Les zones de non-droit en France : «Une situation d’échec assez évidente»

Les zones de non-droit en France : «Une situation d’échec assez évidente»© PHILIPPE HUGUEN Source: AFP
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La France, pays habitué à donner des leçons de droit aux autres, a du mal à admettre que son territoire n’est pas entièrement sous contrôle, même si son gouvernement en est responsable, estime l'écrivain, auteur de «Guerilla» Laurent Obertone.

RT France : Comment comprenez-vous le terme «no-go zone» ?

Laurent Obertone (L. O.) : En français on dira «zones de non-droit». En France il y a 750 zones dites «urbaines sensibles». Ces zones contiennent 7% de population française environ. Ce sont des zones qui regroupent une population très jeune, le plus souvent issue de l’immigration, avec un taux de criminalité très élevé, un taux de chômage également très élevé. Ce sont des concentrations souvent périurbaines, en marge des grandes villes françaises, comme Paris, Lyon, Marseille, mais désormais aussi autour de villes moyennes et peut-être même parfois de petites villes françaises. Ces zones ont extrêmement mauvaise réputation, surtout certaines d’entre elles, là où se sont organisés les plus importants trafics de drogues.

Cette cité, c’est une sorte du territoire qui a été conquis par des trafiquants

RT France : Comment fait-on pour y aller ?

L. O. : Il est très peu recommandé d’aller dans ces «no-go zones» seul, surtout le soir et surtout aux heures de trafic. Récemment une équipe de télévision française a tenté d’y faire une reportage sur l’islamisme, et des jeunes se sont intervenus, ont pris à partie l’équipe de tournage, leur ont demandé ce qu’ils faisaient là, leur ont demandé de partir de manière très agressive, et, finalement, ont réussi à les expulser de leur cité. En fait, cette cité, c’est une sorte du territoire qui a été conquis par des trafiquants. Il est extrêmement difficile de s’y rendre.

La réalité de ces quartiers est, hélas, médiatiquement très sous-estimée.

RT France : Avez-vous personnellement visité des zones pareilles ?

L. O. : On peut y aller à certaines heures, à conditions de connaître les bonnes personnes, c’est un peu comme les opérations dans les pays en guerre. C’est-à-dire que, quand vous voulez faire un reportage, un pointeur, un individu qui est lui-même issu de cet endroit doit vous guider. Je parle des plus dangereuses d’entre elles, toutes ne sont pas comme ça. Certaines des zones urbaines sensibles, vous pouvez y pénétrer d’une manière à peu près normale. Mais il faut être très prudent aujourd’hui. Les policiers, par exemple, sont extrêmement prudents. Il faut savoir que dans ces «no-go zones», des guet-apens sont régulièrement organisés. Des individus déclenchent une incendie, par exemple, l'incendie d’une poubelle ou d’un bâtiment public. Et quand les pompiers arrivent pour éteindre l’incendie, les pompiers sont attaqués par des individus cagoulés et armés, les policiers viennent au secours des pompiers, et ça déclenche une sorte de petite guerre urbaine. Voilà la réalité de ces quartiers, hélas, médiatiquement très sous-représentée.

RT France : Comment avez-vous fait pour y aller ?

L. O. : Avec un équipage policier. En général, les journalistes qui font des reportages sur ces «no-go zones» sont toujours au sein d’un équipage de police. En outre, on doit demander un certain nombre d’autorisations.

Les policiers peuvent se rendre maîtres de ces terrains-là, mais à conditions d’y aller en nombre et avec force

RT France : Qu'est-ce que les policiers vous ont-ils raconté ?

L. O. : Les policiers ne peuvent plus aller dans ces zones d’une manière traditionnelle, avec un seul équipage de police. A chaque fois, c’est une organisation digne d’un commando. C’est-à-dire, pour une banale opération de contrôle, ils doivent se rendre à au moins 25 individus très bien préparés, à une certaine heure, en fonction d'une logistique précise. Ils investissent la cité, il font ce qu’ils ont à faire, ils repartent, et ils abandonnent la cité à son insécurité. Les policiers peuvent se rendre maîtres de ces terrains-là, mais à conditions d’y aller en nombre et avec force. La plupart du temps ils ne sont pas maîtres de ces territoires-là, et on leur déconseille même évidemment d’y aller, ou d’y déclencher des incidents. On a vu ce qui s’est passé très récemment en France à Viry-Châtillon : deux voitures des policiers étaient de faction pour surveiller une caméra de surveillance. Ces deux véhicules ont été attaqués par une quinzaine d’individus armés, des cocktail Molotov ont été jetés à l’intérieur d’un véhicule de la police, on a essayé de tuer ces policiers. Ces individus-là ne craignent absolument rien, ils sont sur leur territoire, ils font régner leurs lois.

Admettre que le territoire français n’est pas entièrement sous contrôle, ce serait un échec cuisant, ce serait lamentable et humiliant pour nos dirigeants

RT France : Pourquoi les autorités nient-elles l'existence des zones de non-droit ?

L. O. : Le reconnaître serait très compliqué, parce que la France, comme on le répète, est le pays des droits de l’homme, et donne des leçons de droit à la terre entière. Donc, admettre que son territoire n’est pas entièrement sous contrôle, simplement de son droit, ça serait être un échec cuisant, ce serait assez lamentable et humiliant pour nos dirigeants. De plus, ils ont une lourde part de responsabilité dans cette situation, parce que ces zones ne se sont pas développées toutes seules, il y a eu une politique de conciliation qui a été poussée à l’extrême avec ces cités et aves ces banlieues, tout simplement pour gagner des voix, par clientélisme électoral. On a beaucoup arrosé de subventions ou de diverses politiques de la ville de ces zones en pensant acheter la paix sociale. Aujourd’hui on voit que ça ne fonctionne pas du tout, ces zones sont de plus en plus importantes et dangereuses. C’est une situation d’échec assez évidente, et ils ont tout intérêt à la nier et à la dissimuler.

RT France : Quelles pourraient être les conséquences de cette politique ?

L. O. : Un jour vous aurez un incident, comme celui qui s'est déroulé à Viry-Châtillon. Des policiers se retrouveront pris dans un guet-apens, un des policiers sera peut-être tué, et un autre sortira son arme et tuera des assaillants. Dans un cas comme celui-là, la cité entière va s‘embraser et, par contagion, les autres cités du pays peuvent suivre le mouvement. Cela s’est produit en 2005 en France, à partir de l’incident de Clichy. Cela s’est produit encore en 2009, après l’incident de Villiers le Bel. Après, aujourd’hui, vous avez toujours la problématique du terrorisme, des terroristes profitant de la confusion, des attentats vont être déclenchés dans tout le pays, des actes de grande ampleur. Les pouvoirs publics, les policiers ont très peur de commettre une bavure, donc vont subir la situation. Nos gouvernants, nous l’avons dit, vont attendre, parce qu’ils doivent ménager différents électorats, et donc ne peuvent pas prendre le risque d’agir d’une manière brutale. Les médias prendront le parti de la révolte populaire. Car, on le sait, pour eux, ce sont des pauvres jeunes sont victimes de la société. Et le citoyen regardera son pays s’effondrer d’une manière brutale et très rapide. Cela se base vraiment sur des données réelles, sur le travail du renseignement français qui pense, hélas, que de tels événements sont amenés à se produire en France.             

Lire aussi : Essonne : «Il faut pouvoir essayer de décomplexer l’usage de la force chez les policiers»       

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