Alors que le procès du lanceur d'alerte Antoine Deltour, qui comparaît avec deux autres Français au Luxembourg s'est ouvert, Thomas Carbonnier, avocat fiscaliste, revient sur les conséquences du scandale LuxLeaks.
RT France : Le procès du scandale LuxLeaks vient de s’ouvrir devant le tribunal correctionnel de Luxembourg. Qu’est-ce le pays a mis en place depuis les révélations de ce scandale ?
Thomas Carbonnier (T.C.) : Le problème avec LuxLeaks se sont les prix de transfert. Pour comprendre, prenez deux sociétés qui sont liées par des liens capitalistiques et réalisent des transactions entre elles. On a une société A basée en France et une société B basée au Luxembourg. Si on caricature, la société A fait 100 euros de bénéfice imposé à 33% en France alors que la société B a un taux d’imposition de 10%. Et bien on va ajouter une prestation de service pour délocaliser une partie du bénéfice vers la société B pour qu’il soit moins imposé. A la base ce dispositif est complètement légal. La problématique c’est quels sont les prix de ces prestations ? Ce sont des sociétés qui ont pratiqué ce genre de schéma d’optimisation, qui sont allées trop loin avec des schémas abusifs sur le plan fiscal qui ne sont plus dans la légalité. Des grands groupes utilisent ces techniques toute la journée, et un salarié qui n’a pas trouvé ça éthique a révélé l’histoire au grand jour.
A la base ce dispositif est complètement légal
Mais le Luxembourg n’a pas changé sa législation et se pose même la question de savoir comment faire pour être encore plus attractif pour attirer les capitaux étrangers et assurer un avenir économique à son pays, à ses citoyens, à ses contribuables.
RT France : La France tire-t-elle avantage des pays frontaliers à faible fiscalité comme Luxembourg, la Suisse, ou Monaco ?
T.C. : Non ce n’est pas intéressant pour la France, ce sont de véritables concurrents. Au contraire, c’est potentiellement de la fuite de masse imposable, c’est souvent une baisse des recettes fiscales de l’Etat.
La France s’est dotée d’un arsenal très développé au travers de conventions fiscales internationales
Derrière ça, on peut nuancer, s’il y a une forme d’évasion fiscale vers des cieux plus cléments ça peut aussi permettre de dégager plus de bénéfice et de le réinvestir, de développer l’activité et peut être créer de l’emploi et pas qu’au Luxembourg. Le débat est complexe en réalité.
RT France : Comment la France se place-t-elle en terme de lutte contre l’évasion fiscale ?
T.C. : Aujourd’hui ce qui est combattu c’est surtout la fraude et l’abus, puisque l’optimisation en elle-même est légale. La France s’est dotée d’un arsenal très développé au travers de conventions fiscales internationales.
L’optimisation en elle-même est légale
Il y a des échanges d’informations, une coopération forte entre les administrations fiscales de plusieurs pays. Et globalement ces techniques fonctionnent même si elles restent encore à améliorer.
RT France : Panama Papers, LuxLeaks : que dire des lanceurs d’alertes dans le monde des affaires et de la finance ?
T.C. : Le problème avec les lanceurs d’alertes, c'est que oui, sur le papier c’est bien, mais quelle type d’alerte ? Ne risque-t-on pas des dérives à vouloir protéger des gens et leur permettre d’exposer au grand public, de révéler des secrets et peut être demain des secrets de fabrication de grands groupes. On commence par délivrer des comptes, aller chercher des informations confidentielles, mais jusqu’où on va ? Où est la limite ?
Si on en est à découvrir autant de fraudes, n’y a-t-il pas un vrai problème de pression fiscale dans notre pays ?
Cela pose le problème de la confidentialité des affaires. Il était aussi question de lanceurs d’alertes dans des projets de fusion de société, que le Comité d’entreprise ait accès dès le stade des négociations à toutes les informations. Le problème c’est qu’on parle de négociations qui ne sont pas sûres d’aboutir, on risque de tout faire capoter. Je ne suis pas certain que cela soit bénéfique pour la vie des affaires. Il faut renforcer les moyens de coopération et de lutte contre la fraude fiscale. Et s’interroger sur notre système tout entier. Si on en est à découvrir autant de fraudes, n’y a-t-il pas un vrai problème de pression fiscale dans notre pays ?
Lire aussi : Secret des affaires : «l’œuvre d’un lobby bancaire»
Si demain on annonce que les sociétés ne seront plus imposées qu’à 5% sur les bénéfices, est-ce que ça vaudra encore le coût de prendre des risques de schéma d’optimisation ? Non.
Je trouve le procès Deltour normal
En Europe, il faudrait harmoniser la base de l’imposition pour l’impôt sur les sociétés car la base imposable n’est pas calculée de la même façon d’un pays à l’autre. Il y a eu un projet sur cette question, qui est tombé à l’eau – le projet Accis – qui visait à harmoniser pour calculer de la même façon dans tous les pays.
Je trouve le procès Deltour normal. Je suis avocat, et demain si je reçois des personnes qui viennent me confier leurs secrets, je suis tenu au secret et c'est pour ça qu’on peut dialoguer. Si demain il n’y a plus de secret, on ne fait plus rien, comment je peux assurer que les informations communiquées ne vont pas se retrouver dans les mains de concurrents.
Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.