La communauté internationale commence enfin à reconnaitre les crimes de guerre de la coalition militaire saoudienne commis au Yémen. Catherine Shakdam analyse pour RT ce changement radical de politique à l’égard de la monarchie du Golfe.
«Mieux veut tard que jamais» a dit un homme sage… Dans le cas du Yémen, «tard» s’est transformé en une campagne militaire punitive longue de 10 mois, menée par l’Arabie saoudite au nom de la légitimité politique et de la supériorité hégémonique.
Voué à la destruction en mars 2015 par l’hostilité de l’Arabie saoudite, le Yémen a souffert et s’est effondré sous le poids de la guerre qui a systématiquement cherché l’annihilation pour mieux élever la maison des Saoud comme le maître impérial de l’Arabie du Sud. Et pendant que la guerre au Yémen a été vendue aux médias comme une grande bataille contre le despotisme des Houthis, ce groupe tribal, qualifié de faction dissidente pour avoir osé imaginer qu’il pourrait défendre la volonté populaire contre celle de l’oligarchie auto-proclamée sponsorisée par les Saoudiens ; c’est évident que cette lutte opposant le magnat pétrolier qu’est l’Arabie saoudite à un Yémen appauvri a toujours été celle du contrôle et du féodalisme.
Aujourd’hui, le Yémen est devenu le nouveau Spartacus qui s’oppose à l’Empire.
Après dix mois de bombardements incessants, de tueries, de raids, d’attaques par drones sans oublier le blocus inhumain à l’encontre de la population chiite du Yémen, un panel d’experts des Nations unies a finalement reconnu en janvier l’odeur nauséabonde des crimes de guerre de l’Arabie saoudite, appelant le Conseil de sécurité de l’ONU à «enquêter sur les violations du droit humanitaire international et des droits de l’Homme au Yémen par toutes les parties prenantes et identifier les auteurs de telles violations».
On lit dans le rapport que «les enquêteurs ont certifié que la coalition a menée des frappes aériennes visant des civils et des cibles civiles, en violation du droit humanitaire international, y compris des camps de personnes déplacées et de réfugiés ; des rassemblement de civils, y compris des mariages ; des voitures civiles, y compris des bus ; des zones résidentielles; des établissement médicaux ; des écoles, des mosquées ; des marchés ; des usines et des entrepôts de stockage d’aliments, et d’autres infrastructures civiles essentielles tel que l’aéroport de Sanaa, le port de Hudaydah et des axes routiers.»
Une grande partie du sang versé sous l’impulsion du Royaume tache aussi les mains du David Cameron et de Barack Obama
Bien que ce rapport offre peu de surprises – les responsables occidentaux peuvent difficilement prétendre qu’ils n’étaient pas au courant, alors qu’en effet, leurs armes, leurs services de renseignement, leurs experts qui ont équipé le Royaume contre un Yémen exsangue – la démarche en elle-même représente un changement radical de stratégie politique vis-à-vis de l’Arabie saoudite wahhabite.
Riyad cesse d’être le chouchou intouchable des capitales occidentales, on lui a annoncé en janvier que son immunité n’est pas éternelle.
Permettez-moi d’être claire sur ce point, c’est extrêmement improbable, pour ne pas dire impossible, que le Conseil de sécurité de l’ONU fasse plus que des remontrances symboliques à Al Saoud, malgré les horreurs de son engagement militaire au Yémen. Rappelons-nous que la reconnaissante totale de leur faute entrainerait les protégés de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis à répondre devant la Justice. A la fois Londres et Washington ont fourni de l’assistance militaire à Riyad, au point qu’une grande partie du sang versé sous l’impulsion du Royaume tache aussi les mains du Premier ministre britannique David Cameron et du président des Etats-Unis Barack Obama.
Si Riyad était en mesure de larguer des bombes à sous-munitions sur des civils, c’est seulement parce que les Etats-Unis ont satisfait leurs exigences
Après tout, l’Arabie saoudite reste le plus grand acheteur d’armes du Royaume-Uni et des Etats-Unis et si Riyad était en mesure de larguer des bombes à sous-munitions sur des civils qui ne se doutaient de rien, c’est seulement parce que les Etats-Unis ont satisfait leurs exigences.
