Le projet d'armée européenne relève une division au sein de l'UE. L'universitaire Pascal Le Pautremat analyse la situation, entre les pays voulant la mise en place d’une politique de défense européenne et ceux qui restent focalisés sur l’OTAN.
RT France : A quoi servirait une armée européenne alors que l'OTAN englobe déjà la plupart des membres de l'Union ?
Pascal Le Pautremat (P. L. P) : L’armée européenne, c’est une idée qui est dans les esprits depuis les années 50. Sauf que cela n’avait pas pris forme à l’époque. La Communauté européenne de défense (CED) avait été refusée par la majorité des députés français et, du coup, abandonnée. L'idée est réapparue plus tardivement dans les années 80-90. L’Europe veut montrer qu’elle est en mesure d’assurer sa propre sécurité. Quand on parle d'«armée européenne», c’est surtout pour faire prendre conscience à tous les pays membres qu’ils doivent absolument apporter une contribution militaire conséquente. Mais pour cela, il faut des budgets de la défense, or, pour beaucoup de pays européens ce budget est minimaliste. Vous avez des pays comme l’Autriche, la Hongrie, l’Espagne, la Lettonie dont les budgets de la défense sont inférieurs à 1% du PIB. On ne peut rien faire avec un tel budget. C’est pour cela qu’on a vu le vote des députés européens. Il y a quand même eu plus de 230 qui ont dit «non» et 70 qui se sont abstenus. L’idée était de dire qu’il fallait que les pays membres aient un budget de la défense qui soit l’équivalent de presque 3% du PIB.
En Europe on a toujours une partition culturelle et psychologique
RT France : Ceux qui proposent la création d'une armée affirment qu'elle réagirait au cas ou l'OTAN ne le voudrait pas...
P. L. P : L'armée européenne, en lien avec la politique de sécurité et de défense commune, c’est surtout l’idée de montrer qu’on est capable, en Europe, d’opérer en matière de sécurité. De faire face aux problèmes de sécurité que pourrait avoir le continent européen, ou de mener des politiques d’intervention dans des pays africains, en travaillant entre pays européens. Et surtout sans nécessairement se reposer sur les Etats-Unis qui sont un pays phare au sein de l’OTAN, qui ont une puissance militaire majeure, comparable à celle de la Chine et en partie à celle de la Russie. Mais le souci est, qu’en Europe, on a toujours une partition culturelle, psychologique. Un certain nombre de pays de l’ouest sont prêts à aller plus loin dans la mise en place d’une politique de défense européenne, c’est là qu’on parle d’armée européenne. Les pays d’Europe centrale ou orientale, eux, restent très focalisés sur l’OTAN, estimant que c’est plus l’OTAN que l’UE qui peut assurer leur sécurité. Contre qui ? Certains des pays d’Europe centrale ou orientale sont dans des calculs, des démarches un petit peu anxieuses, pleines de craintes envers le pire des scénarios, à savoir que la Russie souhaiterait reprendre la main sur ces pays. C’est cela l’enjeu majeur. Or, je crois qu’on a plus intérêt à travailler tous ensemble en bonne intelligence et transparence, les Européens, les Russes et pourquoi pas aussi les Américains. Il faut absolument jouer la carte de l’apaisement et établir de nouvelles relations internationales constructives et apaisées.
RT France : Pensez-vous que les gouvernements des pays européens pourraient approuver ce projet ?
P. L. P : Pour l’instant, je crains fort qu’on soit face à un 50/50. En gros, vous allez avoir les instances dirigeantes de l’Europe qui vont dire : «Oui, cela va prendre forme, tout le monde va accepter.» Mais dans la réalité, on voit très bien qu’on a une Europe partagée.
Il y a un désaveu très large de l’opinion publique vis-à-vis des instances européennes à Bruxelles
RT France : Si ce projet devait se mettre en place, pensez-vous que les pays européen pourraient se le permettre compte tenu du fait que certains d'entre eux ont déjà du mal à participer au financement de l'OTAN ?
P. L. P : Je dirais même qu’ils sont confrontés à un problème financier et économique majeur. Beaucoup de pays européens sont endettés. Il y a aussi le problème du chômage, qui marque profondément les économies de ces mêmes pays européens. Il y a un désaveu très large de l’opinion publique vis-à-vis des instances européennes à Bruxelles, une volonté non pas de mettre un terme à cette idée européenne, mais d’en changer le fonctionnement et d’être plutôt dans une logique de respect des nations. C’est tout l’enjeu d’aujourd’hui et de demain.
RT France : Pensez-vous que ce soit un signe que l'Europe recherche plus d'indépendance, en dehors de la gouvernance militaire des Etats-Unis?
P. L. P : Exactement. Je pense qu’il y a une volonté d’une partie des pays européens de se démarquer, de faire savoir que l’Europe n’est pas qu’une construction économique, qu’elle est aussi une construction politique. Si nous avions commencé par cela, il y a maintenant quelques décennies, dès 1957, on aurait pu envisager d’insister sur la capacité de l'Europe à faire valoir son identité propre avec ses moyens propres.
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