«Pourquoi devrions-nous être crispés vis-à-vis de la Russie et se satisfaire d’un jeu d’influence américain unilatéraliste», s'interroge le géopoliticien Pascal Le Pautremat au sujet du déploiement des forces américaines en Pologne.
RT France : Quel est le but du déploiement des forces militaires américaines en Pologne?
Pascal Le Pautremat (P. L. P.) : Je pense qu’il y a plusieurs explications possibles. La première, c’est parce que Barack Obama achève son deuxième mandat présidentiel et qu'il voulait marquer encore un peu plus son influence, ses convictions. L’autre, c’est que ce déploiement vient rassurer ou répondre à des attentes un peu fébriles et nerveuses, anxieuses des pays d’Europe orientale qui sont à proximité géographique de la Russie. Ce sont effectivement des pays qui auront toujours une crainte de l’éventuel jeu d’influence, ou prise en main, renforcé de la Russie sur leur propre jeu politique.
C’est plus une annonce ou la volonté de montrer que l’OTAN reste totalement partie prenante en Europe
RT France : 4 000 soldats suffiront-ils en cas d'agression fantasmée de la Russie ?
P. L. P. : On parle de 2 000 à 4 000 hommes mais c'est le début. 7 000 hommes sont annoncés au total, avec des matériels lourds, des équipements d'artillerie et des blindés. Oui, il y aura un repositionnement, un arc d’influence qui va de la Pologne aux pays baltes... Puis, un déploiement aussi en Bulgarie et en Roumanie. Je pense que c’est plus une annonce ou la volonté de montrer que l’OTAN reste totalement partie prenante en Europe, en Europe de l’Est. Quant à la conduite des secteurs sécuritaires dans les mois qui viennent, c’est plutôt dans cette logique-là que cela s’inscrit.
RT France : S'agit-il d'un nouvelle épisode de la «guerre froide» ?
P. L. P. : Quand on écoute un certain nombre de généraux américains, et notamment tous ceux qui s’occupent de l’Europe Command, il y a un satisfecit qu’on connaît très bien qui nous donne un arrière-goût de mauvais souvenirs de la guerre froide. Je trouve que c’est regrettable, parce qu’aujourd’hui, on a besoin ici ou là, de part et d'autre, en Russie ou aux Etats-Unis, et encore plus en Europe, de personnes qui sont dans l’apaisement, dans la discussion, dans l’action commune.
Et c’est dramatique de voir que pour des raisons de lobbying économique et militaire (dans le contexte militaro-industriel qui se satisfait de cette situation qui se gèle parce que cela lui permet de vendre du matériel militaire), dans cette logique stressante et stressée de crise patiente, qu’on ait justement des hommes politiques qui tourneront la page de la guerre froide.
La Russie n’est pas notre ennemi. Au contraire, c’est un grand pays partenaire. On a beaucoup de choses à faire. Et pourquoi d’ailleurs devrions-nous être tout le temps crispés vis-à-vis de la Russie et nous satisfaire d’un jeu d’influence américain assez unilatéraliste ?
On voit très bien que le nouveau président américain Donald Trump n’a cessé d’enchaîner dans sa campagne électorale sa volonté de relancer un certain isolationnisme, d’enrêner avec la doctrine Monroe
RT France : Il y eu aujourd’hui des protestations en Allemagne et en Pologne contre le déploiement des forces américaines. Comment l’Europe doit-elle se sentir face à l'arrivée d’un tel nombre de militaires américains ? Quelle devrait être la réaction des Européens ?
P. L. P. : Si vraiment l’Europe était fidèle à ses principes fondamentaux, elle devrait plutôt justement s'affirmer en disant : «Nous sommes bien conscients que vous Américains, vous avez une vision du monde très particulière, mais que votre démarche finalement est aux antipodes de ce que vous annoncez aujourd’hui, puisque vous parlez de revenir à l'isolationnisme.»
Il devrait y avoir dans les instances fédérales européennes des hommes qui ont une vraie culture générale de l’histoire, prendre conscience qu’on joue avec le feu et que, en fait, on agite, je dirais, des esprits un peu vindicatifs. On rend nerveux certains observateurs en Russie, que ce soit au Kremlin, dans les maillages de la sécurité nationale ou au sein de l’armée russe. Ce déploiement de forces évidemment ne peut que susciter bien des interrogations, sinon quelques inquiétudes. Et, en tout cas, des reproches, voire même des critiques très claires sur le champ diplomatique.
Les Européens devraient plutôt être dans une logique de partenariat équilibré, en disant : «Nous ne fermons pas la porte à des rapprochements économiques avec la Russie», comme l’on ne doit pas fermer la porte à des activités commerciales et économiques – mais équilibrées – avec les Etats-Unis.
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