Confronté à un scandale politique et éthique, François Fillon est en mauvaise position, selon Philippe Marlière, professeur en sciences politiques de l'University College de Londres qui estime néanmoins qu'Emmanuel Macron n'a pas toutes ses chances.
RT France : Après les dernières déclarations de François Fillon, on a vu qu’il a été lâché par l’UDI, par Bruno Le Maire. Le fait qu’il n’ait pas tenu sa promesse est-il grave pour lui d'un point de vue électoral ?
Philippe Marlière (P. M.) : Je pense que cela pose un nouveau problème, d’abord de nature éthique, de conviction, de responsabilité politique. A la fin du mois de janvier, il avait déclaré que, s’il était mis en examen par les juges, il se retirerait de la course présidentielle. Maintenant il tient un tout autre discours. Cela s’accompagne surtout d’une critique très virulente des pouvoirs des juges qui seraient, selon lui, censés régler à la place des Français, la question de l’élection présidentielle. Ce manquement à la parole et à l'éthique crée de nouveau un problème politique. A partir du moment où vous ne respectez pas votre parole sur un sujet important, comme la mise en examen veut dire que les preuves contre vous sont suffisamment graves pour que le juge décide d’approfondir l’enquête et possiblement vous inculper après, cela crée une nouvelle situation politique. Il y avait déjà dans son parti des réactions négatives et des départs de proches. Cela veut dire que, politiquement, si François Fillon parvient à rester dans la course, ce qui n’est pas sûr parce que le débat va commencer dans son propre parti, sa crédibilité de candidat va encore être amoindrie.
Quand un homme politique, quel qu’il soit, met en cause les pouvoirs des juges, quelque chose d’un peu sinistre est en train de se jouer
Ce qu’il faut surtout regarder de près, en plus des conséquences politiques, c'est qu'il y a une contre-attaque politique qui me semble très grave. Quand un homme politique, quel qu’il soit, met en cause les pouvoirs des juges, quelque chose d’un peu sinistre est en train de se jouer. François Hollande, qui n’est politiquement pas beaucoup plus crédible est intervenu à ce sujet, disant qu'on ne peut pas a priori remettre en cause le travail impartial et objectif des juges et des enquêteurs. L’ultime défense de François Fillon est de dire «c’est au peuple de trancher». Est-ce au peuple de trancher sur quelque chose où il y a un problème criminel, de corruption ? On est en train de prendre une voie extrêmement dangereuse.
RT France : François Fillon et ses partisans dénoncent le timing de ces poursuites qui, selon eux, n’est pas anodin, arguant que, normalement, cela prend beaucoup plus de temps à la justice de commencer une enquête.
P. M. : Oui, c’est vrai. Il y a certes des affaires où cela traîne en longueur, avec Nicolas Sarkozy c’était plus long. Cela tient à la nature de l’enquête. Si ce qui est en jeu, c’est des emplois fictifs, il suffit à partir d’une accusation d’emploi fictif de remonter le fil des faits et de dire : prouvez-moi qu’il y a un travail, parce que nous pensons qu’il n’y a pas eu de travail réalisé pour cette rémunération. Le problème de François Fillon est qu’il ne parvient pas de façon convaincante à montrer qu’il y a eu travail. Cela ne veut pas dire qu’il va être condamné ou sera coupable. Cela veut dire que pour le moment il a beaucoup de mal à convaincre les enquêteurs qu’il n’a rien fait de mal. C’est pourquoi, à mon avis, c’est une enquête plus facile que d’autres d'un point de vue technique. L’élection est dans deux mois, on peut arriver à une situation paradoxale et dangereuse où François Fillon sera élu, avant que les enquêteurs aient terminé l’enquête, et elle devra s’arrêter, parce que le président a une immunité judiciaire. On pourrait avoir un président sur lequel il y aurait des doutes.
S’il parvient à s’en sortir à nouveau, sa campagne ne va pas s’améliorer
RT France : Y-a-t-il pour la droite une alternative à François Fillon, alors qu'il a été désigné par la primaire ?
P. M. : Le premier débat a eu lieu il y a quelques semaines, il s’est terminé par la reproduction implicite de la candidature de Fillon. Le premier débat est de se dire «il faut changer de candidat» parce que les accusations sont trop graves, il risque d’être atteint, s’il s’avère que quelque chose d’illégal a été fait». Des députés des Républicains ont lancé ce débat, mais ils étaient minoritaires. Ils vont peut-être revenir en force. Il y a quelques semaines l’argument de François Fillon était de dire «il est trop tard» et surtout : «Regardez autour de moi, qui peut le faire, personne n’a envie de le faire : Alain Juppé ne veut pas le faire, Nicolas Sarkozy ne veut pas le faire, y-a-t-il une figure suffisamment connue pour me remplacer ?» Je pense que ce n’est pas un argument politique, c’est un argument de commodité que de se dire que, deux semaines après les candidatures seront déposées devant le Conseil constitutionnel et si vous n’avez pas de remplaçant avant, c’est fini. François Fillon va aller jusqu’au bout, et même si vous le changez maintenant, imaginez le nouveau candidat, il partira dans une position de faiblesse totale, ce sera un remplaçant probablement peu connu qui n’aura pas le temps de mener une campagne. Les arguments jouent en faveur de François Fillon, tant qu’il n’y a pas eu de preuves qu’il a commis un acte illégal. S’il parvient à s’en sortir une nouvelle fois, sa campagne ne va pas s’améliorer : quand il fait des discours politiques, il est accueilli à la fois par ses partisans et ses opposants qui crient des slogans anti-Fillon. Cela fait désordre. Les candidats conservateurs français ne nous ont pas habitué à cela. Il y a une grande faiblesse dans la position de François Fillon et de la droite. Qu’elle change de candidat ou non, la droite devait gagner cette élection, et aujourd’hui c’est beaucoup moins sûr.
Emmanuel Macron a ses propres faiblesses, son programme essaie de prendre un petit peu à gauche et à droite et risque de mécontenter tout le monde
RT France : Faut-il se préparer à un duel Macron-Le Pen ?
P. M. : Logiquement, si ce n’est pas François Fillon, puisque Marine Le Pen semble à peu près assurée d’être au deuxième tour, ce serait Emmanuel Macron le mieux placé. Il reste encore deux mois, on peut avoir d’autres surprises. Il y a un quatrième candidat, beaucoup moins plausible, Benoît Hamon, parce qu’il faudrait que Jean-Luc Mélenchon se retire. Emmanuel Macron est un candidat jeune, peu connu, peu expérimenté, il n’a pas de parti mais un mouvement. Ces dernières semaines, il est monté très haut, mais les gens ne le connaissent pas bien. Il y a beaucoup de questions. Mise à part Marine Le Pen au premier tour, dont on voit que son électorat est le plus stable, les autres candidats ont des points de force, mais aussi des faiblesses énormes. Emmanuel Macron a ses propres faiblesses, son programme essaie de prendre un petit peu à gauche et à droite, et, finalement, il risque de mécontenter tout le monde. Pour lui ce n’est donc pas évident non plus.
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