L'Allemagne veut sa propre armée européenne : Bruxelles et l’OTAN face à une nouvelle crise

L'Allemagne veut sa propre armée européenne : Bruxelles et l’OTAN face à une nouvelle crise© Michaela Rehle Source: Reuters
Les soldats de l'armée allemande
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L'Allemagne aurait l'ambition de diriger une armée européenne, ce qui mettrait en danger le fonctionnement de l'OTAN. Les enjeux géopolitiques sont analysés par Martin Jay, correspondant de Deutsche Welle à Beyrouth.

En dépit de la décision de la Grande-Bretagne de bloquer la création d'une armée européenne, un nombre croissant d'experts estiment qu'un document récent de la Défense allemande montre que le pays a les ambitions de diriger une armée européenne et projette de percer la bureaucratie de Bruxelles en créant la sienne. Mais quels coûts cela engendrera-t-il pour l'OTAN ?

Alors que les ministres de la Défense de l’UE discutent ouvertement avec les dirigeants de l’OTAN de la création d’une armée européenne, beaucoup pensent que la hâte avec laquelle ce projet grandiose est défendu est dû à la très faible crédibilité des institutions européennes compte tenu du Brexit.

Pour les fédéralistes européens à Bruxelles, cela reflète en effet une certaine vérité. Mais Bruxelles a également peur d'être laissée de côté ou éclipsée par les projets de l'Allemagne, ce qui affaiblirait les positions de l'UE lorsqu'il s'agira de négocier qui prendra les commandes de l'armée de l'UE lorsque cette dernière aura été créée.

L’Allemagne veut se positionner en tant que leader militaire de la coalition des pays européens qui ne seraient plus aux ordres de l'OTAN

Et l’Union européenne a de bonnes raisons de s’inquiéter. L’Allemagne est impatiente et veut se positionner en tant que leader militaire de la coalition des pays européens qui ne seraient plus aux ordres de l'OTAN et qui, de ce fait, ne feraient probablement pas partie de l'armée européenne officielle.

Peu de journalistes ont envie de signaler à Bruxelles qu'il existe une course entre l’UE – qui veut créer sa propre armée – et l'Allemagne qui souhaite bâtir sa propre armée pan-européenne qu'elle pourrait en fin de compte présenter à la Commission européenne comme une entité déjà prête et fonctionnant.

Selon un expert militaire respecté, l'Allemagne se positionne comme le pays qui serait la force dominante d'une nouvelle armée européenne, quelle que soit sa structure.

Le Livre blanc allemand sur la défense, publié récemment, milite en faveur d'une armée européenne et dont Angela Merkel a ordonné qu'il soit tenu secret jusqu'aux résultats du référendum sur le Brexit le 23 juin dernier.

Mais maintenant les experts militaires se penchent sur le détail du Weissbuch [livre blanc, en français].

Celui-ci révèle un changement radical dans les projets allemands en vue non seulement d'élargir le mandat actuel de son armée dans les points chauds du globe, mais ce livre montre aussi clairement que l'armée allemande aspire à diriger des organisations militaires multinationales, comme le serait une armée européenne.

L'initiative de l'Allemagne est une une bombe à retardement pour le chef de l'OTAN 

Le Livre blanc de la défense 2016 représente un changement de paradigme sur deux points importants», estime John Deni, professeur-chercheur associé à l’Institut d’études stratégiques du Collège de guerre de l'armée américaine. «Ce qui est peut-être le plus important», explique-t-il, «c'est la déclaration que l’Allemagne est non seulement disposée à faire partie, mais également à initier ces grandes coalitions. Il s’agit d’un écart majeur avec le passé, lorsque l'Allemagne cherchait toujours à exercer un pouvoir ferme par l’intermédiaire des institutions multilatérales existantes».

Cette initiative est une une bombe à retardement pour le secrétaire-général de l'OTAN, Jens Stoltenberg qui a assisté récemment à une réunion des ministres européens de la Défense à Bratislava. L’OTAN espérait disposer d'une armée européenne qui opérerait sous ses ordres. «Le point essentiel pour nous est clairement d’éviter les doublons et de nous assurer que nos efforts sont complémentaires», m'a confié un porte-parole de l'OTAN, alors qu'un des responsables de l'Alliance ne souhaite pas que ses généraux allemands s'expriment sur cette question.

