L'envoi de forces américaines en Europe est moins un signal des US pour rassurer leurs alliés européens face à la Russie qu'un ultime coup de menton de l'administration sortante, estime l'analyste Philippe Migault.
Sur le papier cela ressemble à une démonstration de force. Près de 4 000 hommes, 87 chars lourds, 144 véhicules blindés de combat d’infanterie, de nombreux autres moyens de soutien. La 4e division d’infanterie américaine (DIUS) a débarqué dans les ports allemands avant de prendre la direction de la Pologne et des Pays Baltes devant les centaines de caméras et appareils photos de la presse internationale. Des mastodontes d’acier, des GI’s bodybuildés en tenue de camouflage. Quelle meilleure preuve de la volonté américaine d’assurer la sécurité de l’Europe occidentale vis-à-vis de la menace russe ? Quel meilleur symbole d’un retour vers la guerre froide ?
L’impression, toutefois, est trompeuse à plus d’un titre.
Ce corps expéditionnaire est loin de rétablir un équilibre rompu en faveur de Moscou : le rapport de force sur zone joue déjà en faveur de l’OTAN
En premier lieu parce que ce déploiement n’est qu’une opération politico-médiatique d’ampleur modeste, destinée à rassurer les Etats orientaux de l’Union européenne vis-à-vis d’une Russie soit disant prête à les agresser. Aussi impressionnantes que soient les photos des convois de blindés américains sur les routes allemandes, l’arrivée de la 4e DIUS n’est pas de nature à modifier substantiellement le rapport de force en Centre-Europe. Car les moyens déployés sont extrêmement faibles comparativement aux arsenaux russe et «occidentaux» qui se font face dans la région. Et ce corps expéditionnaire est loin de rétablir un équilibre rompu en faveur de Moscou : le rapport de force sur zone joue déjà en faveur de l’OTAN.
En second lieu parce qu’il n’y a pas de menace russe crédible vis-à-vis de la Pologne et des Pays Baltes, compte tenu –entre autres facteurs- de l’infériorité des moyens russes.
Dans le cadre d’une opération offensive, il existe une norme académique, partagée par la plupart des armées modernes, qui suppose une supériorité en hommes et matériels de trois contre un en faveur de l’assaillant pour que celui-ci dispose d’une bonne chance de succès. Or la Russie en est très loin.
Evidemment si l’on s’en réfère aux chiffres des appareils militaires se faisant face de part et d’autre de la frontière séparant la Russie des Etats Baltes, les forces armées russes disposent d’un avantage écrasant. Avec 300 000 hommes, 700 chars, 290 avions de combat, 180 hélicoptères dont plus de 80 appareils d’attaque, le commandement militaire russe de l’ouest dispose sur le papier de quoi conquérir les Etats Baltes, vide stratégique, en 48 heures. Si, à l’instar de ce que pratique le think-tank polonais PISM, on cumule les effectifs des commandements militaires russes de l’ouest (Centre de commandement Saint-Pétersbourg) et sud (Rostov sur le Don), on obtient un dispositif impressionnant de 372 000 hommes, 1 100 chars, 1 900 véhicules blindés de combat d’infanterie, 570 avions de combat et 180 hélicoptères d’attaque pour la seule Russie d’Europe.
