Depuis le succès de François Fillon à la primaire, les médias ont commencé à le diaboliser, comme avec Donald Trump. Mais cela ne fait que conforter ses chances de devenir président, explique le docteur en sciences politiques Caroline Galactéros.
RT France : Dans votre tribune au Figaro datée de lundi 22 novembre, vous saluez avec le score de François Fillon la renaissance d'«une droite claire, nette, vraie», à l'opposé du «spectre froid d'un hollandisme de droite» que proposaient selon vous certains de ses adversaires. Est-ce pour vous, la raison du plébiscite qu'a connu François Fillon au premier tour de la primaire de la droite ?
Caroline Galactéros (С. G.) : Le peuple de droite n’était pas du tout à l’aise dans ce choix en fait par défaut mais présenté par les médias comme «inévitable» entre d’une part, Nicolas Sarkozy, flamboyant mais suscitant soit une adhésion inconditionnelle, soit un rejet éruptif et qui a beaucoup déçu par son ouverture à gauche et des mesures économiques insuffisantes pour débloquer notre pays, et Alain Juppé d’autre part, homme peu moderne dont la raideur et le dogmatisme masquent une difficulté à prendre la mesure des enjeux identitaires sécuritaires mais aussi sociétaux français actuels et qui semble penser sur beaucoup de sujets, qu’il est urgent… de ne rien faire. En somme, les électeurs de droite n’étaient pas sûrs que Sarkozy ferait cette fois ci ce qu’il promettait, mais quant à Juppé, ils craignaient qu’il ne fasse rien ou presque de peur de déplaire, de choisir, «d’aller au choc» dans certains domaines et surtout de tenir face aux réactions corporatistes devant les réformes indispensables.
François Fillon a osé parler vrai aux Français, cesser de leur mentir et proposé un programme à la fois ambitieux, douloureux mais surtout cohérent et adapté à la gravité de la situation
Face à eux, François Fillon a osé parler vrai aux Français, cesser de leur mentir et proposé un programme à la fois ambitieux, douloureux (d’où la comparaison avec Margareth Thatcher) mais surtout cohérent et adapté à la gravité de la situation que nos concitoyens perçoivent fort bien pour la plupart. Le populisme n’est pas de dire la vérité mais de la masquer et de faire croire que tout va bien, que la France baigne dans une «identité heureuse» ou que l’on peut contenir la montée de l’Islam politique par des accommodements raisonnables avec lui, etc… Or, la France meurt de ses incohérences et de sa négation du réel dans tous les domaines.
Par ailleurs, le procès en ultralibéralisme qu’on lui fait est ridicule. L’ultralibéralisme n’a jamais existé en France ! Ça se saurait ! La droite n’osait simplement plus être elle-même depuis trop longtemps… ce qui faisait le jeu de l’extrême droite. Et le peuple de droite a peur de l’extrême droite au pouvoir. Avec François Fillon, le choix devient simple, voire évident : on revient à un projet politique en cohérence avec l’ampleur de nos difficultés, servi par un homme courageux, déterminé, constant et qui parait avoir une vision structurée et globale de la politique à mener pour redresser notre pays.
Le syndrome de la fuite en avant est puissant dans nos démocraties
RT France : Depuis l'annonce des résultats dimanche soir, François Fillon, décrit jusqu'alors dans les médias comme le discret troisième homme est aujourd'hui présenté comme pro-Poutine, proche du Sens Commun. Les réseaux sociaux ont exhumé son vote en 1982 contre la dépénalisation de l'homosexualité, Libération publie en Une une photo montage de François Fillon mixé à Margareth Thatcher... Comment expliquez-vous ce changement médiatique ?
С. G. : Les médias français jouent le statu quo. Or, Alain Juppé est l’homme du statu quo par excellence, celui de la poursuite grosso modo d’une même politique économique, sociale et étrangère. Nos médias n’ont rien vu venir, car ils vivent dans une bulle quasi étanche et ne veulent pas comprendre que le monde a drastiquement changé et que les peuples sont en train de se rebeller massivement contre l’imposition d’une doxa, d’une bien-pensance qui méprise leurs préoccupations identitaires ou culturelles. Aux Etats-Unis aussi, on dit désormais qu’avec Donald Trump, on serait entré dans l’ère du «post-truth». C’est à la fois comique et tragique. Comme si depuis 1991, on avait baigné dans une ère de vérité, de sincérité politique, de transparence et de bienveillance !
