La primaire du PS n’a plus de sens depuis longtemps, ses candidats étant incapables d’articuler un programme cohérent et différent de la décomposition hollandiste, selon l'économiste Jacques Sapir qui revient sur les candidatures clés.
A quoi sert donc la «primaire» de la «gauche» organisée par le P «S» ? On peut, légitimement, se poser la question. Les débats entre les candidats montrent que l’espace politique de ces derniers se réduit désormais considérablement. Au point que l’on peut se demander si cela a le moindre sens de désigner un vainqueur. Pourtant, le jeudi 12, nous aurons droit à un grand débat télévisé, sur lequel vont certainement s’extasier journalistes et commentateurs. Ils sont donc sept, Pinel, Valls, Montebourg, Hamon, Peillon, Bennhamias et de Rugy, comme les sept nains de Blanche-Neige, sauf qu’aucun chevalier ne viendra donner le baiser de la vie à un P «S» en état de coma dépassé, et que l’on se dit que cette comparaison est une insulte aux sept personnages du conte…
Le duo formé par Manuel Valls, ex-Premier ministre, et Arnaud Montebourg, est particulièrement éclairant. Mais, les autres candidats présentent tous, à un degré ou à un autre, le même problème : ils ne sont guère crédibles, et en tous les cas certainement moins que d’autres candidats qui, eux, ne concourent pas à la «primaire» organisée par le Parti «socialiste».
Bien sûr, chacun à le droit de changer, et l’on peut supposer que Manuel Valls a rencontré la révélation du rôle du 49.3, sa candidature représentant alors son «Chemin de Damas» en la matière
Valls et Macron, ou le côté obscur de la farce…
Manuel Valls est confronté à la tâche quasi-impossible de faire oublier en quelques semaines son «œuvre» comme chef du gouvernement. Cela nous donne la figure étonnante d’un candidat qui dit vouloir supprimer l’article 49.3 de la constitution, alors que le même homme, mais cette fois en tant que Premier ministre, en a usé et abusé lors du vote de la loi travail, au printemps 2016. Bien sûr, chacun a le droit de changer, et l’on peut supposer que Manuel Valls a rencontré la révélation du rôle du 49.3, sa candidature représentant alors son «Chemin de Damas» en la matière. Mais on peut douter de sa capacité à en convaincre les électeurs de «gauche». De même, s’il met aujourd’hui tant d’insistance à proclamer son attachement aux valeurs de la dite «gauche», à se présenter comme un «rassembleur», c’est qu’il aura quelques difficultés à en convaincre les électeurs. Sa candidature ne repose que sur l’hypothèse d’une amnésie collective. Et l’on comprend bien où est, pour lui, le problème. C’est que la place du centre-gauche est déjà occupée par Emmanuel Macron. Le sémillant candidat des marchés financiers et de la banque a ce qui manque à l’ancien Premier ministre : une figure aimable (et ceci dit sans vouloir nullement offenser Manuel Valls, car l’on ne juge que du politique et non du physique), un discours tout aussi ronflant que creux qui cherche à vous faire prendre des vessies pour des lanternes, une posture moderne. Bref, on ne voit guère ce qui pourrait tenter l’électeur du P «S» déjà tenté par un vote de centre-gauche de se prononcer pour Manuel Valls quand il a sous la main un Macron. Bien sûr, le bilan de ce dernier n’est guère plus glorieux que celui de son ancien patron. Les autocars, lancés à grand son de trompe, s’avèrent être une arnaque de première grandeur, sa réforme de déréglementation de certaines professions s’avère être un désastre total ; enfin, la responsabilité d’Emmanuel Macron est tout autant engagée dans le vote de la très contestable (et très contestée) «loi travail» que celle de l’ex-Premier ministre. Mais voilà, Emmanuel Macron apparaît bien moins usé par son passage au gouvernement que Manuel Valls. Si ce dernier avait quitté le gouvernement à l’été 2015, il en aurait (peut-être) été tout autrement. Valls arrive fourbu et épuisé, traînant derrière lui tel un boulet son bilan. On comprend qu’il ne fasse guère envie.
Le «parti socialiste»n’est plus depuis longtemps un parti, c’est-à-dire un instrument collectif représentant les intérêts de ses membres, mais l’instrument d’ambitions personnelles et le lieu d’expression de haines recuites et de pratiques délétères
Montebourg et Mélenchon
Le grand adversaire de Manuel Valls, au sein de cette primaire, est Arnaud Montebourg, qui est censé incarner la «gauche» au sein de ce qui n’est plus qu’un double mensonge, le «parti socialiste». Mensonge, bien sur, car ce «parti» n’est nullement socialiste, mais mensonge aussi car ce n’est plus depuis longtemps un parti, c’est à dire un instrument collectif représentant les intérêts de ses membres, mais bien l’instrument d’ambitions personnelles et le lieu d’expression de haines recuites et de pratiques délétères.
