Au cœur d'une opération séduction, Manuel Valls n'a plus que quelques semaines pour faire oublier ses choix impopulaires en tant que Premier ministre. La stratégie de l'«homme neuf» fonctionnera-t-elle? Analyse avec le politologue Jean Petaux.
RT France : Manuel Valls a lâché ce matin une petite bombe qui émeut les internautes et les politiques : il propose de supprimer le 49.3 hors textes budgétaires alors qu'il l'a régulièrement utilisé. Comment interpréter cette sortie ?
Jean Petaux (J. P.) : Il faut voir ça comme un marqueur de gauche. C'est un sujet qui compte dans une primaire où il faut plutôt tenir un discours de gauche afin de mobiliser l'électorat le plus typé idéologiquement. L'électorat visé par la primaire de la gauche a été sensible à ce genre de mesures, compte tenu de la campagne qui a pu avoir lieu pendant la période de la loi El Khomri décrivant le 49.3 comme un article constitutionnel anti-démocratique - ce qui est de mon point de vue une pure sottise. Pour paraphraser cette phrase que l'on prête à Guy Mollet sur François Mitterand, Manuel Valls n'est pas devenu un gauchiste, il a juste appris à le parler.
Le temps est tout de même très court pour lui permettre de se refaire une virginité à gauche
RT France : La communication politique de Manuel Valls dans cette campagne des primaires a un côté Docteur Jekyll et Mr Hyde, une volonté de séparer le Premier ministre du candidat. Est-ce une stratégie qui peut fonctionner ?
J. P. : J'aurais tendance à vous répondre que c'est à la fin de la séquence politique - ici la fin de la primaire - que la démonstration sera faite. On en est encore qu'au niveau des pronostics. Ce qui est certain, c'est que le temps est tout de même très court pour lui permettre de se refaire une virginité à gauche. Si ça marche, c'est qu'il aura été très fort ou que le public auquel il se sera adressé aura vraiment eu la mémoire très courte. A moins que l'électorat de gauche choisisse de ne pas accorder d'importance à ses services passés au gouvernement et se projette uniquement dans le futur. On peut imaginer un scénario dans lequel les électeurs ne croient pas forcément ses paroles mais décident qu'il est le meilleur candidat susceptible de tenir tête à la droite. Il n'y aura alors, là, pas adhésion, mais rationalisation, ce qui est très différent. La vraie question est de savoir si, en moins de huit semaines, il arrivera à transformer son profil construit pendant ses deux ans et demi de Premier ministre en celui d'un homme neuf. Cela me semble tout de même très court.
La bonne stratégie lors de primaires, c'est d'apparaître comme l'homme de la rupture
RT France : Est-ce un choix plus stratégique que de se positionner comme défenseur de son bilan et expérience au gouvernement ?
J. P. : Oui, ça me paraît évident. La bonne stratégie lors de primaires, c'est d'apparaître comme un homme de la rupture. Rupture dans les discours et par rapport aux politiques menées jusque là. Peu importe que cela soit une pure construction, une pure accumulation de représentations. Dans une primaire de droite, il faut être très à droite. Dans une primaire de gauche, il faut être le plus gauchisant. Après il faut évidemment changer complètement de posture pour la présidentielle. Ceux qui se sont complètement plantés dans les primaires sont ceux qui ont mené une campagne présidentielle. Manuel Valls est suffisamment habile, expérimenté et fin politique pour ne pas se tromper. On le voit actuellement mener un exercice assez audacieux, mais c'est à mon avis la seule stratégie possible pour lui. Mais encore une fois, tout cela ne marchera que s'il maîtrise le facteur temps qui joue contre lui.
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