Le parcours historique de l'Algérie la rendrait très proche de la Syrie. Alger pourrait-il donner un coup de main aux Syriens dans la résolution de la crise qui embrase le pays ? L'analyste politique Hafsa Kara-Mustapha essaie d'y voir plus clair.
Au mois d’avril de cette année, des articles dans les médias algériens affirmaient qu’Alger avait redoublé d’efforts diplomatiques pour atténuer les tensions existantes entre la Syrie et la Turquie.
La Turquie s’aperçoit que ses confrontations avec la Russie et la Syrie l’ont plongée dans un gouffre qui ne cesse de s’approfondir
Alors qu'à l'époque un dégel dans les relations semblait improbable, les événements de ces dernières semaines indiquent que ces efforts ont donné des résultats, et Ankara a légèrement assoupli sa position intransigeante au sujet du maintien de Bachar al-Assad au pouvoir.
La Turquie, sans doute affectée par la fragilité de la position d’Erdogan après le coup d’état militaire [raté] en juillet qui l’a quasiment renversé, s’aperçoit que ses confrontations avec la Russie et la Syrie l’ont plongée dans un gouffre qui ne cesse de s’approfondir et dont elle essaye douloureusement de se sortir.
La médiation algérienne pourrait garantir le retour à une certaine et réelle stabilité pour toutes les parties
A peine avait-elle interféré dans les affaires intérieures de la Syrie, que les séparatistes kurdes de Turquie retournaient sur la ligne de front politique pour pousser à l'indépendance vis-à-vis d'Ankara. Ce à quoi la Turquie avait longtemps résisté semblait un peu hypocrite au regard de son désir de voir les segments de la société syrienne se détacher de Damas.
La médiation algérienne est donc intervenue à un moment intéressant et pourrait garantir le retour à une certaine et réelle stabilité pour toutes les parties.
Alger à la rescousse ?
Depuis le début de la crise syrienne en 2011, l’Algérie reste sur une position cohérente, insistant sur le fait que la souveraineté de la Syrie doit être respectée. Par exemple, elle s’est farouchement opposée à l’initiative de la Ligue arabe d’exclure la Syrie, l’un de ses membres fondateurs, de l’organisation panarabe.
En tant que nation musulmane essentiellement sunnite, l'Algérie ne peut pas être accusée de soutenir Damas par solidarité alaouite ou chiite
Alger a déclaré que toute ingérence étrangère en Syrie ne pourrait qu’exacerber les tensions et risquerait d’entraîner une grande partie de la région dans une série de conflits sectaires s’étalant sur des décennies. Alger a pris le parti de Damas, tout comme il avait pris le parti de la Libye au début du «printemps arabe».
Alger considère le conflit syrien d’une position privilégiée, étant donné que son tissu social la met à l'abri des accusations traditionnelles d’affinités tribales, religieuses ou sectaires avec le pouvoir d’Assad.
En tant que nation musulmane essentiellement sunnite, l'Algérie ne peut pas être accusée de soutenir Damas par solidarité alaouite ou chiite (une accusation souvent portée contre l'Iran en dépit de son pacte mutuel d’auto-défense signé avec la Syrie en 2005 sur fond du fameux discours d’«Axe du mal» de George Bush dans lequel il avait qualifié l'Iran, et dans une moindre mesure la Syrie, de menaces et donc de candidats à un «changement de régime»).
L’Algérie entretient également de bonnes relations avec la plupart des pays de la Ligue arabe et a toujours joué un rôle de modérateur pendant les périodes de crise dans la région, que ce soit entre les pays arabes ou avec l’implication d'autres pays du Moyen-Orient.
Et combien de gens se souviennent-ils que c’est Alger qui a négocié la libération des otages américains à Téhéran après la révolution
de 1979 ?
En 1988, Alger a une fois de plus assumé le rôle du principal négociateur lors de la crise des otages de vol 422 de Kuwait Airways, lorsque des combattants libanais ont tenté de détourner l'avion à destination de Bangkok.
Les autorités algériennes ont refusé d’envoyer les pirates de l'air dans les capitales occidentales qui réclamaient leur transfert aux tribunaux européens pour qu’ils fassent face à un procès.
L'Algérie a acquis une réputation de partie qualifiée et impartiale dont le rôle a été reconnu dans la résolution de plusieurs crises par le passé
Plus récemment, Alger a refusé de se laisser entraîner dans la guerre menée actuellement par l'Arabie saoudite contre le Yémen, préférant mener des pourparlers en coulisses qui pourraient résoudre la crise en cours.
