Le spécialiste des questions européennes Pierre Lévy analyse les résultats du référendum néerlandais qui témoigne pour lui d'une colère croissante envers l'Union européenne.
C’était le 9 décembre 2015. Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, était en déplacement aux Pays-Bas. Il saisissait alors l’occasion pour avertir les citoyens de ce pays : s’ils devaient voter Non au référendum portant sur le traité d’association entre l’UE et l’Ukraine, cela entraînerait une grave «crise continentale».
Cinq mois plus tard – le 6 avril dernier – les électeurs se sont bel et bien opposés à la ratification de cet accord, par 61,1% des suffrages. Avec une participation de 32,2% au scrutin, la barre des 30% nécessaire à la validation du résultat a été atteinte. Nos voisins néerlandais se sont donc prononcés contre un acte de l’UE – une nouvelle fois ; et ce, malgré l’avis du chef de l’exécutif européen. Malgré… ou grâce à. Car en décembre, la déclaration de M. Juncker avait semé la consternation au sein de la classe politique de La Haye : celle-ci était consciente que l’ingérence de Bruxelles constituait désormais un profond facteur de rejet de l’Europe parmi les citoyens. On ne peut du reste que s’en réjouir.
Nos voisins néerlandais se sont donc prononcés contre un acte de l’UE et ce, malgré l’avis du chef de l’exécutif européen. Malgré… ou grâce à
Force est de constater que le président de la Commission a des difficultés avec la compréhension de cette réalité. Déjà, lors du référendum grec de l’été 2015, il avait exhorté les électeurs de ce pays à voter Oui aux mesures que la Troïka entendait imposer. Avec notamment cet argument, qui avait été droit au cœur des citoyens hellènes, selon lequel «la démocratie ne peut aller contre les traités européens». Avec un Non à 61,3%, la réponse des Grecs avaient été cinglante. Et l’austérité européenne n’avait alors dû son salut qu’au retournement du gouvernement dit – par antiphrase – de «gauche radicale» : quelques jours à peine après le scrutin, le Premier ministre Alexis Tsipras décidait d’aller contre le résultat de la consultation.
En ira-t-il de même aux Pays-Bas ? Certes, les enjeux concernant la vie des habitants sont moins directs, moins brutaux. Et sans doute les questions géopolitiques et économiques ayant trait aux rapports entre Bruxelles et Kiev sont elles passées au second plan pour tous les électeurs – et ils sont de plus en plus nombreux, aux Pays-Bas et ailleurs – qui entendent exprimer leur ras-le-bol de l’intégration européenne, cette « union toujours plus étroite ».
La conclusion logique est que le traité d’association est mort-né
Reste que les principes juridiques sont pourtant simples : un traité international doit être ratifié pour entrer pleinement en vigueur ; dans le cas de l’UE, l’unanimité des vingt-huit pays membres est requise, faute de quoi il n’y a pas ratification. Certes, le référendum néerlandais n’est pas juridiquement contraignant au regard du droit de ce pays, mais le Premier ministre avait assuré qu’on ne pourrait, politiquement, ignorer le verdict populaire.
Bref, la conclusion logique est que le traité d’association est mort-né, comme le fut en 2005 le projet de traité constitutionnel – lui aussi rejeté massivement par les Hollandais, quelques jours après les Français. On sait ce qu’il advint.
Pour le traité UE-Ukraine, les dirigeants ont donc commencé à évoquer de nombreuses subtilités juridiques. Ils font ainsi valoir que la partie politique, puis la partie économique (libre échange) sont déjà entrées «provisoirement» en vigueur – il fallait faire plaisir à Kiev, adversaire de Moscou ; dès lors, il faudrait l’unanimité pour inverser cette situation «provisoire» arguent certains eurojuristes ; en outre, les dispositions relevant des compétences exclusives de Bruxelles pourraient être «sauvées» ; et les dispositions impliquant les Pays-Bas, «renégociées».
Si les dirigeants européens tentent effectivement de piétiner une nouvelle fois la volonté populaire, ils pourront sans doute à très court terme imposer leurs vues
Il y a peu de chances que les électeurs néerlandais comprennent et apprécient ces chicanes. Si les dirigeants européens tentent effectivement de piétiner une nouvelle fois la volonté populaire, ils pourront sans doute à très court terme imposer leurs vues. En France notamment, ils sont aidés en cela par le silence radio et TV : que ce soit sur le service public ou sur les antennes privées, circulez, il n’y a rien à voir. Silence radio, écran noir. La «crise continentale» redoutée par Jean-Claude Juncker ? Censurée. Pardi : il y a fort à parier que le peuple français, comme la plupart de ses voisins eût voté de la même manière si la question lui avait été posée (au lieu de cela, celle-ci a fait l’objet d’un très discret débat parlementaire, et a été approuvée par les représentants du peuple – vous le saviez ?).
Mais ces bras d’honneur à répétition contre la démocratie ont un prix, en termes de colères croissantes contre l’Europe. La facture s’alourdit – et les premières échéances pourraient bien être proches.
Avec, qui sait, une première échéance le 23 juin, au Royaume-Uni.
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