Universitaire spécialiste de l'Afrique, Bernard Lugan est l'auteur de nombreux livres. Il anime un blog consacré à l'actualité et à la géopolitique de l'Afrique. Il dirige la revue par internet L'Afrique réelle www.bernard-lugan.com

Le Maroc va-t-il intégrer l’Union africaine ?

Le Maroc va-t-il intégrer l’Union africaine ?© FADEL SENNA Source: Reuters
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La question du retour du Maroc au sein de l'Union africaine est loin d’être réglée, estime le spécialiste de l'Afrique Bernard Lugan, en nous livrant son analyse des possibles développements à venir.

En 1984, le Maroc avait quitté la défunte Organisation de l’Unité africaine dont il était pourtant un membre fondateur, quand, à la majorité de ses membres, la RASD (République arabe saharaouie démocratique), l’ancienne colonie espagnole du Rio de Oro ou Sahara occidental, y avait été admise. Or, pour Rabat, ce territoire étant marocain, il n’était donc pas question de le voir devenir indépendant.

Aujourd’hui, le royaume chérifien s’apprête à intégrer l’Union africaine (UA) qui a succédé à l’OUA, mais à la condition que la RASD en soit exclue. Comme les statuts de l’UA ne prévoient pas l’exclusion de l’un de ses membres, la question est donc loin d’être réglée.

Après quarante ans de conflit inutile porté par l’Algérie, les positions sont figées 

Reconnue par 70 Etats membres de l’ONU à la fin du XX° siècle, la RASD ne l’était plus que par moins de 30 en juillet 2016 et, sur 54 Etats membres de l’UA, 28 sont désormais pour son départ de l’organisation, huit veulent son maintien, dont l’Afrique du Sud et l’Algérie ; les autres sont neutres.

Après quarante ans de conflit inutile porté par l’Algérie, les positions sont figées car le Maroc campe fermement sur ses droits historiques. Ces derniers sont plus que réels.

Sur le continent africain, où les Etats-nations sont rares, le Maroc constitue une exception car, à la différence de la plupart des autres Etats de la région, il n’est pas une création coloniale puisqu’il est né sous les Idrissides aux VIIIe-IXe siècles de l’ère chrétienne.

Durant ses 1 200 ans d’histoire, l’influence du Maroc s’est exercée dans plusieurs directions. Vers le sud, c’est-à-dire vers le Sahel ou Bilad al-Sudan, le «pays des Noirs», le Maroc exerça sa souveraineté jusqu’au moment des partages coloniaux. Elle était effective quand l’Etat marocain était puissant et se limitait à une influence religieuse et culturelle quand il était affaibli.

Avant la période coloniale, le Maroc était le cœur économique et commercial de tout le Sahara occidental

Durant l’antiquité, les nomades qui vivaient dans le Sahara occidental étaient déjà tournés vers le nord, c’est à dire vers l’actuel Maroc et leurs immenses zones de transhumance s’étendaient jusqu’à la basse Moulouya et à l’anti-Atlas. Au XIe siècle, les descendants de certaines de ces populations qui avaient été convertis à l’islam par des prédicateurs venus du Maroc constituèrent l’empire almoravide. En dix ans, de 1042 à 1052, les Almoravides unifièrent tout le Sahara occidental et ils constituèrent un Empire s’étendant depuis le fleuve Sénégal jusqu’au cœur de l’Espagne.

Avant la période coloniale, le Maroc était le cœur économique et commercial de tout le Sahara occidental. Il était également le point d’écoulement des marchandises en provenance de l’ouest africain échangées contre ses productions artisanales et agricoles. Sijilmassa, le grand marché du sud marocain et métropole économique du Sahara occidental était en relation directe avec tout le monde ouest africain. Le Maroc étendait alors son rayonnement au-delà du Tagant et contrôlait les pistes du Sahara occidental ainsi que ses principaux centres urbains et caravaniers. L’axe longitudinal qui partait d’une ligne Agadir-Sijilmassa-Touat et qui, à travers le Sahara occidental aboutissait dans les vallées des fleuves Sénégal et Niger était sous contrôle marocain.

Politiquement, le Maroc n’hésita jamais à se lancer dans de lointaines expéditions destinées à conforter son autorité sur l’ensemble de la région

Le Sahara occidental constituait alors avec le Maroc un même monde politique et religieux. Economiquement, et nous venons de le voir, il appartenait à l’immense ensemble commercial qui partait des villes du nord du Maroc pour atteindre la vallée du fleuve Sénégal et la région de Tombouctou par les marchés de Goulimine et de Tindouf. Dans cet ensemble, les marchandises circulaient sans entraves douanières. Il s’agissait en effet d’échanges internes pratiqués dans les limites d’un seul et même Etat qui était le royaume marocain.

Politiquement, le Maroc n’hésita jamais à se lancer dans de lointaines expéditions destinées à conforter son autorité sur l’ensemble de la région. En 1530, le Touat et le Gourara, que la France attribua à l’Algérie en 1962, furent ainsi occupés par le Maroc. En 1591, sous le règne du sultan Al-Mansour, une armée marocaine traversa le Sahara occidental pour réduire l’empire songhai, rival méridional du Maroc. Jusqu’en 1660, à Tombouctou, la prière du vendredi fut dite au nom du sultan du Maroc. 

A la suite des partages coloniaux furent tracées des frontières ne tenant aucun compte des réalités socio-historiques du Sahara occidental. C’est alors que le Maroc fut démembré et ses droits historiques violés, tant à l’est vers l’actuelle Algérie, qu’au sud où il fut privé de ses territoires sahariens.

Les chancelleries européennes avaient bien conscience d’amputer le Maroc en concluant les accords internationaux de partage. Quant aux militaires français de l’époque de la conquête, ils ont toujours considéré le Sahara occidental comme le prolongement du Maroc. Les chancelleries choisirent d’ignorer ce fait afin de pouvoir accorder une compensation coloniale à l’Espagne.

Les espérances marocaines furent déçues car l’Algérie devint le principal soutien de la RASD et de sa branche armée, le Polisario

Au lendemain de l’indépendance de 1956, dans un souci de règlement politique régional, le Maroc renonça à ses légitimes revendications territoriales vis-à-vis de l’Algérie et admit de reconnaître l’Etat Mauritanien dont, historiquement, il était pourtant fondé à contester l’existence. En échange, il attendait que ces deux pays l’épaulassent dans ses revendications au sujet du «Sahara espagnol».

Les espérances marocaines furent déçues car l’Algérie devint le principal soutien de la RASD et de sa branche armée, le Polisario, mouvement créée par l’Espagne qui voulait conserver son influence dans la région à travers une entité saharaouie indépendante. En 1975, le Maroc qui était donc à la veille d’une amputation définitive décida d’intervenir et c’est alors que se fit la «marche verte».

Depuis, le Maroc considère qu’il a achevé sa réunification alors que la RASD soutient que Rabat occupe illégalement un territoire non décolonisé.

Du même auteur: Nigeria : entre Boko Haram au Nord et les Vengeurs du Delta du Niger au Sud

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