Ayant refusé de se livrer à un discours sectaire ou tribale qui a monté de nombreux pays arabes les uns contre les autres, et préférant soutenir des pays au nom de la solidarité arabe, l'Algérie a acquis une réputation de partie qualifiée et impartiale dont le rôle a été reconnu dans la résolution de plusieurs crises par le passé.
La Syrie : miroir de l’Algérie
Le soutien d'Alger pour la Syrie a néanmoins des raisons beaucoup plus profondes que le simple respect de la souveraineté nationale. Dans les années 1990, l'Algérie avait fait face à une crise similaire à celle que traverse aujourd’hui la Syrie. Ce pays magrébin avait alors été plongée dans une guerre civile de dix ans contre les factions «islamistes».
Alors que le pays était passé par un changement politique et avait laissé pléthore de nouveaux partis politiques émerger en 1989, le parti «islamiste» FIS (Front islamique du Salut) dirigé par le charismatique Abassi Madani semblait être le mouvement le plus crédible pour contester la domination du FLN, alors au pouvoir, dans la politique algérienne.
Au premier tour des élections le FIS remporta la majorité des conseils locaux, ce qui lui promettait une victoire imminente au prochain tour.
Les discours enflammés de Belhadj se transformaient lentement mais sûrement en des appels contre les Algériens qui ne soutenaient pas les aspects «religieux» de ses politique
Mais au même moment, un député du FIS, une figure beaucoup plus radicale – Ali Belhadj – expliqua qu’il faudrait arrêter d’organiser les élections une fois que son parti serait au pouvoir et dissoudre toutes les institutions étatiques, ce qui permettraient à son parti de gouverner.
Complexe et malhonnête, une telle approche de la politique n'a pas échappé à beaucoup des membres du gouvernement.
Les discours enflammés de Belhadj se transformaient lentement mais sûrement en des appels contre les Algériens qui ne soutenaient pas les aspects «religieux» de ses politique et il obtint du soutien pour des attaques contre les symboles de l'Etat dans le but de démontrer la puissance de son mouvement.
L'armée algérienne intervint finalement et annula le second tour des élections qui semblait apporter au FIS une victoire presque garantie.
Ce mouvement étant largement condamné par la «communauté internationale», cela avait été immédiatement considérée par les dirigeants du FIS comme une déclaration de guerre de facto contre l’organisation.
Par conséquent Belhadj et Madani appelèrent leurs partisans à prendre les armes contre le gouvernement et tous ceux qui s’opposaient à eux, les traitant d’ «incroyants» et plongeant le pays dans une guerre fratricide infernale, ressemblant fortement au conflit qui ravage la Syrie aujourd'hui.
Pour l'armée, les institutions étatiques sur lesquelles la nation algérienne avait été bâties étaient menacés par un groupe ouvertement soutenu par des entités étrangères cherchant à établir une version «bâtarde» d'un Etat islamique dans un pays qui était déjà musulman et dont les fondations étaient ancrées dans les valeurs islamiques.
Bien que les décisions de l'armée algérienne aient donné lieu à des critiques, le FIS était en mesure et avait les moyens de contester la décision du gouvernement sans passer à la violence. A la place, le parti «islamique» a appelé ses partisans à s’armer et à attaquer le gouvernement et des cibles civiles, causant d’innombrables victimes parmi lesquelles il n’y avait que des musulmans.
Pendant les années 1990, appelées localement «la décennie rouge», le pays était isolé du reste du monde
Des jeunes réservistes de l'armée furent capturés et décapités par le mouvement AIS (Armée Islamique du Salut) qui venait d’être formé, le GIA (Groupe islamique Armé), et des bombes furent posées dans diverses institutions, y compris des écoles et des hôpitaux.
En août 1992, en pleines vacances d'été, une bombe explosa à l'aéroport d'Alger tuant des dizaines de passagers et en blessant des centaines. Le gouvernement déclara l'état d'urgence et le pays entra dans une longue période douloureuse de guerre civile qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes (de 44 000 à 200 000 selon les estimations) et poussé plus d’un million d'Algériens à quitter le pays au cours de la décennie suivante.
