Pour Valentin Katassonov, docteur en économie et président de la Société Charapov, les normes de Bâle III pourraient saper le statut du dollar comme monnaie de réserve internationale – et ébranler par là même la puissance géopolitique des États-Unis. Un scénario que Washington cherche à retarder à tout prix.
Un des maillons les plus faibles de l’économie contemporaine reste le secteur bancaire, car les engagements des banques peuvent largement dépasser leur propre capital. Ce déséquilibre explique les faillites récurrentes d’établissement de dépôt et de crédit. Dès lors que l’effet domino s’enclenche, les défaillances isolées se transforment en crises bancaires, susceptibles d’entraîner des faillites dans d’autres secteurs de l’économie.
Des tentatives de renforcement de la stabilité des banques et des systèmes bancaires au niveau national ont été entreprises dès le XIXᵉ siècle. Mais ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que des initiatives ont vu le jour au niveau supranational. L’acteur principal en la matière est la Banque des règlements internationaux (BRI), parfois surnommée « club des banques centrales », basée à Bâle. C’est au sein de la BRI, qu’à la fin de l’année 1974, dix banques centrales de premier plan – le « Groupe des 10 » – ont fondé le Comité de Bale sur le contrôle bancaire (CBCB). Il s’agit d’une structure relativement autonome, chargée d’élaborer des normes communes pour les activités bancaires et des méthodologies d’évaluation destinées aux régulateurs bancaires, afin de renforcer la solidité du système et d’éviter les crises.
Les normes du Comité de Bâle ont un caractère de stricte recommandation. Les banques centrales sont invitées à les adopter et à les intégrer dans leur législation nationale, ce qui leur confère ainsi une valeur règlementaire. Le concept clé introduit dès le début est celui de « capital propre des banques » (avec des exigences minimales de fonds propres définies par le CBCB).
Les premières normes, connues sous le nom de de « Bâle I », ont été adoptées en 1988. La plupart des banques centrales les ont mises en œuvre. Toutefois, elles se sont révélées insuffisantes pour prévenir les crises bancaires dans de nombreux pays.
En 2004, « Bâle II » est venu remplacer « Bâle I », avec des exigences renforcées. Néanmoins, cette seconde version, bien que largement adoptée, n’a pas permis d’anticiper la crise financière mondiale de 2008-2009. Un durcissement supplémentaire des règles s’est alors imposé.
Dans la foulée de cette crise, la BRI a élaboré « Bâle III », approuvé entre 2010 et 2011 par l’ensemble des banques centrales membres de la BRI (notamment par la banque de la Russie).
« Bâle III » a relevé les exigences de fonds propres, redéfini la notion de capital ainsi que ses méthodes d’évaluation. De nombreux pays ont salué l’initiative, mais ont tardé à transposer ses normes les plus strictes. Durant la décennie suivante, le texte a été révisé et affiné. La dernière version date de 2019, mais elle n’a toujours pas été pleinement appliquée au niveau national. La BRI indique que « Bâle III » n’a été mis en œuvre que partiellement dans des pays comme la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, etc.
Il convient de rappeler que la majorité des grandes banques – en particulier les banques systémiques — sont situées en Occident : aux États-Unis, au Royaume-Uni, et dans l’Union européenne. Ce sont précisément ces pays qui freinent le plus la mise en œuvre de « Bâle III ». À plusieurs reprises, leurs banques centrales (la Réserve fédérale des États-Unis, la Banque d’Angleterre, la Banque centrale européenne) ont annoncé qu’elles allaient adopter ces normes, avant de repousser l’échéance, souvent sans justification.
Ces dernières années, plusieurs grandes banques occidentales ont fait faillite (notamment en 2023), menaçant de déclencher des crises systémiques. À la suite de ces événements, la Fed, la Banque d’Angleterre et la BCE ont à nouveau promis de respecter les exigences de Bâle III d’ici 2025.
Ainsi, dans les médias américains, des sources anonymes affirmaient encore récemment que l’application de Bâle III commencerait le 1er juillet de cette année. Aujourd’hui, un nouveau report est évoqué. Même constat pour le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Un aspect essentiel de Bâle III est la revalorisation du rôle de l’or dans le bilan des banques. Selon les règles du CBCB, les fonds propres des banques sont classés en trois catégories. La première inclut les devises reconnues officiellement, en espèces ou en dépôts. La seconde concerne les titres d’État les mieux notés (notamment les obligations du Trésor américain). L’or, quant à lui, était jusqu’ici relégué en troisième catégorie — assimilé à une monnaie secondaire — et n’était pris en compte qu’à 50 % de sa valeur de marché pour le calcul du capital. Dans ces conditions, les banques n’étaient guère incitées à stocker le métal précieux.
Or, Bâle III place désormais l’or dans la catégorie la plus élevée, où il est évalué à 100 % de sa valeur. Cette mesure devrait provoquer une nette hausse de la demande bancaire en or, une évolution perçue comme une menace directe pour le dollar américain, rival historique du métal jaune. À mon sens, les États-Unis redoutent plus que tout l’entrée en vigueur de Bâle III car leur puissance et leur influence mondiale, depuis 1945, reposent en grande partie sur le statut du dollar comme monnaie de réserve internationale. Bâle III pourrait remettre ce statut en cause.
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