Par ailleurs, plus tôt ce mois-ci, le Royaume-Uni a confirmé que les forces britanniques ont été dans le centre de commandement et de contrôle de l’Arabie saoudite des frappes sur le Yémen. De telles implications et les répercussions qui en découlent impliquent que la responsabilité de Riyad sera finalement étouffée.
Pire encore, c’est grâce à la soumission silencieuse des Nations unies due au chantage financier d’Al Saoud au sujet des donations à leurs agences que le Yémen a été mis sous blocus humanitaire et que son peuple a été affamé de la sorte.
Vice News a annoncé en juin 2015 que les autorités d’Arabie saoudite ont fait pression sur les fonctionnaires de l’ONU pour saboter des convois humanitaires, en menaçant de fermer le chéquier du royaume si les agences de l’ONU ne se pliaient pas aux requêtes de Riyad.
Lorsqu’il s’agit du Yémen, peu de grandes puissances peuvent revendiquer de grands principes moraux, parce que la plupart ont participé de manière très active à l’assassinat de gens, au nom du profit, de l’intérêt et de l’hégémonie géopolitique.
Mais, encore une fois, cela n’a rien de surprenant. Je doute que quiconque soit dupe face à une telle naïveté politique, la tendance des leaders mondiaux à commettre des crimes abominables au nom de l’insaisissable «idéal démocratique» devrait depuis longtemps avoir balayé une telle suffisance enfantine.
Plutôt que nous demander dans quelle mesure Riyad sera tenu pour responsable, essayons de traduire ce qu’un tel changement politique implique sur le long terme – en d’autre mots : pourquoi la communauté internationale pointe soudain du doigt Al Saoud ? Pourquoi maintenant, et selon quel agenda, puisque la connaissance de la situation n’a jamais était le problème ?
Voici une hypothèse probable : l’Arabie saoudite devient un vrai boulet politique, étant donné la nouvelle tendance du Royaume à dépasser les frontières politiques en agissant comme un enfant rebelle face à ses tuteurs occidentaux. Le lobbying de Riyad aux Etats-Unis n’a par exemple pas échappés aux autorités – en provoquant un certain malaise. Si les milliards d’Al Saoud lui ont permis de s’acheter un certain crédit politique, les puissances occidentales ne sont pas tout à fait intéressées de devenir les serviteurs de Riyad.
L'Iran est un géant du pétrole et du gaz, un titan qui pourrait bientôt éclipser et surpasser l’Arabie saoudite
Un autre point à considérer avec attention est le retour de l’Iran sur la scène internationale. Superpuissance en devenir, l’Iran est aussi la réponse à l’un des plus grands casse-têtes pétroliers des Etats-Unis – la dépendance au pétrole, ou plutôt la dépendance au pétrole saoudien.
Les Etats-Unis et la plupart des capitales occidentales restent piégées par leur soif de pétrole saoudien, ce qui les oblige à tolérer les caprices politiques de Riyad, les grandes réserves de pétrole de l’Iran offrant la promesse d’une émancipation.
Selon le ministère du pétrole iranien, les réserves naturelles avérées de gaz de l’Iran sont de l’ordre de 29 600 milliards de mètres cubes soit près de 15,8% des réserves totales mondiales, dont 33% de gaz associé et 67% de gaz non-associé. L’Iran possède la deuxième plus grande réserve du monde après la Russie, et se classe en quatrième position par rapport à ses réserves.
De toute évidence, l’Iran est un géant du pétrole et du gaz, un titan qui pourrait bientôt éclipser et surpasser l’Arabie saoudite.
Si le soudain réveil des experts de l’ONU n’offre rien de plus qu’une posture politique, le message que leur déclaration porte contre le régime despotique de Riyad ne peut être ignoré.
Je dirais que ce changement est dû à la résistance du Yémen face à l’impérialisme. Si ce n’était pour cette Résistance obstinée et déterminée face aux pressions, le monde n’aurait jamais été forcé de reconnaître la brutalité de l’absolutisme théocratique d’Al Saoud.
Si le Yémen avait tremblé face à la coalition militaire saoudienne, le temps n’aurait pas permis à une autre voie politique et économique d’être forgée.
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