Le problème d’Arnaud Montebourg, qui avait réuni sur son nom 17% des voix lors de la «primaire» de 2011, ce qui est à comparer avec le score de son principal adversaire, Manuel Valls qui n’en avait réuni que 5%, est qu’il a durablement altéré son image par des postures qui sont incompréhensibles. L’homme du «fabriqué en France» se réclame d’un partage de la souveraineté avec les institutions européennes. Outre le fait que la souveraineté ne se partage pas, chose qu’un juriste comme Montebourg devrait savoir, on ne voit pas bien l’utilité de «fabriquer en France» si l’on accepte de céder notre souveraineté. Le thème du made in France n’est compatible, en réalité, qu’avec une véritable position souverainiste. Il implique des positions protectionnistes, justement pour conserver et ramener des emplois vers le territoire français. Cela, tout le monde peut le comprendre. Tout le monde, mais apparemment pas Arnaud Montebourg. Bien sûr, on peut toujours dire qu’une certaine incohérence de discours est nécessaire en politique. Mais, en réalité, cette incohérence peut s’avérer mortelle. Et cela d’autant plus qu’il y a, à gauche, un autre candidat qui dit aujourd’hui les mêmes choses, mais de manière bien plus cohérente qu’Arnaud Montebourg, c’est Jean-Luc Mélenchon.
On peut faire tous les reproches que l’on veut à Jean-Luc Mélenchon, il n’en reste pas moins que le niveau de cohérence de son projet est incomparablement supérieur à celui d’Arnaud Montebourg
La candidature de Mélenchon, qui – rappelons-le – a fait le choix justifié (n’est-ce pas Pierre Laurent…) de ne pas se présenter à cette funeste primaire, possède tout ce qui manque à Montebourg : une relative clarté sur la question de l’euro tout comme sur celle de l’Union européenne, une véritable réflexion sur la réorientation de l’économie, sur la nécessité d’avoir des formes de planifications, et sur le lien entre économie et écologie. On peut faire tous les reproches que l’on veut à Jean-Luc Mélenchon, et l’auteur de ces lignes ne s’est pas privé de souligner les incohérences en matière constitutionnelle de son programme, ni celles qui existent quant aux institutions européennes. Il n’en reste pas moins que le niveau de cohérence de son projet est incomparablement supérieur à celui d’Arnaud Montebourg. Pour un électeur de gauche, égaré encore au parti «socialiste», il est plus juste et plus utile de voter pour Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle, et de ne pas se déplacer à la «primaire».
La guerre des clowns
Faisons un rapide tableau des autres candidats. Benoît Hamon semble bien mener sa barque, mais c’est pour n’aller nulle part. Il adopte ce qu’il croit être une posture mitterrandienne, mais c’est une farce ; une farce tranquille, mais néanmoins une farce. Sa candidature est en réalité vide de sens. Cela n’étonnera que ceux qui ont oublié sa désastreuse critique de la politique du gouvernement en septembre 2009, quand il reprochait à celui-ci, en pleine crise économique et financière, d’accroître le déficit. Cela étonnera encore moins ceux qui se souviennent que Benoît Hamon avait commencé sa «carrière» par les Jeunes Rocardiens, au sein desquels il a beaucoup fréquenté un certain Manuel Valls. Ce candidat confond une «primaire» à l’élection présidentielle avec un congrès de son parti. Notons, à se décharge, qu’il n’est pas le seul. Vincent Peillon, l’homme qui fait subir à la philosophie et à l’histoire les derniers outrages, veut nous faire prendre une vulgaire magouille de congrès pour une véritable candidature. Qu’il ne soit pas immédiatement retrouvé aux urgences de l’Assistance Publique est bien la preuve qu’en France, et en particulier en politique, le ridicule ne tue plus, et parfois on a bien envie de dire, hélas….
Les deux compères écologistes, le duo de Rugy et Benhamias, voudrait nous infliger une redite du lamentable congrès et de la primaire de EELV, où ils ont été vaincus. Ils sont, l’un et l’autre, comme une incitation à zapper, à éteindre le poste de télévision. Alors, tous les deux, ce n’est plus une incitation, mais cela devient une (ardente) obligation. D’ailleurs, c’est bon pour la planète…
C’est typiquement le genre de non-événement qui attire tellement les médias car il les dispense de parler des véritables sujets
Nous avons aussi la candidate du PRG, Sylvie Pinel. Oui, Sylvie Pinel ; bon, Sylvie Pinel. Comment dire…Il me vient une référence de la littérature russe : «Et je te renvoie dans ton néant, à Tver». Sylvie Pinel ne connaît pas Tver, mais elle a beaucoup fréquenté le néant.
En fait, pris en tenailles entre Emmanuel Macron sur la droite, et Jean-Luc Mélenchon sur la gauche, la primaire organisée par le parti «socialiste» n’a plus de sens depuis longtemps, car ses candidats sont incapables d’articuler une véritable vision des problèmes politiques, un programme cohérent, une image différente de la décomposition hollandiste, quand il ne sont pas tout simplement incapables… Cette primaire ne sert à rien, même si elle sert à certains, et permet de flatter les egos d’autres. C’est typiquement le genre de non-événement qui attire tellement les médias car il les dispense de parler des véritables sujets. Nous allons donc devoir souffrir les cris et les glapissements de cette primaire. Un conseil : éteignez donc votre téléviseur…
Source : russeurope.hypotheses.org
Du même auteur : La marche triomphale de François Fillon ?
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