En plus, d'après le chercheur américain, l’étude révèle que l’Allemagne est prête à prendre en charge une armée européenne officielle, dirigée par Bruxelles, ou non-officielle, dirigée par Berlin. Cela pourrait signifier que si une armée européenne n'était pas formée à temps, Berlin pourrait tout simplement demander à un nombre de pays de l’UE qui seraient prêts à rejoindre sa propre armée, de faire partie de sa «coalition», créant ainsi un modèle informel qui serait plus tard adopté par les dirigeants de l'UE, faute d'alternative à soutenir.

Mais il y a des arguments plus forts pour que l’Allemagne prenne le contrôle d’une armée européenne officielle dirigée par Bruxelles.

Bruxelles devrait certainement céder aux exigences allemandes, afin de sauver la face et de garder sa propre «armée européenne»

Même si certains pourraient dire que l'Allemagne pourrait aller de l’avant avec ses plans militaires dans une zone de guerre donnée –et inviter ensuite les autres à la rejoindre dans un tel pacte – dans la pratique, il est plus probable que Berlin dirigera l'armée européenne dans le cadre d'un accord avec Bruxelles garantissant que les pays de l’UE n'abandonneront pas l’armée régulière de l'UE pour rejoindre l'Allemagne dans ses missions.

Bruxelles devrait alors certainement céder aux exigences allemandes, afin de ne pas perdre la face et de conserver sa propre «armée européenne».

Ne touchez pas l’ours russe

La plus grande préoccupation est que les ambitions l’UE conduiraient à un schisme dans l’OTAN

Pourtant, même une armée européenne officielle dirigée par l’Allemagne ou des responsables européens nuirait à l’OTAN, dont la crédibilité a pris un coup récemment, quand la Turquie est allée en Syrie en solo. Certains experts militaires indiquent que cette idée est erronée et qu'une coalition dirigée par l'Allemagne (pas l'UE) serait bien accueillie en tant qu'alternative.

«La plus grande préoccupation est que les ambitions [militaires de] l’UE conduiraient à un schisme au sein de l’OTAN», estime Geoffrey van Orden, député européen, ancien brigadier et analyste militaire respecté. «La politique européenne de défense, c'est avant tout la création d'une Europe fédérale. Cela a peu à voir avec le renforcement de capacités militaires».

Le député britannique conservateur trouve folle l'idée que le bras armé de l'Europe vienne renforcer l'OTAN : «Cette approche a de gros défauts. Pour commencer, les deux plus grandes puissances militaires en Europe, le Royaume-Uni et la Turquie, sont toutes les deux membres de l’OTAN, sans faire partie de l’UE». Mais il ajoute également qu’une organisation militaire autonome dirigée par l'Allemagne ne serait pas une si mauvaise chose.

«Je ne m'inquiète pas à propos des Allemands, personnellement, je serais content si leur engagement dans la défense était plus important, la vraie préoccupation c'est l’idée d’une ambition militaire de l'UE, suscitant un dérangement et un schisme au sein de l’OTAN», poursuit l'élu britannique.

Pour les députés britanniques, tout ce qui jette une ombre sur les opérations de l’OTAN est un sujet d’inquiétude.

«L’OTAN nous a bien servi», affirme le député Mike Hookem. «Elle n'est pas parfaite, mais c'est une option beaucoup plus sûre que les fédéralistes de l’EU et les fauteurs de guerre qui souhaitent l'antagonisme avec l’ours russe», prévient-il.

Le député britannique, membre de UKIP, qui siège au Comité de la défense, ajoute que le jour où l’armée allemande aura pris le contrôle d’une armée européenne sera un jour triste pour la Grande-Bretagne. «Il y a encore ceux qui se rappellent la Seconde Guerre mondiale et des atrocités commises par les Nazis» a-t-il dit. «Maintenant, à cause des actions d'Angela Merkel au sujet de la crise de migrants, l'extrême droite gagne du terrain en Allemagne, ce qui ne donnera pas confiance dans la capacité de l’Allemagne à contrôler une armée aussi puissante», avertit Mike Hookem.

