Une entrée en jeu de la France sur le sol en Syrie précéderait-elle une tentative de balkanisation de la région ? La commentatrice pour le Moyen-Orient Catherine Shakdam analyse.
Alors que l'armée arabe syrienne regagne du terrain sur ce que les médias grand public appellent encore «l'opposition», la France a durci le ton, désireuse d'entrer militairement dans la mêlée pour maintenir, ou plutôt, réclamer sa part en Syrie.
Plus tôt dans le mois de juin, les médias ont présenté la nouvelle : Paris avait envoyé ses forces spéciales dans le Nord de la Syrie pour aider les Kurdes à combattre Daesh – le tout dans le cadre d’une opération de contre-terrorisme plus large dans la région, selon Paris.
Dans une allocution faite à la chaîne Public Sénat, le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian, a confirmé que Paris «apportait un soutien par le biais de fournitures d'armes, de présence aérienne et de conseil».
Le commentaire du ministre Le Drian a également été repris par un autre haut fonctionnaire, lorsqu'il dit à l'AFP : «La France a déployé ses forces spéciales sur le terrain dans le Nord de la Syrie pour fournir des conseils aux rebelles et les aider à lutter contre l'Etat islamique».
Si les capitales occidentales ont souvent voulu dissimuler leurs interventions afin de mieux gérer et orchestrer les retombées politiques que leurs actions pourraient entraîner, la France a été plutôt honnête et, je dirais, a sans remords annoncé sa décision d’intervenir en Syrie.
Mais que fait la France exactement en Syrie ? Et surtout, pourquoi maintenant ?
La réponse à cette question peut en partie être liée au titre d'un nouveau rapport publié par Voice of America (VOA). Le titre énonce : «La France déploie des forces spéciales en Syrie alors que Daesh perd du terrain».
Je vois dans l'intervention de la France un aveu de culpabilité, le désir de rester politiquement pertinent dans le Levant, et l’envie d'affirmer un contrôle quel qu’il soit
Un choix de mots intéressant en effet... Mais il y a plus. «La confirmation de l'assistance au sol française aux forces démocratiques syriennes dirigées par les Kurdes […] a eu lieu quand les avions de combat du gouvernement syrien ont intensifié leurs frappes aériennes sur les districts rebelles d'Alep. Les bombardements du mercredi ont fait au moins 20 morts et ont endommagé trois hôpitaux dans les quartiers rebelles de la ville, selon des militants politiques locaux et les secouristes appelés Casques blancs».
Alors que beaucoup pourraient voir dans ces lignes la confirmation que l'Occident est au service des rêves démocratiques de la Syrie contre l'orgueil dictatorial du président Bachar el-Assad – le leader que les grands médias politiques ont appris tous les bons citoyens occidentaux à détester – je lis une confession politique.
Je vois dans l'intervention de la France un aveu de culpabilité, le désir de rester politiquement pertinent dans le Levant, et l’envie d'affirmer un contrôle quel qu’il soit.
Oui, j’ai appris tout cela de VOA ! Permettez-moi de dire que Jamie Dettmer n’avait certainement pas l'intention de laisser tant d’informations transpirer.
Faisons un saut dans le passé, vers le début de 2011, quand la Syrie était témoin des premières étapes d’un renversement politique agressif. Ensuite, on nous a dit que la Syrie était sous l'emprise d'un soulèvement populaire opposant le régime du président el-Assad à des militants pro-démocratiques.
Alors que la violence a laissé la place à une effusion de sang et à une boucherie inimaginables (boucherie qui a été criminellement rejetée sur Damas pour mieux justifier l'interventionnisme occidental), Daesh a fait surface, brouillant les lignes entre l’opposition, désormais tristement célèbre, et le terrorisme.
La question syrienne a toujours été une question de contrôle
De nos jours, il est difficile de faire la différence entre les deux. En vérité, on peut supposer que les deux entités sont les sous-produits d’une même volonté – le contrôle – mais exprimés de façon différente.
Maintenant, alors que les mois se sont transformés en années, la Syrie est devenue un grand champ de bataille pour toutes les difformités politiques et idéologiques. Une constante a subsisté : le président Bachar el-Assad doit partir.