Le syndrome de la fuite en avant est puissant dans nos démocraties. Je trouve que cette soudaine fureur anti-Fillon est la marque à la fois d’une grande légèreté opportuniste et d’une colère d’élites déconnectées contre l’expression populaire souveraine. Et puis il y a la logique médiatique de la polarisation des différences, de leur mise en scène outrancière, qui fait vendre et occupe les commentateurs. Ceci dit, entre Juppé et Fillon, il y a bien de fortes différences, notamment en matière internationale. Alain Juppé incarne une ligne atlantiste et moralisante assez rétrograde, avec comme corollaires une méfiance envers Moscou et une indulgence envers l’islamisme dit «modéré» qui est à la manœuvre en Syrie comme en France d’ailleurs. François Fillon lui, a une vision à la fois plus pragmatique et plus ambitieuse de l’Europe, une Europe des nations souveraines, une Europe aussi plus indépendante de Washington en matière de défense, une Europe enfin capable de se rapprocher de la Russie pour contribuer à un apaisement global des théâtres de crise et là aussi à la construction d’une cohérence stratégique. Paris aussi, bien évidemment, devrait rebâtir avec Moscou une relation respectueuse et de confiance sur un certain nombre de sujets d’intérêt commun. Le monde a bougé, les menaces ont drastiquement évolué. Il faut en tenir compte, même si cela dérange des institutions établies comme l’OTAN ou des rapports de force commodes.
Les positions de François Fillon sont pragmatiques, adogmatiques, basées sur une vision de la France comme puissance d’équilibre et de médiation
RT France : Est-ce que son éventuelle élection signifierait un tournant drastique dans la politique étrangère ? Avec la Russie bien sûr, puisqu'il s'est exprimé clairement en faveur du dialogue et du rapprochement avec la Russie, mais également avec le Royaume-Uni du Brexit, l'Amérique de Trump ou l'UE ?
С. G. : L’élection de François Fillon à la présidence de la République serait à mon sens une excellente nouvelle, car elle ouvrirait très probablement une grande période de réalisme, de dialogue et de coopération dans la politique étrangère française.
Ses positions sont pragmatiques, adogmatiques, basées sur une vision de la France comme puissance d’équilibre et de médiation. Il s’agirait aussi de reconstruire une relation plus équilibrée avec Berlin à la fois vis-à-vis de Washington et de Moscou.
RT France : Sa position sur la politique étrangère, notamment sur la Russie ou la Syrie, pourrait-elle nuire à François Fillon pour le 2e tour des primaires ?
С. G. : La diabolisation médiatique mais aussi diplomatique de la figure de Bachar el-Assad, et par suite de celle de Vladimir Poutine, qui structure le discours diplomatique français mais aussi celui d’une grande partie de l’intelligentsia nationale est de mon point de vue non seulement infantile et dangereuse, mais parfaitement contreproductive en termes de marge de manœuvre pour notre pays dans la gestion actuelle de ce conflit si grave et structurant pour les rapports de force à venir.
Sur la Syrie, François Fillon ne dit que des évidences. Dans la perspective d’un règlement politique, quel qu’il soit, il faut parler avec le chef de l’Etat syrien. Le propre d'une diplomatie de haute tenue est de pouvoir parler de tout, avec tout le monde et tout le temps. C’est un principe d’action et d’efficacité. Les condamnations, les anathèmes ne servent à rien sinon à radicaliser les antagonismes et à fermer le dialogue. Je crois que la position de François Fillon sur la lutte contre l’islamisme est une position de bon sens et cohérente. Les médias vont-ils, en caricaturant ses positions, affaiblir sa crédibilité ? Je ne le crois pas. Il devra peut-être s’expliquer sur ce sujet lors du grand débat télévisé face à Alain Juppé. Mais ce sera pour lui l’occasion de montrer toute l’absurdité de la position gouvernementale sur la Syrie et de celle de son challenger qui, à ma connaissance, la partage.
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