Entre bonnes intentions et effets pervers, le Décodex du Monde vu par le journaliste Guy Mettan

Entre bonnes intentions et effets pervers, le Décodex du Monde vu par le journaliste Guy Mettan© Christian Hartmann Source: Reuters
Un employé du Monde vérifie la couverture d'un numéro du quotidien.
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Derrière l'initiative intéressante promise par le nouvel outil de lutte contre les «fake news» du Monde, le journaliste suisse Guy Mettan voit un biais et un risque potentiel de limiter la pluralité de la presse. Analyse.

RT France : Le Monde a lancé Décodex un outil de classification des sources d'informations selon leur fiabilité. Si le principe de donner les clés d'analyse sur les médias, de leur financement à leurs orientations politiques, est louable​, il interroge sur la légitimité du Monde à se poser comme juge et partie. Comment percevez-vous cela ?
Guy Mettan (G. M.) : Je trouve l'initiative intéressante puisqu'il est vrai que nous connaissons un problème avec internet et les réseaux sociaux où circulent d'innombrables informations fausses ou déformées par de la propagande. Ce phénomène n'est néanmoins pas nouveau. Il existe depuis une quinzaine d'années. En ce sens, la tentative du Monde d'apporter une méthode qui permette de donner un cadre à la nébuleuse internet n'est pas mauvaise en soi. Elle a notamment le mérite d'ouvrir un débat public sur ce qu'est une information vraie, sur les sources et leur vérification.

Mais elle n'est pas non plus exempte de défauts. Le premier problème est celui des conditions initiales. L’émetteur n'est jamais neutre. Quel qu'il soit. Il faudrait élaborer une méthode scientifique extrêmement rigoureuse avec des experts neutres et pluralistes. Mais ce n'est pas le cas avec Décodex, puisque la liste a été entièrement faite par des journalistes du Monde. Il y a donc un problème d'impartialité, de neutralité et d'objectivité des personnes qui jugent. Cela n'assure pas la crédibilité de l'outil. Le Monde est la propriété de trois actionnaires capitalistes qui sont tous attachés à l'idéologie néolibérale, mondialiste et atlantiste. Il y a donc un biais à la source. Cette donnée de base n'est d'ailleurs pas annoncée avec transparence. Dans la présentation de Décodex par la rédaction, on n'en trouve aucune mention. Ce type d'initiative, même si elle part d'une bonne intention, risque toujours d'être biaisée par le manque d'impartialité et d'objectivité de ceux qui la lancent.

Vouloir définir les devoirs du journalisme revient à décréter ce qui est soi-disant bien ou mal, ce qui est supposé vrai ou faux

Je reste donc assez sceptique sur cette démarche. Décodex me rappelle une expérience que j'avais vécue il y a une vingtaine d'années. A la fin des années 1990, l'Unesco avait voulu lancer une charte des devoirs de l'homme et des journalistes. Le directeur général de l'Unesco avait ouvert des discussions entre des rédacteurs en chefs, des philosophes, des scientifiques, des juristes et également des hommes politiques en Espagne. L'idée était de créer une charte des devoirs de l'homme en parallèle à celle des droits de l'homme. Ces échanges s'étaient avérés extrêmement intéressants mais le panel des journalistes - qui comprenait des rédacteurs en chefs de très grands médias comme le New York Times - et qui réfléchissait à la création d'une charte pour ce métier, y a rapidement renoncé. Nous nous sommes rendus compte que vouloir définir les devoirs du journalisme revenait à décréter ce qui était soi-disant bien ou mal, ce qui était supposé vrai ou faux.

On a rapidement pris conscience qu'une telle charte finirait par étouffer la liberté d'expression et la pluralité des médias. Cette initiative avortée me fait penser aux défauts potentiels de Décodex. On risque très rapidement de désigner de manière arbitraire et peu transparente qui sont les bons qui éclaireraient le public, et qui seraient les «méchants» qui voudraient le tromper. Ce serait la fin de la démocratie. Or ce risque existe quand bien même les ambitions de départ paraissent louables.