La guerre en Syrie doit être examinée sous cet angle, et uniquement sous cet angle, vu que la destitution du président Assad reste le but ultime des puissances occidentales. Le nouveau jeu de la France ici alimente directement ce récit politique, mais sous un angle différent.
Quel angle ?
Regardons-le de cette façon : dans ce texte jusqu'à présent la Syrie a dû souffrir d'une révolution contrefaite, du terrorisme, et de l'interventionnisme militaire tout cela au nom du changement de régime.
Pourtant, Damas a résisté. En fait, Damas a su faire plus que résister ; il a commencé à se battre et à récupérer ses terres et sa souveraineté. A tel point que la terreur se trouva coincée. A tel point que les puissances occidentales ont dû réévaluer leur stratégie, et imaginer une nouvelle «ouverture» pour mener à bien ces objectifs qu’ils sont tellement décidés à provoquer.
Quel est l'ordre du jour ?
Là c’est simple : le contrôle.
La question syrienne a toujours été une question de contrôle. Le contrôle sur le discours politique de la Syrie, le contrôle sur les ressources naturelles de la Syrie et le contrôle sur le potentiel géopolitique de la Syrie.
La France – vous vous souvenez peut-être – est l'un des investisseurs politiques à long terme de la Syrie. A l’époque des colonies, la France a joué au cartographe sur la carcasse de l'Empire ottoman afin que les colonies nourrissent et reflètent leurs ambitions politiques dans le Levant.
Comme l'Occident ne peut pas renverser le président Bachar el-Assad, il va maintenant tacher de démanteler sa souveraineté
Aujourd'hui, des décennies après l'accord Sykes-Picot, la France veut faire en sorte que son héritage résiste à l'épreuve du temps.
Maintenant, afin que les puissances occidentales affirment leur contrôle sur la Syrie, le chaos, ou tout du moins des divisions internes, devait être levé. Depuis, Daesh a échoué à intégrer le sectarisme – pas faute d'avoir essayé, cela doit être souligné – une seule carte reste alors à jouer : les tensions ethniques, ou plutôt, la dissidence ethnique.
La France, vous remarquerez, a planté son drapeau dans le Nord de la Syrie, sur le territoire kurde. Serait-ce exagérer d'imaginer que l'intérêt soudain de Paris dans la lutte contre le terrorisme a tout à voir avec la construction d'une alliance franco-kurde pour mieux saper l'autorité de Damas ?
Pourtant, le président Assad a fait un excellent travail en triomphant de la terreur. Soutenu par la Russie, l'Iran et le Hezbollah libanais, l'Armée arabe syrienne a littéralement écrasé le réseau de Daesh en forçant des milliers de ses militants se sauver dans les collines.
Pourquoi les Français se sont-ils sentis obligés d'intervenir maintenant – quand on ne leur demande pas – si ce n’est pour servir leurs propres intérêts ? Pourquoi, en effet ?
Semion Bagdasarov, le directeur du Centre d’études d'Asie centrale et du Moyen-Orient à Moscou, a déclaré dans une interview à Svobodnaïa Pressa qu’il croyait que l’avancée de la France en Syrie précéderait une tentative de balkanisation de la région.
Comme l'Occident ne peut pas renverser le président Bachar el-Assad, il va maintenant tacher de démanteler sa souveraineté, en jouant sur l'autonomisation ethnique afin de mieux contrôler le sort politique de la région.
En 2015, Samuel Ramani a écrit pour le Washington Post : «L'attitude belliciste de la France envers Assad et l'ampleur de son intervention en Syrie peut être expliquée par trois facteurs. Tout d'abord, la France utilise sa politique étrangère interventionniste en Syrie et au Moyen-Orient plus largement, pour renforcer la perception d’elle-même en tant que grande puissance. Deuxièmement, la France remplit son rôle historique [consistant à] présenter une politique étrangère alternative à celle offerte par les Etats-Unis. Troisièmement, la France considère son opposition inébranlable à Assad comme une occasion de renforcer la coopération en matière de sécurité avec les pays sunnites opposés à Assad au Moyen-Orient, qui partagent avec la France une méfiance profonde à l'égard de l'Iran».
Assez dit...
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