La destruction de la Libye, de l'Irak et de la Syrie en tant qu'Etats unifiés a généré des groupes islamistes radicaux au Moyen-Orient et a été causé par l'intervention de forces extérieures, selon le journaliste d'investigation Chris Hedges.
RT: A quel point Daesh menace-t-il la Tunisie?
Chris Hedges: Ce n’est probablement pas une menace existentielle, mais c'est une menace. Essentiellement parce que, après le renversement de Mouammar Kadhafi par les Américains, les massifs arsenaux libyens se sont ouverts à une bande de groupes se trouvant en Afrique sub-saharienne – dans des pays comme le Mali. Ainsi, on leur a fourni une base logistique car ces militants sont basés le long de la frontière entre la Libye et la Tunisie ; et on leur a fourni des armes avec lesquelles ils peuvent lancer des attaques. Evidemment, on a également assuré leur formation.
Daesh est largement capable de perturber l’ordre des choses en Tunisie
La destruction de la Libye en tant qu'Etat unifié – comme la destruction de l'Irak et de la Syrie – a donné naissance à ces groupes, qui peuvent faire d’importants ravages à l'intérieur des pays de la région. C’est ce que nous sommes en train de voir.
RT: La Tunisie a construit une nouvelle barrière de 200 kilomètres de long à la frontière libyenne pour contrer Daesh. Cela peut-il aider ?
C. H. : C'est une longue frontière. Je ne sais pas exactement de combien de kilomètres, mais j’y suis allé, je l’ai vue. Ce sera très difficile d’empêcher Daesh d’y accéder ; c’est une frontière éloignée [du centre du pouvoir tunisien] et poreuse. Je m’attends à ce qu’il y ait d’autres attaques comme celle-là [celle de Ben Guerdane, le 7 mars 2016].
RT : Les frappes aériennes américaines contre Daesh en Libye ont-elles eu un impact ?
C. H. : Je pense que le problème réside – comme nous l'avons vu avec les attaques contre Daesh en Irak et en Syrie – dans le fait que si vous pouvez occuper le territoire, vous pouvez certainement gêner et, dans une certaine mesure paralyser ces mouvements. Mais tant que ces mouvements contrôlent le sol, tant qu'ils sont en mesure de fonctionner sur des territoires vastes, les campagnes aériennes ne pourront pas les arrêter. Cela a été prouvé maintes et maintes fois. Les Israéliens s’y sont essayés il y a quelques années dans le sud du Liban et cela n'a pas très bien fonctionné pour eux.
Il y a un réseau que Daesh peut utiliser pour tenter de créer le chaos en Tunisie
RT : Un commandant américain a récemment admis que la Libye était en train de devenir un État défaillant. La Tunisie pourrait-elle se retrouver sur le même chemin ?
C. H. : Non, je pense que les États défaillants sont en grande partie créés par la destruction du pouvoir central par des forces extérieures. Nous l’avons vu avec l'invasion américaine de l'Irak ; nous l’avons vu avec la décision – prise non seulement par les Etats-Unis, mais aussi par ses alliés saoudiens, qataris et autres – d’armer et de financer les groupes des insurgés en Syrie ; nous l’avons vu avec le renversement de Kadhafi. Je n’imagine pas que cela se produise en Tunisie. Cependant, la formation d'un État défaillant à la frontière de la Tunisie va certainement poser des problèmes importants, car ces djihadistes armés ont et les moyens et l’espace pour mener des attaques presque illimitées à l'intérieur de la Tunisie.
RT: Les États-Unis envisagent un engagement militaire plus important en Libye. Cela pourrait-il changer la situation dans la région?
C. H. : Tout cela ne concerne pas que la Tunisie. Ils se déplacent vers tous les Etats voisins de la Libye, y compris vers l’Egypte. Il y a un grand nombre de djihadistes tunisiens qui ont déjà inondées l’Irak et la Syrie. Et même l’Afghanistan si nous allons plus loin. Donc, il y a un réseau que Daesh peut utiliser pour tenter de créer le chaos en Tunisie.
Je ne dirais pas que la Tunisie soit forcément la prochaine cible, je dirais qu'elle fait partie d’un ensemble de cibles, et Daesh est largement capable de perturber l’ordre des choses en Tunisie. Je ne pense pas que la Tunisie puisse devenir un Etat islamique (et c’est ce que je veux dire en estimant que ce n’est pas une menace existentielle pour la Tunisie) mais, sans aucun doute, Daesh peut fortement perturber les choses à l’intérieur de cette nation.
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