Grâce à un nouvel outil, le journal Le Monde vole au secours des pauvres hères en quête d’informations authentiques. Mais selon le chroniqueur de RT Matthieu Buge, «Décodex» ne fait que participer à la décrédibilisation de la classe médiatique.
Dans cet univers de confusion, de chaos et de perte de repères, les équipes du monde.fr sont là pour vous sauver. Face à la diffusion de fausses nouvelles sur internet et l’égarement des populations qui se mettent à se poser des questions tout à fait incongrues quant au traitement de l’actualité, ces très sérieux journalistes se sont mobilisés, ont sué sang et eau pour rétablir un peu d’ordre dans ce foutoir 2.0. De leurs brillantes méninges vient de sortir l’outil «Décodex», pour que chacun puisse s’assurer que les informations qu’il avale ne sont pas issues de cerveaux malades.
Un projet en béton
«Décodex», nous apprend la présentation de la brigade de «fact checkers» du Monde, est «le fruit de plus d’un an de travail». Diantre ! Plus d’un an de labeur ! Plus de 365 jours pour définir cinq catégories de sites d’informations (du moins au plus crédible), donner une phrase de présentation pour chaque site et le verdict global des experts. On espère qu’ils ont eu le droit à un joli bonus de fin d’année pour leur peine.
A bien y regarder, il n’y a en réalité que trois catégories. Vert : bien. Orange : méfiance. Rouge : abomination. Les deux autres sont sans doute destinées à étoffer le projet puisqu’entre «Gris : ceci n’est pas un site d’information» et «Bleu : il s’agit d’un site parodique», on se dit que Samuel Laurent et ses petits collègues ne peuvent tout de même pas à ce point prendre leurs lecteurs pour de parfaits crétins. Quant à la méthodologie, on ne saurait douter de sa probité : «Dans ce travail, nous n’avons pas tenu compte de la nature des positionnements politiques ou idéologiques des sites, des pages ou des comptes sur les réseaux sociaux étudiés. Notre seul critère a été leur respect des règles journalistiques (croisement des sources, vérification, etc.)» Malheureusement, ils ne nous disent pas s’ils ont passé cette année à aller dans les différentes rédactions soumises à leur jugement pour vérifier comment les journalistes travaillaient... Mais on les croit sur parole. Ce sont les journalistes du Monde, quand même !
On pourrait bien sûr insister sur le fait qu’un site d’actualités qui distribue les bons et les mauvais points dans le monde de l’information ressemble à un banquier de Wall Street décidant des lois en termes de régulation financière, mais passons, tout le monde l’a fait, à commencer par Elisabeth Lévy qui s’impatiente d’avoir le verdict des Sages au sujet de son Causeur.
Crash Test
Alors évidemment, nous avons testé «Décodex». La BBC et Le Monde passent l’examen haut la main, en étant dans le vert. Ouf ! Tout comme L’Obs, Libération, CNN avec ses approximations géographiques et son expert qui assure que Poutine a subtilisé le MH-370, le Huffington Post avec les contributions d’une Caroline Fourest. Jouissent aussi des faveurs des Décodeurs Buzzfeed et Têtu. Ces sites sont donc considérés comme «en principe plutôt fiables». On note ici la subtilité de l’esprit journalistique qui règne au Monde : il vaut mieux préciser «en principe» car on n'est jamais à l’abri d’une boulette, ou, comme on dit quand on est honnête, d’être pris la main dans le sac à mensonges.
Jacques Sapir et Closer dans la même catégorie, il fallait oser
En orange, on retrouve des sites aussi divers que le blog de l’économiste Jacques Sapir (critiqué pour son manque de précisions, alors qu’on serait bien en peine de trouver des articles d’une telle rigueur dans les pages du Monde), RT France, ou encore Closer. Jacques Sapir et Closer dans la même catégorie, il fallait oser. Pour RT France, nous apprenons : «Une chaîne de télévision associée à un site d'information, financée par le pouvoir russe, créée en 2005 dans le but de donner une image plus favorable de Vladimir Poutine à l'étranger.» Outre le fait que ladite chaîne de télévision n’existe pas encore, on se demande pourquoi, n’est pas inscrit, pour CNN, «financée dans le but de faire élire Hillary Clinton», mais passons... Ils n’ont pas tenu compte des oritentations politiques, vous disent-ils !
Dans la catégorie des horribles diffuseurs d’abominations journalistiques, nous n’avons trouvé que le blog Les-Crises, ce qui est plutôt curieux pour un site qui reprend volontiers des articles de médias traditionnels... Serait-ce par mesquinerie à cause de la décullotée que celui qui anime ce blog, Olivier Berruyer, avait infligée à Piotr Smolar (du Monde) dans un débat sur la crise ukrainienne ? Non, les Décodeurs sont tout de même au-dessus de ça.
Un des problèmes de la méthodologie des Décodeurs est donc bien qu’ils se retrouvent à mettre dans le rouge des sites qui fonctionnent comme des agrégateurs et qui se nourissent de différentes sources, proposant ainsi une diversité de l’information nettement plus évidente que ce qu’offre lemonde.fr. Comme l’écrit Elisabeth Lévy : «Comme FDesouche ne publie que des informations puisées ailleurs, dans des médias certainement labellisés verts par Decodex, cela signifie qu’une information cachère dans Le Parisien devient immangeable chez FDesouche.»
Subutex
Pauvres Décodeurs qui ne se sont pas rendu compte que, pendant plus d’un an de labeur, ils se tiraient une balle dans le pied. Pour les médias traditionnels comme lemonde.fr, CNN, Libération..., victimes d’une décrédibilisation dont ils sont les premiers responsables et dont l’année 2016 a probablement été le couronnement, décider de s’introniser contrôleur du monde de l’information n’était pas la plus fine des idées. «Décodex» se veut une sorte de subutex pour les accrocs aux «fausses nouvelles», mais il n’échappe à personne que c’est le dealer qui a conceptualisé le remède.
Plus d’un an de travail pour ça ! Néanmoins, on doit concéder que le principe n’est pas mauvais. Il faudrait juste que celui qui le met en pratique ne soit pas juge et partie. On a d’ailleurs une idée pour les Décodeurs : suggérer à leurs acolytes de Libération d’en parler à leur ancien actionnaire minoritaire Bernard-Henri Lévy, afin qu’il vérifie que ses sources comme Botul ne sont pas classées «Bleu».
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