On revient toujours au même problème : celui du journaliste qui vit en vase clos, replié sur son entre-soi et qui recommande ses proches et disqualifie ceux qui ne pensent pas comme lui

RT France : A l'heure où la défiance des citoyens envers les médias se renforce, ce genre d'outil peut-il inverser la tendance ou risque-t-il d'entraîner l'effet inverse en poussant les lecteurs à se diriger vers les sites catégorisés comme peu ou non fiables ?
G. M. : Il est vrai qu'il y a une chute dramatique de la crédibilité des médias et du journalisme. Cette situation s'est cristallisée ces derniers mois avec l'accumulation d'erreurs comme la couverture du Brexit. Il y a également eu l'échec de l'anticipation de la victoire de Donald Trump ou de celle de François Fillon ou même encore plus récemment chez les socialistes de celle de Benoît Hamon. Tout cela montre que la plupart des médias sont désormais incapables de décrypter ce que pensent leurs propres lecteurs.

Un outil comme Décodex pourrait permettre de redonner des éléments de confiance au public. Mais je n'en suis pas certain tant que l'impartialité n'est pas assurée. On constatera très rapidement que le système est assez biaisé et qu'il sert avant tout à conforter les personnes et les médias qui pensent d'une certaine manière. On en revient toujours au même problème : celui du journaliste qui vit en vase clos, replié sur son entre-soi et qui recommande ses proches et disqualifie ceux qui ne pensent pas comme lui. Aussi bien intentionné que soit Décodex, il lui sera difficile d'échapper à ce risque.

L'explosion des «fake news» n'est que la face visible de la croissance exponentielle des sites d'information et d'opinion sur Internet


RT France : Au delà de Décodex, les médias posent actuellement comme essentielle la question de la lutte contre les «fake news». Quelle réponse apporter à cette problèmatique?
G. M. : Je ne crois pas que cela soit aussi central qu'on le présente. Le problème des «fake news» a toujours existé. Les médias les plus prestigieux ont tous partagé à moment ou un autre des informations erronées. Internet a donné à ce phénomène une très grande ampleur qui se traduit logiquement par une démultiplication des informations tronquées ou orientées. L'explosion des «fake news» n'est que la face visible de la croissance exponentielle des sites d'information et d'opinion sur internet. C'est la rançon de la diversification des contenus et des opinions consultables.

Ce phénomène est plutôt positif. C'est un enrichissement. Le développement de chaînes de télévision comme RT, CCTV ou Al Jazeera relève à mon sens de l'enrichissement du pluralisme et de la diversité de l'information. Ce phénomène est à mon sens positif, que l'on soit d'accord ou non avec le discours ou la ligne éditoriale de ces médias. Plus il y a de diversité des points de vue, mieux se porte l'information. Ce qui est important, c'est de croiser les sources d'information. On l'a vu lors des événements de Syrie : les médias occidentaux ont informé de façon totalement unilatérale et il fallait consulter les chaînes russes, iraniennes ou gouvernementales pour avoir une bonne idée de ce qui se passait en réalité.

Les médias occidentaux ne sont plus les prescripteurs de la manière de lire et de décrire le monde face à des médias et journalistes tout aussi professionnels qu'eux et qui présentent des points de vue différents

Enfin, je pense que le souci des grands médias occidentaux comme Le Monde ou le New York Times ou des chaînes comme la BBC ou CNN découle du fait qu'ils étaient habitués à dominer le monde de l'information. Ils donnaient le «la» de la couverture internationale médiatique. Mais ces institutions reflétaient uniquement une vision occidentale du monde et de l'information. Cette prédominance est aujourd'hui concurrencée par l'émergence d'autres chaînes et de médias qui n'émanent pas de l'Occident mais de la Chine, de la Russie, de l'Inde ou du Moyen-Orient et qui ont pour ambition d'apporter leur propre lecture des événements, lecture qui entre en concurrence avec celle de l'Europe et l'Amérique.

Cette confrontation est à mon sens source d'enrichissement et gage de pluralité mais elle soumet aussi les médias occidentaux à une certaine pression. Ils ne sont plus les prescripteurs de la manière de lire et de décrire le monde face à des médias et journalistes tout aussi professionnels qu'eux et qui présentent des points de vue différents. C'est une situation très difficile à accepter pour les grands médias occidentaux.

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