Le rapport de forces est donc loin d’être favorable à Moscou
Mais les Européens sont loin – en dehors des Baltes- d’être dépourvus face à de telles forces. Si l’on s’en tient strictement aux Etats orientaux et méridionaux de l’OTAN faisant face aux commandements sud et ouest des forces armées russes on compte plus de 1 800 chars opérationnels contre un total de 2 150 seulement pour toute la Russie, plus de 600 avions de combat et un million d’hommes sous l’uniforme. Certes cette première ligne – en dehors des forces armées turques, norvégiennes, hongroises et polonaises - se compose pour l’essentiel de troupes à la combattivité sujette à caution. Mais les Baltes sont loin d’être seuls, perdus en position avancée. Membres de l’UE et de l’OTAN, ils sont couverts à ces titres en cas d’agression par l’article 5 du Traité de l’Alliance Atlantique et le point 7 de l’article 42 du Traité Européen. Ils sont adossés à un ensemble militaro-industriel sans rival au monde. Si l’on s’en réfère aux sources de l’OTAN, les seuls Etats européens de l’Alliance ont consacré 238,844 milliards de dollars pour leur défense en 2016, maintenant plus de 1 800 000 hommes sous les armes. Comparativement la Russie, qui est engagée lourdement en Syrie et doit faire face à la montée en puissance de l’armée chinoise en Extrême-Orient, a consacré l’an passé 66,4 milliards de dollars à sa défense, selon le SIPRI, et dispose de moins de 800 000 soldats. Le rapport de forces est donc loin d’être favorable à Moscou. D’autant que ce décompte ne prend pas en considération les forces suédoises et finlandaises, lesquelles coopèrent de plus en plus étroitement avec l’Alliance Atlantique et qui, probablement, se rangeraient dans le camp «occidental» en cas d’affrontement avec la Russie dans l’espace Baltique-Centre Europe.
La menace d’une conflagration de ce type est au demeurant si peu prise au sérieux par les Etats-majors des principaux membres européens de l’OTAN qu’ils ne s’empressent nullement de réarmer massivement. Les Américains débarquent des chars ? Les Russes font défiler fièrement leurs T-14 Armata ? Pour les Européens le char, roi du champ de bataille de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre froide, n’est plus une priorité. L’Allemagne, qui dispose d’un gigantesque parc de véhicules sous cocon, a décidé en 2015, en pleine crise ukrainienne, de ne remettre en service qu’une centaine de Léopard-2, portant son effectif total à 328 engins, sept fois moins que ce dont elle disposait en 1985, à l’apogée de la menace soviétique. La France a décidé de rénover 200 chars Leclerc entre 2020 et 2028, les portant au standard XLR : on est loin de sembler se préoccuper d’une déferlante de blindés russes…Certes il est question d’accélérer le programme Scorpion, qui signifiera une très sensible augmentation des capacités de combat de l’armée de terre française à compter de 2018. Mais il s’agit surtout de remplacer au plus vite les véhicules de l’avant blindé (VAB) de l’armée française, usés jusqu’à la corde par 40 années d’opérations extérieures incessantes, par des engins à roues modernes et bien plus adaptés au combat en Afrique ou au Moyen-Orient qu’à un conflit de très haute intensité contre un adversaire lourdement blindé... Car chacun en Europe, en dehors des Etats orientaux de l’UE et de l’OTAN, est bien conscient que la menace n’est plus Est-Ouest, mais Sud-Nord.
La menace russe sur les Etats Baltes relève du fantasme
La gesticulation des forces armées américaines en Europe doit à ce titre être appréhendée correctement dans son cadre politique. Ultime coup de menton d’une administration Obama désireuse, sur sa fin, de donner l’illusion d’avoir été inflexible en matière diplomatique, elle n’est pas nécessairement le signal d’une réassurance forte des Etats-Unis à leurs alliés «Occidentaux» vis-à-vis de la Russie.
D’abord parce que la menace russe sur les Etats Baltes relève du fantasme. Vladimir Poutine, dont toute la presse internationale constate, sur un ton laudateur ou enragé, les qualités de tacticien, n’est pas suffisamment fou pour s’en prendre à un adversaire plus fort que lui, principal partenaire commercial de surcroît, qu’il n’a aucun intérêt à provoquer. D’autant que les pays Baltes, dont la valeur ajoutée sous l’URSS résidait dans leurs ports, indispensables au commerce soviétique, ne représentent plus aujourd’hui aucun intérêt stratégique. Le gazoduc North Stream les contourne tandis que le trafic des nouveaux ports russes du Golfe de Finlande a largement pallié la perte des ports baltes depuis les indépendances de 1991.
Ensuite parce que Donald Trump est nommé Président des Etats-Unis aujourd’hui. Il n’a pas fait mystère de sa volonté de coopérer avec Vladimir Poutine afin de contrer la véritable menace : l’islam radical agissant dans et depuis l’arc des crises. Cela implique l’apaisement en Europe et la concentration des moyens sur le véritable ennemi, l’abandon donc de l’idéologie néoconservatrice. Du moins dans son volet russophobe.
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