L'Arabie saoudite vient de créér une coalition militaire de 34 pays qu'elle qualifie de «musulmane» et d'«anti-terroriste». Mais aucune de ces dénominations n'est tout à fait correcte, estime l'analyste britannique John Laughland.
C'est une règle de la politique internationale qui équivaut à la troisième loi de Newton en physique. Toute intervention étrangère dans un conflit entraîne une intervention égale mais opposée de la part d'une autre puissance étrangère.
Ainsi, quand en novembre 1936, le gouvernement du Front populaire en France, sous la présidence de Léon Blum, a volé au secours du Frente popular en Espagne, ceci a immédiatement déclenché les contre-interventions italienne et allemande en soutien des forces nationalistes. Comme le dit lapidairement le grand historien de la guerre civile espagnole, Georges-Roux, «C'est Blum qui a sauvé Franco».
De même, en Syrie, l'intervention par interposition de la Turquie, de l'Arabie saoudite et du Qatar – des pays qui arment les différentes composantes de l'opposition syrienne, les groupes paramilitaires rebelles en Syrie se dénombrant actuellement à 1 300 – a provoqué la contre-intervention in extremis de la Russie à la fin du mois de septembre.
Initialement prises à contre-pied, les puissances étrangères ennemies de la Syrie, sous la direction des Etats-Unis, ont fini par bricoler une riposte. L'annonce hier par l'Arabie saoudite de la création d'une alliance musulmane «contre le terrorisme» doit être interprétée dans ce sens.
En proclamant une alliance musulmane contre le terrorisme, l'Arabie saoudite veut en premier lieu priver la Russie de l'avantage politique
Laissons de côté le caractère risible de cette initiative. L'Arabie saoudite, avec les autres pétro-monarchies du Golfe, compte parmi les régimes les plus répressifs de la planète, le Wahhabisme saoudien étant la forme la plus intégriste au monde de l'islam. La guerre menée par l'Arabie saoudite au Yémen contre des rebelles chiites, et dans laquelle des milliers de civils ont été victimes de bombardements saoudiens aveugles, est tout aussi violente que les actes de guerre que l'Occident reproche à Bachar el-Assad. Et l'idée que Riyad lutterait contre le terrorisme, ayant voici à peine une semaine convoqué une grande conférence de plusieurs groupes djihadistes syriens, dont des salafistes notoires, est absurde.
En proclamant une alliance musulmane contre le terrorisme dont elle prendrait la tête, l'Arabie saoudite veut en premier lieu priver la Russie de l'avantage politique incontestable qu'elle a acquis en annonçant ses propres opérations militaires en Syrie contre le terrorisme. Or, la Russie agit en conformité avec le droit international dans la mesure où elle a été invitée par le gouvernement de Damas. Par contre, se donner le droit de statuer sur qui est terroriste et qui ne l'est pas, comme le fait Riyad en finançant des groupes que Damas appelle terroristes, c'est faire fi du droit international, et en particulier la longue Déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention et de l'ingérence votée par l'Assemblée générale des Nations unies en 1981. Celle-ci interdit explicitement toute ingérence dans les affaires intérieures d'un pays tiers, y compris par interposition ou par un quelconque soutien à des groupes armés sur son territoire.
Ce que Riyad reproche à l'Etat islamique, ce n'est pas son terrorisme mais le fait qu'il a rétabli le califat
En outre, la proclamation d'une alliance de 34 Etats musulmans contre le terrorisme, dont le QG sera basé dans la capitale saoudienne, revient à renforcer la prééminence du royaume au sein du monde musulman. En effet, dans la dépêche officielle datée du 15 décembre qui a annoncé la création de cette alliance, l'«oumma» est souvent invoquée : l'alliance sert à la défendre et à la renforcer. Or, l'«oumma», ce n'est pas «la nation» comme le disent les traductions françaises et anglaises, ce qui pourrait laisser entendre qu'il s'agit de la nation saoudienne. Non, l'«oumma», c'est la communauté de tous les croyants musulmans, c'est «la nation musulmane», dont l'Arabie saoudite songe à prendre le leadership.
Car au fond, ce que Riyad reproche à l'Etat islamique, ce n'est pas son terrorisme, dont d'ailleurs ses propres mandataires en Syrie sont tout aussi coupables. C'est le fait qu'il a rétabli le califat, aboli en 1924 par Mustafa Kemal, et proclamé son chef spirituel celui de tous les musulmans. La force d'attraction incontestable que ce geste a générée dans le monde musulman se manifeste dans les dizaines de milliers de jeunes gens qui se sont portés volontaires et qui se sont précipités pour faire la guerre en Syrie. C'est une force d'attraction dont les rois du Golfe sont fort jaloux. Riyad veut donc, avec son alliance contre le terrorisme, récupérer le terrain perdu tant face à la Russie qu'à l'Etat islamique et réaffirmer sa primauté au sein de l'Islam. C'est la raison pour laquelle son grand rival chiite, l'Iran, ainsi que ses alliés, l'Irak et la Syrie, en sont rigoureusement exclus.
En Syrie, les enjeux ne sont plus nationaux mais mondiaux
La guerre d'Espagne était une guerre nationale de religion entre catholiques et athées, sur laquelle le monde extérieur a projeté ses propres représentations du communisme et du fascisme. Une guerre locale est ainsi devenue le théâtre de l'affrontement planétaire des deux grands totalitarismes du XXème siècle. De même, en Syrie, les enjeux ne sont plus nationaux mais mondiaux. A la rivalité entre les Etats Unis et la Russie se rajoute maintenant la lutte acharnée que se livrent le sunnisme et le chiisme au sein de l'Islam. Le fait que le ministre saoudien des Affaires étrangères n'exclue pas d'envoyer des troupes au sol en Syrie, au moment même où le conflit entre la Russie et la Turquie connaît de nouvelles escalades, souligne que la guerre civile syrienne dépasse désormais, et de très loin, le seul cadre syrien. Le temps presse et la paix en Syrie est plus urgente que jamais.
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