Universitaire spécialiste de l'Afrique, Bernard Lugan est l'auteur de nombreux livres. Il anime un blog consacré à l'actualité et à la géopolitique de l'Afrique. Il dirige la revue par internet L'Afrique réelle www.bernard-lugan.com

Les quatre guerres de Libye

Les quatre guerres de Libye© Esam Omran Al-Fetori Source: Reuters
9 octobre 2015 : des gens manifestent contre les candidats au Gouvernement d'union nationale proposés par l'envoyé de l'ONU en Libye, Bernardino Leon
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«La «démocratisation» de la Libye est un tragique échec et la «croisade humanitaire» décidée par la France de Nicolas Sarkozy, y a provoqué un désastre national et régional», considère les spécialiste de l'Afrique Bernard Lugan.

Les conséquences de la guerre civile libyenne sont à la fois internes et externes.

A l’intérieur, la mort du colonel Kadhafi, ne marqua pas la fin du conflit  car, dans tout le pays, les milices tribales, régionales et religieuses s’opposent sur fond de rupture entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine. La «démocratisation» de la Libye est donc un tragique échec et la «croisade humanitaire» décidée par la France de Nicolas Sarkozy y a provoqué un désastre national et régional.

Comme l’a souligné le président tchadien Idriss Déby : 

«Sans doute de bonne foi, la France pensait qu’après Kadhafi, la Libye allait avoir un régime démocratique et organisé. C’était vraiment méconnaître la société libyenne […] Hier les jihadistes n’avaient pas de terrain. Maintenant ils en ont un : c’est la Libye tout entière […] La Libye est au bord de l’explosion […] C’est un pays qui n’a pas d’armée, pas d’institution, pas de société civile pour garantir la paix […] Tous les radicaux islamistes sont aujourd’hui en Libye» (Idriss Déby, Entretien  donné au Figaro, le 7 juin 2013).

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A l’extérieur, depuis la Libye, le front islamiste s’étend vers la région tchado-nigériane où les jihadistes bénéficient d’un continuum ethno-religieux transfrontalier. Aujourd’hui, le Niger, le Tchad, le Cameroun et le Nigeria sont menacés. Au nord, la contagion libyenne touche l’Egypte, la Tunisie et l’Algérie, cependant que l’entonnoir libyen déverse jour après jour des cargaisons de clandestins en Europe.

Dans une Libye disloquée par une guerre de tous contre tous, trois gouvernements s’opposent. A Tobrouk siège la Chambre des représentants reconnue par la communauté internationale ; à Tripoli est installé le parlement de Salut national sous influence des islamistes d’Abdelhamid Belhadj et des Frères musulmans de Misrata. Quant au Gouvernement d’union nationale «dirigé» par  Fayez el-Sarraj, il s’agissait, à l’heure où ces lignes étaient écrites, d’une entité virtuelle réfugiée à Tunis.

Les conséquences des affrontements qui embrasent le sud de la Libye risquent de se faire sentir dans tout le Sahara et dans une partie du Sahel avec un danger de déstabilisation du Tchad et du Niger

Militairement, quatre fronts principaux sont ouverts :

1-En Cyrénaïque, les forces «laïques» du général Haftar font face aux islamistes.

2- En Tripolitaine, les milices islamistes de Tripoli et de Misrata tentent d’isoler celles de Zenten

3-Au Fezzan, dans la région de Mourzouk, au croisement de leurs aires d’influence, Touaregs et Toubous s’affrontent pour le contrôle du commerce et des trafics transsahariens. Nous sommes ici  dans la longue histoire, sur l’antique route des caravanes. Certains groupes touaregs se sont alliés aux jihadistes quand les Toubous affirment au contraire combattre ces derniers. Touaregs et Toubous font d’ailleurs partie de deux alliances opposées. La première qui réunit Toubous, milice de Zintan, forces du général Haftar et tribus kadhafistes (Kadafdha et Magarha), est soutenue par les Emirats arabes. La seconde alliance qui regroupe Touaregs, Arabes Awlad Sulaymane, milices de Misrata et de Tripoli est aidée par le Qatar et la Turquie.

Les conséquences des affrontements qui embrasent le sud de la Libye risquent de se faire sentir dans tout le Sahara et dans une partie du Sahel avec un danger de déstabilisation du Tchad et du Niger, deux pays essentiels à l’équilibre régional. Quant à la France, sa position est difficile car elle soutient le Tchad, donc les Toubous, mais, ce faisant elle risque de s’attirer l’hostilité des Touaregs du Mali qui sont ses alliés…

4- Dans la région de Syrte, l’Etat islamique a installé une tête de pont au cœur d’une zone proche des principaux terminaux pétroliers de Cyrénaïque et aux lisières de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque. L’Etat islamique a pour objectif d’engerber toutes les forces islamistes dont Fajr Libya, Ansar Al Sharia et les diverses sous-marques d’Al-Qaïda dans un futur "Etat islamique d'Afrique du Nord", à l'imitation de l'Etat islamique d'Irak. Comme la région est le point de départ de la pénétrante qui s’enfonce vers le Sud en direction de la région péri-tchadique, il serait donc possible à l’Etat islamique d’établir une liaison avec  Boko Haram en tirant parti du réseau commercial ancré sur la tribu arabe des Awlad Sulayman dont plusieurs membres lui ont fait allégeance.

L’Etat islamique de Libye, à la différence de celui de Syrie et d’Irak, ne dispose pas de la base arrière turque

Face à ce danger, l’idée d’une intervention militaire occidentale fait son chemin, mais les pays du Maghreb y sont opposés. L’Algérie considère pour sa part que c’est à ceux qui ont déclenché la guerre de 2011 de réparer les dégâts qui en résultent aujourd’hui... Or :

1-Une intervention contre l’Etat islamique risquerait d’être vue par les jihadistes qui se partagent la Libye comme une entreprise néo-coloniale et pourrait provoquer un rejet, et pourquoi pas une coagulation de toutes leurs milices contre les «croisés».

2-Certains minimisent le danger représenté par lEtat islamiquequi ne serait, selon eux, qu’une des multiples organisations islamistes du pays. De plus ses combattants sont peu nombreux et ils ne bénéficient d’aucun soutien tribal conséquent. Enfin, à la différence de celui de Syrie et d’Irak, l’Etat islamique de Libye ne dispose pas de la base arrière turque. Enfin, il n’aurait pas de possibilité d’exporter son pétrole par la mer et, territorialement, son expansion est bloquée tant à l’Est qu’à l’Ouest par des milices puissantes (Haftar et Misrata). Sa seule marge de manœuvre est donc le Sud, afin de tenter de tendre la main à Boko Haram...

Quoiqu’il en soit du danger réel ou supposé que représente l’Etat islamique, une éventuelle intervention ne peut être décidée que si elle est demandée par le Gouvernement d’union nationale formé le 19 janvier 2016 sous les pressions de l’ONU. Or, les deux parlements rivaux de Tobrouk et de Tripoli lui ont refusé leur confiance. Le 14 février, un nouveau gouvernement fut annoncé qui, à la date où ces lignes étaient écrites (16 février 2016), attendait d’être reconnu par Tripoli et par Tobrouk.

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Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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