiques à l'University College de Londres.
RT France : Pouvait-on s'attendre à ce que Manuel Valls se rallie à Emmanuel Macron ?
Philippe Marlière (P. M.) : Ce qu’on savait après sa défaite lors de l’élection primaire, c’est que Manuel Valls était en opposition avec la ligne politique tracée par Benoît Hamon. L’un appartient à l’aile gauche, et l’autre à l’aile droite du parti. On savait qu’il n’allait pas faire campagne pour Benoît Hamon, puisqu’il y a un tel désaccord politique. Par contre, on ne savait pas, quatre semaines avant le premier tour, s’il irait jusqu’à publiquement annoncer son soutien à Macron. La plupart des commentateurs disaient qu'un tel acte de déloyauté et de trahison était impensable.
On voit que Manuel Valls, qui s’était engagé par écrit avec sa signature à soutenir Benoît Hamon lors de la primaire, a totalement trahi le candidat socialiste qui rencontre en plus en ce moment des difficultés importantes dans sa campagne. Cela clarifie totalement aux yeux de tous les intentions de Manuel Valls, qui continue à être membre du Parti socialiste mais qui va soutenir un candidat qui n’est pas socialiste, qui est combattu par ce parti, publiquement, avant l’élection. C’est un développement extraordinaire.
Soit ceux qui soutiennent Emmanuel Macron devront quitter le parti, soit nous serons témoins de tensions énormes au sein de ce parti
RT France : Le fait queManuel Valls trahisse sa promesse est-il un coup porté au Parti socialiste ? Qui cela va-t-il affecter le plus ?
P. M. : Cet acte aura des répercussions importantes pour le Parti socialiste, car il sera suivi d’autres défections. Maintenant que Manuel Valls a déclaré la sienne, il y en aura d’autres.
Ensuite, l’une des deux choses doit se passer : soit ceux qui soutiennent Emmanuel Macron devront quitter le parti ou être expulsés, soit, si ce n’est pas le cas, nous serons témoins de tensions énormes au sein de ce parti. Dans le premier cas, se posera la question de la survie du PS. Mais tout va dépendre de la dynamique qui va se créer autour de cette annonce de Manuel Valls. S’il y a des défections très importantes, effectivement, on pourra dire que le PS est en sursis – après l’élection tous sera remis en cause.
On voit déjà, grâce à un certain nombre de sondages, qu’Emmanuel Macron attire beaucoup de votes socialistes. Ce ne sera pas un vote pour des raisons idéologiques, mais pour des raisons tactiques : pour éviter un second tour entre François Fillon et Marine Le Pen. Les électeurs socialistes, voyant que Benoît Hamon a beaucoup de mal pour monter dans les sondages, choisissent le candidat le moins éloigné d’eux, à savoir Emmanuel Macron.
RT France : Pourquoi pas Jean-Luc Mélenchon ?
P. M. : Il y a un électorat social-démocrate de la gauche modérée qui ne votera jamais pour lui. Jean-Luc Mélenchon attire les électeurs radicalisés du PS, des communistes, mais pas au-delà.
Le bilan de François Hollande en qualité de président n’est pas jugé positif par la majorité des Français
RT France : Ce ralliement de Manuel Valls, ne serait-il pas au contraire un cadeau empoisonné pour Emmanuel Macron, vu le manque de popularité de ce premier ?
P. M. : Oui, et on voit que François Fillon a déjà trouvé une parade qui consiste à dire : «Manuel Valls a été le Premier ministre, le supérieur d’Emmanuel Macron, et si ce premier soutient le candidat d’En Marche !, cela signifie que ce dernier est la continuation de François Hollande». Cette corrélation peut nuire à Emmanuel Macron, car le bilan de François Hollande en qualité de président n’est pas jugé positif par la majorité des Français. C’est le premier point.
Mais je crois que cela peut effectivement démoraliser et déboussoler certains électeurs socialistes modérés qui s’apprêtaient à voter Emmanuel Macron, mais qui, voyant le côté déloyal, malhonnête de la démarche de Manuel Valls, vont dire : «Si c’est ça, la façon nouvelle de faire de la politique d’Emmanuel Macron – eh bien, non». Cela peut paradoxalement être une bonne nouvelle pour Benoît Hamon, parce que, alors qu’il semble perdre énormément aujourd’hui – le fait d’avoir le candidat socialiste battu lors de la primaire, Manuel Valls, qui aujourd’hui, d’une façon totalement déloyale appelle à voter pour Emmanuel Macron – pourrait avoir l’effet inverse sur les électeurs.
Le vote des électeurs socialistes pour Emmanuel Macron s’explique par la peur d’avoir François Fillon au deuxième tour
C’est-à-dire que les électeurs verront cela comme une espèce de magouille, une démarche qui n’est pas honnête, et peut-être que certains qui hésitent encore peuvent revenir vers Benoît Hamon, par principe. Et ce d’autant plus qu’Emmanuel Macron semble avoir distancé François Fillon dans les sondages, parce que le vote des électeurs socialistes pour Emmanuel Macron s’explique par la peur d’avoir François Fillon au deuxième tour.
«Si vous avez Emmanuel Macron nettement en tête dans les sondages, c’est donc qu’il est moins important de voter pour lui au premier tour, nous voterons pour lui au deuxième tour contre Marine Le Pen. Au premier tour, restons et votons pour le candidat qui, peut-être, ne nous enthousiasme pas, mais qui est candidat de notre parti, et qui a été maltraité par Manuel Valls». On voit que cela peut jouer dans les deux sens. Voyons aussi comment Emmanuel Macron va recevoir cet appel.
Cela serait de la folie de la part d'Emmanuel Macron d’accueillir à bras ouverts Manuel Valls
RT France : Il a déjà dit «Non, merci»…
P. M. : Oui, bien sûr. Cela serait de la folie de sa part d’accueillir à bras ouverts Manuel Valls, parce qu’il sait qu’il est impopulaire dans le Parti socialiste, il sait que sa déloyauté lui serait fortement reprochée dans le PS, et c’est déjà le cas. Il apparaitrait comme lui-même, parti prenant de ses magouilles, d’accueillir à bras ouverts Manuel Valls – non, au contraire, il va le minimiser. D’une certaine manière, celui qui perdra peut-être le plus en crédibilité sur le long terme, c’est Manuel Valls. Il aurait pu se taire pendant cette élection, attendre son heure et, d’ici quelques années, revenir sur le devant de la scène. En faisant cela, il a largement hypothéqué l’avenir pour lui, parce qu’aujourd’hui il va être complètement persona non grata au PS, et puis il n’est pas accueilli comme un sauveur du tout du côté d’Emmanuel Macron. Donc finalement il se retrouve un peu tout seul au milieu.
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