Une autre raison de prendre la direction d'une armée européenne est que les ressources propres du pays ne correspondent pas aux ambitions militaires de Berlin à travers le monde

Montrez-moi l'argent, Juncker

Pourtant, même si l'Allemagne est la première économie de l'UE, comment le gouvernement allemand pourrait-il financer une entreprise aussi coûteuse, sachant que l'invasion américaine de l'Irak a coûté aux contribuables près de deux milliards de dollars ?


Selon l'universitaire américain John Denie, il n’en aurait pas besoin. John Denie suppose dans un récent article publié sur un site américain de défense que c'est une raison supplémentaire pour l'Allemagne de prendre la tête d'une armée européenne : les ressources propres de l'Allemagne ne permettraient pas à Berlin de financer ses ambitions militaires à travers le monde. 

Le fait d’être le principal acteur de l'armée européenne serait extrêmement bénéfique pour l'Allemagne qui a l'intention de jouer dans la cour des grands au niveau mondial et de faire en sorte que d'autres pays paient pour cela. Un commandement composé principalement de généraux allemands et une armée complétée avec des troupes d'autres pays de l'UE ravis d’en faire partie permettrait de résoudre le dilemme actuel de Berlin, poursuit l’article. A l'heure actuelle, le budget militaire allemand s’élève à 35 milliards d’euros seulement, si on le compare avec celui du Royaume-Uni qui dépasse les 35 milliards de livres, soit près de 39 milliards d’euros.

Ce plan a en outre reçu un véritable coup de pouce de la part du chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, qui aurait dit à ses collègues qu'un projet militaire européen – considéré par certains pays comme la fondation d'une «armée européenne» –donnait une chance à l'UE de se relancer après le «choquant» vote sur le Brexit qui a fragilisé le projet, poussant même certains dirigeants à parler d'une crise.

La vision de Federica Mogherini correspond étroitement à l’idée mettant l'Allemagne au premier plan d’une coalition multinationale d'armées européennes

«Nous avons aujourd'hui un espace politique pour faire des choses qui n’étaient pas vraiment faisables dans les années précédentes», a déclaré Federica Mogherini aux ambassadeurs de l'UE, selon un rapport publié dans le journal britannique Daily Telegraph.
En fait, la vision de Federica Mogherini, si on l’étudie minutieusement, correspond étroitement à l’idée voulant que l'Allemagne dirige une coalition multinationale d'armées européennes. Une armée européenne, espère-t-elle, évoluerait progressivement de son état initial, où des pays comme la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et la Pologne créeraient des structures militaires permanentes pour agir au nom de l'UE et pour déployer des groupes tactiques européens, ainsi que 18 bataillons nationaux.


En substance, cette armée agirait indépendamment de l'OTAN, qui a toujours joué le rôle de défenseur de l'Europe, et certains estiment même qu'une telle démarche pourrait même menacer l'Alliance atlantique dont le siège se situe également à Bruxelles.
Pour les sceptiques de cette approche plus large, il s’agit d’un choix difficile entre une chancelière allemande exécutant une opération militaire aussi ambitieuse et la diplomate de l'UE plutôt inefficace Federica Mogherini, l'UE dépensant 600 millions d’euros par an pour ses diplomates et ses ambassades à travers le monde, sans même être invitée aux récents pourparlers de paix syriens.

«Personne dans l'UE n’a d’idée concernant la défense ou la sécurité, il suffit de voir [quelle a été] la réaction aux attentats de Paris, de Bruxelles et de Nice ainsi que le refus d'admettre que leur politique [de l’UE] avait mené à la crise de Calais», a précisé Mike Hookem. «Même quand ils ont de petites missions à l'étranger en Afrique, au final les Européens ne font que des défilés. Le fait de remettre le pouvoir à une femme avec un bilan aussi épouvantable est effrayant», conclut-t-il.

Lire aussi : Un nouveau plan de défense franco-allemand «pour déclencher plus facilement les opérations de l’UE»

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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