Le candidat à la présidentielle américaine fait désormais face à une opposition extrêmement forte de la part de l'establishment. Mais ces opposants ont-ils le droit de le critiquer ? L'historien John Laughland présente sa vision.
Finalement, le masque est tombé. 50 membres du Parti républicain, tous des anciens fonctionnaires ou ministres de gouvernements américains précédents, et dont les compétences relevaient de la sécurité nationale ou de la politique étrangère, se sont déclarés hostiles à la candidature de Donald Trump dans un communiqué rendu public le 8 août. Ils insistent en particulier sur son incapacité à diriger la politique extérieure des Etats-Unis, affirmant qu'il serait «un président dangereux qui mettrait la sécurité nationale à risque».
L'establishment qui gouverne les Etats-Unis se dresse comme un seul homme contre l'outsider Trump
Autrement dit, l'establishment qui gouverne les Etats-Unis - car la politique américaine est dominée par sa politique extérieure, qui est à son tour dictée par le complexe militaro-industriel et par les politiciens financés par celui-ci- se dresse donc comme un seul homme contre l'outsider qu'est Trump.
Leur affirmation selon laquelle Trump serait «le président le plus téméraire de l'histoire des Etats-Unis» est particulièrement piquante, au vu du bilan des signataires de cette lettre ouverte. Pour la plupart ils appartiennent à la frange la plus extrême de la mouvance néoconservatrice, qui a atteint l'apogée de son pouvoir sous la présidence de George W. Bush et qui continue à être très influente y compris au sein du Parti démocrate.
On pense notamment à Robert Zoellick, ancien président de la Banque mondiale, ancien employé de Goldman Sachs et ancien secrétaire d'Etat adjoint des Etats-Unis sous George W. Bush. En cas de victoire de Mitt Romney en 2012 - l'un des candidats les plus extrémistes sur le plan de la politique étrangère, qui est notamment connu pour avoir déclaré que la Russie était l'ennemi géopolitique numéro un des Etats Unis - Zoellick serait devenu secrétaire d'Etat ou Conseiller à la Sécurité nationale en cas de victoire de Romney.
On pense aussi à Dov Zakheim, un proche de Zoellick, membre d'un groupe de conseillers du candidat George W. Bush en 2000. Parmi les autres membres de ce groupe, qui s'appelait Les Vulcains en honneur du dieu romain du feu, on trouve Condoleezza Rice, Paul Wolfowitz (architecte de la guerre en Irak) et Scooter Libby, l'un des figures de proue des néoconservateurs.
Tous ces hommes ont gravement contribué à la très grande instabilité mondiale provoquée par la politique étrangère du pire que téméraire président George W. Bush
Voici aussi le général Michael Hayden, directeur de l'Agence nationale de la sécurité pendant la guerre en Irak et directeur de la CIA après (de 2006 à 2009 quand il a été remercié par le nouveau président Obama). Hayden compte parmi les défenseurs ouverts de la torture pratiquée par les services américains, en Irak et ailleurs, dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme».
Et que dire de John Negroponte, signataire de la lettre ouverte et ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU au moment où Colin Powell faisait des affirmations mensongères au Conseil de sécurité à propos de la présence d'armements de destruction massive en Irak ? Negroponte sera plus tard «ambassadeur américain» en Irak même, c'est-à-dire gouverneur du pays occupé, et ensuite directeur du Renseignement national, toujours sous George W. Bush, l'un des présidents les plus catastrophiques - notamment sur la plan de la politique étrangère - de toute l'histoire des Etats-Unis.
C'est précisément la mémoire collective de la catastrophe Bush qui a rendu inévitable l'élection d'un président démocrate pour deux mandats après que Bush a quitté ses fonctions en 2008
La liste se lit comme un véritable bottin de l'horreur néoconservatrice : David Kramer, ancien directeur de Freedom House, ONG très proche de la CIA, qui occupe actuellement des fonctions à l'institut dirigé par le sénateur déséquilibré, John McCain ; Eliot Cohen, fondateur du «Projet pour le nouveau siècle américain», l'un des manifestes les plus extrémistes du crédo belliqueux et néoconservateur, et un ami proche de Richard Perle, surnommé «Le prince de ténèbres» pendant son mandat de président du Defense Policy Board Advisory Committee sous George W. Bush ; et Eric Edelman, ancien conseiller pour la sécurité nationale du Vice-Président Dick Cheney, le «cerveau» de George W. Bush.
On peut multiplier les exemples mais tous ces hommes ont gravement contribué à la très grande instabilité mondiale provoquée par la politique étrangère du pire que téméraire président George W Bush. C'est précisément la mémoire collective de la catastrophe Bush qui a rendu inévitable l'élection d'un président démocrate pour deux mandats après que Bush a quitté ses fonctions en 2008.
La publication de ce communiqué a coincidé - est-ce un hasard ? - avec celle d'un article, toujours dans le New York Times, signé par un autre ancien directeur de la CIA, Michael Morrell. Il emploie exactement le même vocabulaire dans son article que les auteurs du communiqué : Trump serait «un danger pour lé sécurité nationale», «inexpérimenté», et trop instable sur le plan personnel pour devenir président des Etats-Unis.
Ce n'est pas le caractère versatile de Trump qui représente un danger pour le monde, mais la vision paranoïaque des relations internationales de tous les signataires du manifeste anti-Trump
Morrell a au moins un mérite : il est explicite sur la Russie là ou les 50 signataires de la lettre ouverte sont plus discrets. Car fondamentalement, ce qui réunit les 50 signataires, c'est leur conviction que le candidat Romney avait raison en 2012 quand il a proclamé la guerre à la Russie. Pour Morrell, Vladimir Poutine aurait «recruté» Donald Trump comme agent de la Fédération de Russie, en le flattant pour obtenir quelques remarques favorables à son égard pendant la campagne. On croit rêver quand on lit des âneries pareilles mais ce genre de fantasme est considéré comme de l'analyse sérieuse outre-atlantique.
Trump est sans doute un homme arrogant et sûr de lui-même. On peut souhaiter que les candidats à la présidence américaine fassent preuve de plus de finesse. Mais ce n'est pas son caractère versatile qui représente un danger pour le monde. C'est au contraire la vision paranoïaque des relations internationales de Michael Morrell, comme de tous les signataires du manifeste anti-Trump, qui fait que cet establishment américain représente le vrai danger pour la paix du monde.
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