Suite aux menaces saoudiennes de lancer une opération au sol en Syrie, le journaliste britannique Finian Cunningham réfléchit sur les vraies raisons de cette initiative «anti-terroriste» et le danger que peut représenter une telle manœuvre.
Le projet saoudien d'envoyer des troupes au sol en Syrie semble n’être qu’une ruse. Mais c’est précisément le genre de tentative d’intimidation imprudente qui pourrait provoquer une guerre totale, impliquant les Etats-Unis et la Russie.
Les dirigeants saoudiens auraient rassemblé une armée de 150 000 hommes pour envahir la Syrie sous le prétexte de « lutte contre le terrorisme » et, soi-disant, afin de vaincre Daesh. Les autorités saoudiennes ont déclaré à CNN, que leurs propres troupes seraient rejointes par des forces terrestres de l'Egypte, de la Turquie, du Soudan, du Maroc, de la Jordanie, du Qatar, du Bahreïn et des Émirats arabes unis. Le ministre des Affaires étrangères de Syrie, Walid al-Mouallem, a donné une réponse catégorique, en affirmant que ce mouvement serait considéré comme un acte d'agression et que n’importe quelle force d'invasion quelles que soient ses raisons déclarées pour entrer en Syrie, serait renvoyée dans des «cercueils en bois».
Néanmoins, le président américain Barack Obama s’est réjoui du plan saoudien d'intervenir en Syrie.
Son secrétaire à la Défense, Ashton Carter, doit rencontrer cette semaine à Bruxelles ses homologues de la soi-disant coalition «anti-terroriste» américaine afin de décider si le plan saoudien sera ou non mis à exécution. Un porte-parole de l’armée saoudienne a déjà dit que si la coalition dirigée par les Américains donnait son consentement, son pays procéderait à l'intervention. Au cours des dernières semaines, Carter et d'autres hauts responsables américains, y compris le vice-président Joe Biden, ont appelé à une action militaire arabe renforcée dans la région, contre Daesh en Syrie et en Irak. Carter et Biden ont également dit que les États-Unis étaient prêts à envoyer leurs propres troupes au sol en masse, si les pourparlers de paix de Genève échouaient.
Les americains ont dit que les États-Unis étaient prêts à envoyer leurs troupes au sol en Syrie, si les pourparlers de Genève échouaient
Toutefois ces discussions semblent ne pas avancer. Donc, cela veut dire qu’on n’est pas loin d’une invasion à grande échelle d’armées étrangères en Syrie sous la direction américaine ?
Revenons en arrière un instant et évaluons ce qui se passe réellement. L'avertissement de l’Arabie Saoudite – ou la «menace» plus précisément – d'une intervention militaire en Syrie n’est pas annoncé pour la première fois. Déjà, à la mi-décembre, lorsque Riyad avait annoncé la formation d'une alliance islamique de 34 pays pour « combattre le terrorisme », les Saoudiens avaient dit que l'alliance militaire se réservait le droit d'envahir tout pays où elle verrait une menace terroriste présumée, y compris la Syrie.
Un autre facteur : la maison des Saoud ne se réjouit pas des efforts diplomatiques entrepris sous la direction américaine pour trouver une solution au conflit syrien. La volonté du secrétaire d'Etat américain, John Kerry, d’organiser les négociations de Genève - soi-disant pour trouver un règlement pacifique au conflit qui dure depuis cinq ans - est considérée par les Saoudiens comme faisant trop de concessions au gouvernement syrien du président Bachar al-Assad et à ses alliés étrangers, la Russie, l'Iran et le Hezbollah libanais.
Les pourparlers de Genève, qui ont échoué la semaine dernière, peuvent sans doute être considérés comme sans rapport avec le véritable processus de règlement du conflit en Syrie. Ils représentent plutôt une tentative politique cynique de Washington et de ses alliés de saper le gouvernement syrien pour remplir leur objectif de longue date qui est le changement de régime. L'inclusion à Genève dans l'opposition politique des militants d'Al-Qaïda, Jaish al-Islam et Ahrar al-Sham, avec le soutien de l'Ouest, illustre ce but ultime.
Le Washington Post a vendu la mèche en racontant ce week-end : « L'administration d’Obama s’est retrouvée de plus en plus coincée par les bombardements russes en Syrie, que sa diplomatie a paru jusqu'à présent impuissante à arrêter. »
En d'autres termes, la diplomatie de Genève, organisée en grande partie par Kerry, était vraiment destinée à mettre fin à la gênante campagne aérienne russe. L'intervention de quatre mois ordonnée par le président russe Vladimir Poutine a changé la donne en Syrie, permettant à l'armée arabe syrienne de regagner du terrain stratégiquement important.
