Le black-out des médias français dans la couverture de la situation militaire à Mossoul, amène à trouver des explications, mais pas des excuses, car cela empêche de lutter contre le terrorisme islamique, estime l'analyste Philippe Migault.
La bataille de Mossoul a débuté il y a près de quatre mois. Quatre mois de combat urbain contre des islamistes fanatiques bien décidés, sinon à mourir – l’armée irakienne aurait fait de nombreux prisonniers – du moins à faire payer le plus lourd tribut possible aux forces de la coalition conduite par les Etats-Unis. Quatre mois d’affrontements rue par rue, maison par maison, étage par étage, dans une agglomération qui abriterait encore près d’un million d’habitants. Inutile, à cette aulne, de préciser que le tribut payé par les civils est nécessairement lourd. Forces spéciales irakiennes d’une part, desperados wahhabites de l’autre : les dommages collatéraux sont le dernier des soucis des combattants en présence. Pourtant les articles de la presse française sont, pour la plupart, aussi secs et concis qu’une dépêche du service économique de l’AFP. Pas d’émotion excessive, pas de pathos, les faits, rien que les faits, coco !
Pas question de black-out imposé pour cacher d’éventuelles bavures, d’atteinte à la liberté de la presse. On constate, on ne commente pas
Cette prudence des rédactions est, à première vue, louable. Les reporters français en Irak ne parlent pas, ou peu, des pertes civiles parce qu’ils ignorent tout, ou presque de ce qui se passe dans Mossoul assiégée. A quelques exceptions près, les médias en sont réduits à citer les articles de la presse anglo-saxonne, s’émouvant du carnage en cours. Europe 1, évoquant le travail du New York Times et du Washington Post s’est quelque peu enhardie quelques jours avant Noël, évoquant «les civils traqués comme à Alep» : «La situation des civils devient plus désespérée de jour en jour. La presse, en Occident, commence à en prendre conscience. Elle commence, raconte le New York Times, parce que ces victimes sont en grande partie invisibles. L’armée irakienne interdit aux journalistes la plupart des accès à la ligne de front et l’aide humanitaire parvient difficilement aux quartiers les plus peuplés tenus par Daesh», rapporte la radio. Pourtant celle-ci, qui souligne la censure imposée aux médias par les forces gouvernementales irakiennes, ne s’en émeut pas plus, curieusement, que ne le fait la presse française dans son ensemble. Pas question de black-out imposé pour cacher d’éventuelles bavures, d’atteinte à la liberté de la presse. On constate, on ne commente pas. Pas plus qu’on ne proteste.
Pourtant, outre cette censure de l’armée irakienne, la situation est très proche de celle que l’on a connue pendant des mois à Alep : «L’eau et l’électricité ont été coupées. Quasiment plus rien n’entre dans le centre-ville, et l’ONU ne tient pas le compte du nombre estimé de victimes civiles, de victimes militaires non plus d’ailleurs, puisque les forces irakiennes ne tiennent pas de statistiques. Et pourtant elles seraient extrêmement nombreuses. Oui, victimes à la fois de l’Etat islamique, qui se sert de ces civils comme boucliers humains, et des frappes conduites par la coalition pour appuyer l’offensive au sol», poursuit Europe 1. Le parallèle est donc évident aux yeux des journalistes de la rue Bayard : prise entre deux feux, celui des djihadistes et celui de l’aviation les pilonnant, la population paie le prix fort, à Mossoul comme à Alep.
Le travail du journaliste est donc de rester en vie, libre de ses mouvements et de s’exprimer. Parce qu’il n’est pas plus glorieux d’être pris en otage pour un envoyé spécial que d’être fait prisonnier pour un soldat
C’est à ce stade que la retenue dont font preuve les médias français dans leurs travaux cesse de devenir louable pour devenir suspecte. Les faits sont établis : la tragédie d’Alep est en voie de se reproduire. Mais rien, rien, pas un poil d’indignation. Pas une tribune de BHL, pas un édito de Libé… Europe 1 souligne que les aviateurs américains et français sont contraints de limiter leurs frappes pour éviter les pertes civiles, mais ne va pas au-delà. Combien de morts déjà dans les combats ? Combien de bavures ? On verra plus tard. Il est d’usage dans le métier de rappeler que la presse n’est pas là pour «parler des trains qui arrivent à l’heure», mais pour «porter la plume dans la plaie», conception typiquement française de l’exercice journalistique. Mais en l’espèce, le train n’est pas arrivé à l’heure : Mossoul, selon les déclarations de François Hollande, ne devrait pas tomber avant le printemps, voire avant l’été. Et le massacre, l’occasion de jouer les Albert Londres, va donc se poursuivre…
Bien entendu les journalistes français peuvent exciper de leur incapacité à enquêter sur place, dans Mossoul, pour expliquer cette retenue. Et on ne saurait leur en vouloir. Les rédactions françaises ne sont pas assez folles pour prendre le risque d’envoyer des reporters dans la ville : un journaliste est là pour rapporter de l’information. Son travail est donc de rester en vie, libre de ses mouvements et de s’exprimer. Parce qu’il n’est pas plus glorieux d’être pris en otage pour un envoyé spécial que d’être fait prisonnier pour un soldat. Mais ces règles s’imposaient aussi aux journalistes à Alep-Est, dont ils étaient absents. Et ils n’ont pas fait preuve de la même prudence, se contentant de témoignages de seconde main, de tweets suspects ou des rapports d’un Observatoire syrien des droits de l’homme dont on connaît les ressources et la crédibilité. Pourquoi ? Sans doute parce que les journalistes ont, dans leur immense majorité adopté une ligne similaire à celle du quai d’Orsay. Alep-Est était tenue par les djihadistes modérés que nous soutenions. Elle est donc «tombée» aux mains des troupes du dictateur Bachar el-Assad. A contrario, Mossoul est entre les mains des djihadistes qui ont posé des bombes dans nos rues, strictement au nom du même corpus religieux mais qu’importe : elle, sera «libérée» !
Les Russes ont pilonné sans état d’âme les troupes d’Al-Qaïda à Alep-Est et cela leur a valu une condamnation quasi-unanime
Evidemment, il n’est pas question ici de reprocher à la presse française de soutenir par sa retenue la coalition combattant l’Etat islamique. La France a été libérée des nazis à coups de bombes incendiaires, Mossoul paiera nécessairement sa délivrance du prix de grandes souffrances. C’est le lot de toute guerre.
En revanche il est bien plus condamnable que cette presse module ses trémolos en fonction du théâtre d’opérations où ces djihadistes, tous aussi nuisibles et fanatiques les uns que les autres, opèrent. Un mineur aurait été tué au Mali dans une opération de l’armée française et de suite les esprits s’agitent. Les Russes ont pilonné sans état d’âme les troupes d’Al Qaïda à Alep-Est et cela leur a valu une condamnation quasi-unanime.
Ce deux poids, deux mesures n’est plus tolérable. L’ennemi, c’est le totalitarisme islamique. Où qu’il se trouve, sous quelque forme qu’il opère. Le combattre est un devoir pour une nation qui a payé un lourd tribut au terrorisme salafiste. Et dans cette guerre sans merci il n’y a pas plus de retenue à avoir dans le choix de ses alliés que de précautions verbales à prendre suivant celui qui frappe l’adversaire.
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