Pendant les années 1990, appelées localement «la décennie rouge», le pays était isolé du reste du monde car les Etats étrangers, les uns après les autres, y compris les alliés proches, ont imposé des régimes de visas stricts pour les ressortissants algériens. Les voyages et les affaires avec les pays d'Afrique du Nord étaient presque à l’arrêt.
Cependant, alors que l'isolement de l'Algérie était à l'époque ressenti comme une douloureuse trahison, il s’est finalement avéré être son salut.
Laissée face à ses propres problèmes, l'Algérie a su résoudre la crise «en interne», sans ingérence de forces extérieures. Ce qui, par contre, a rendu la crise syrienne intraitable, c’est précisément la présence de combattants étrangers qui viennent des quatre coins du monde pour contribuer à l'élimination du «régime Assad». Mais qu’est-ce qui a transformé les manifestations nationales exigeant plus de transparence politique en un combat pour la «cause islamique» dans lequel les musulmans du monde entier seraient invités à mener une sainte guerre, un «djihad» ?
La Syrie d'aujourd'hui est vue par de nombreux Algériens comme l'Algérie des années 1990
En Syrie les manifestations initiales exigeait la lutte contre le copinage et un plus grand «pluralisme politique». Comment ces notions se transforment-elles en un désir de faire un Etat islamique d’une nation qui est déjà majoritairement musulmane, où l'islam est visible et présent à tous les niveaux ?
Sans aucun doute, la position géographique de la Syrie, au cœur du Levant et à la frontière d'Israël, allié de l’Occident, a transformé ces manifestations locales en crise mondiale [telle qu’on la connaît] aujourd'hui.
La Syrie d'aujourd'hui est vue par de nombreux Algériens comme l'Algérie des années 1990.
Pourtant, alors que les attaques régulières en Algérie étaient brutales et la nation meurtrie, les terroristes commençaient à être accablés par la fatigue de la guerre. Contrairement à la Syrie, où il semble que des combattants frais arrivent régulièrement, les rangs du GIA ont fini par se vider.
Le soutien et le savoir-faire algérien sont donc aujourd'hui cruciaux. Alors que le conflit armé touchait à sa fin, le président algérien Abdelaziz Bouteflika avait offert une amnistie totale à ceux qui avaient pris les armes contre l'Etat.
La question étant soumise à un référendum populaire et approuvée par une large majorité, les combattants qui n’étaient pas impliqués dans des attaques contre des civils ou les viols (une tactique classique des terroristes du GIA) ont été graciés et autorisés à retourner à la vie civile.
Il est impératif pour les forces extérieures impliquées dans le conflit syrien de s’en retirer
Comme c’est le cas en Syrie, beaucoup ont alors avoué avoir été entraînés dans un conflit qu’ils étaient incapables de comprendre. Comme le gouvernement algérien était désireux de restaurer la paix, ainsi qu’enraciner un sentiment de réconciliation nationale, le pays déchiré par la guerre a finalement réussi à avancer.
La Syrie aux Syriens
Il est donc impératif pour les forces extérieures impliquées dans le conflit syrien de s’en retirer. La Turquie est maintenant face à ses propres problèmes et l'Arabie saoudite, qui a consacré une grande partie de sa puissance militaire à la guerre au Yémen, est à la recherche de moyens d’en sortir tout en sauvant la face.
Il reste une question épineuse : que faire avec la foule de ces combattants étrangers dont personne ne veut et dont la seule option pour survivre est de continuer à lutter contre un gouvernement
Cela donne à la Syrie l'occasion de reprendre le contrôle de la guerre et de travailler en vue d’un retour progressif à la paix. Les images récentes de combattants de l'opposition qui se rendent à l'armée syrienne indiquent qu'une certaine forme d'amnistie basée sur le modèle algérien sera offert à ces combattants.
Comme la plupart des sondages d'opinion confirment la popularité d'Assad et le rejet du conflit en cours, les Syriens sont face à la possibilité de mettre fin à cette crise. Malheureusement pour Damas, il reste une question épineuse : que faire avec la foule de ces combattants étrangers dont personne ne veut et dont la seule option pour survivre est de continuer à lutter contre un gouvernement qui n'a jamais été leur cible première ?
Pour cela, l'Algérie n'a pas d'expérience passée à partager, mais ses compétences en médiation seront désormais cruciales. Pour la survie de la Syrie, espérons que l’Algérie sera fidèle à sa réputation.
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