Le fait que les opérations militaires russes n’ont pas cessé – en effet, elles se sont intensifiées – a causé beaucoup de consternation à Washington et parmi ses alliés.
Tout le monde en Arabie Saoudite sait que la maison des Saoud n'a aucune légitimité, qu’elle se fonde uniquement sur la force et la manipulation
La Russie et la Syrie peuvent raisonnablement affirmer que les résolutions de l'ONU adoptées en novembre et en décembre leur donnent la prérogative de continuer leur campagne pour vaincre Daesh et tous les autres groupes terroristes, parmi lesquels Al-Qaïda. Mais il semble maintenant clair que Kerry espérait que les pourparlers de Genève seraient un moyen de bloquer les attaques russo-syriennes contre les mercenaires visant le changement de régime.
Kerry a déclaré aux journalistes, ce week-end, qu'il fallait faire une tentative in extremis de convaincre la Russie de faire une trêve en Syrie. En indiquant la difficulté de ses discussions avec son homologue russe Sergueï Lavrov, Kerry a déclaré : « Même les modalités d'un cessez-le feu sont examinés… Mais s’il s’agit seulement de discuter pour discuter, en vue de poursuivre les bombardements, personne ne l’acceptera, et nous le saurons dans les jours à venir ». La semaine dernière Moscou a été catégorique : les opérations de bombardement se poursuivront jusqu'à ce que « tous les terroristes » en Syrie soient vaincus. Le ministre des Affaires étrangères de Syrie, Walid Mouallem, a réaffirmé ce week-end qu'il n'y aurait pas de cessez-le-feu tant que des groupes armés illégaux resteraient en Syrie. Nous pouvons supposer que puisque les moyens militaires secrets pour le changement de régime en Syrie menés par les USA sont contrecarrés et qu’en même temps les moyens politiques alternatifs pour un changement de régime ne permettent pas d’avancée - en raison de l’habilité de la Russie et de la Syrie concernant l’agenda ultime – la réaction de l’axe « Washington » est aujourd’hui le fruit de sa frustration.
Les Saoudiens n’ont pas la capacité de mener une campagne en Syrie
Les menaces de l'Arabie Saoudite, de la Turquie et d'autres régimes régionaux - avec l'approbation tacite des États-Unis – de procéder à une intervention militaire directe, constituent une partie de cette réaction.
En bref, c’est un bluff visant à faire pression sur la Syrie et la Russie pour obtenir un cessez-le-feu, qui serait en réalité une bouffée d’air frais pour les terroristes « mandataires » soutenus par les puissances étrangères.
D'un point de vue militaire, l'invasion par des troupes saoudiennes ne peut pas être vraiment prise au sérieux et envisagée comme un déploiement efficace.
Il suffit de regarder comment le régime saoudien a été tenu en échec au Yémen au cours des dix derniers mois, dans le pays le plus pauvre de la région arabe, pour comprendre que les Saoudiens n’ont pas la capacité de mener une campagne en Syrie.
Comme le professeur américain Colin Cavell l’a fait remarquer à l’auteur : « L’intervention saoudienne en Syrie aura autant de succès que son intervention au Yémen. L'histoire a clairement montré que les forces mercenaires ne pourront jamais mener des guerres externes avec succès ou avec entrain, et aucun soldat saoudien sensé ne soutient vraiment la monarchie saoudienne. Tout le monde en Arabie Saoudite sait que la maison des Saoud n'a aucune légitimité, qu’elle se fonde uniquement sur la force et la manipulation, soutenue par les Etats-Unis et par le Royaume-Uni et que ce serait une blague faite par des imbéciles, si elle n’avait pas autant d’argent. »
Ainsi, alors qu’une manœuvre militaire est décidément peu réaliste, le vrai danger est que les dirigeants saoudiens et leurs mécènes américains soient tellement en rupture avec la réalité qu'ils puissent se tromper dans leurs calculs et décider d’aller en Syrie. Ce serait comme une étincelle dans un baril de poudre. Ce serait considéré comme un acte de guerre contre la Syrie et ses alliés, la Russie, l'Iran et le Hezbollah. Les États-Unis seraient inévitablement et pleinement entraînés dans la spirale d'une guerre mondiale.
L'histoire a montré que les guerres étaient souvent le résultat, non pas d'une seule décision délibérée - mais plutôt le résultat d'un processus de folie, à rythme de plus en plus élevé.
La Syrie est seulement un cataclysme potentiel.
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