Macron accueille Orban : un déjeuner pour adoucir une relation tumultueuse ?
Emmanuel Macron reçoit le Premier ministre hongrois ce 11 octobre. Or, depuis l'élection du président français, les deux dirigeants se sont régulièrement opposés sur la scène européenne. Retour sur quelques séquences tendues entre les deux hommes.
La président de la République française déjeune avec le Premier ministre hongrois Viktor Orban ce 11 octobre. L'occasion d'un réchauffement diplomatique entre les deux pays ? Depuis l'accession d'Emmanuel Macron à la présidence au printemps 2017, la relation entre la France et la Hongrie est apparue plus froide que jamais.
«Il s'agit de la première visite bilatérale à Paris de Viktor Orban», a d'ailleurs fait savoir l'Elysée, en précisant que les deux hommes s'étaient entretenus à de «nombreuses reprises» depuis deux ans. En outre, le Premier ministre hongrois avait déjà été reçu à déjeuner à l'Elysée avec d'autres dirigeants, le 30 septembre, après la cérémonie d'hommage à Jacques Chirac.
Les deux dirigeants échangeront ce 11 octobre sur l'avenir de l'Europe, au sujet de laquelle ils se sont vivement affrontés ces dernières années. Les dossiers des migrations, du Brexit, de l'élargissement de l'Union européenne, de la nouvelle Commission ou du climat feront partie de la discussion, selon l'Elysée. Le premier cité sera certainement le plus conflictuel, au vu des déclarations passées des deux hommes sur le sujet.
Emmanuel Macron et Viktor Orban se sont en effet fréquemment opposés, parfois avec virulence, le président français se présentant comme le chef de file des progressistes en Europe face aux «nationalistes» dont ferait partie le deuxième, récemment suspendu du du groupe de droite au Parlement européen. Le chef du gouvernement hongrois affirme quant à lui défendre «la démocratie chrétienne du XXIe siècle» face à la «démocratie libérale».
Orban dans le viseur de Macron... avant même son élection
Avant même d'être élu, Emmanuel Macron avait pris pour cible Viktor Orban. Peu avant le second tour de la présidentielle face à Marine Le Pen, le candidat d'En Marche! déclarait le 2 mai 2017 sur RMC : «Quand je regarde les régimes amis de madame Le Pen, ceux de monsieur Orban, de monsieur Poutine, ça n’est pas ce qui me fascine le plus.»
Quand je regarde les régimes amis de Mme Le Pen, ceux de M. Orban, de M. Poutine, ça n’est pas ce qui me fascine le plus. #BourdinDirect
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) May 2, 2017
Deux visions de l'immigration en Europe
Après son accession au pouvoir, Emmanuel Macron a régulièrement critiqué les gouvernements européens défendant une ligne intransigeante sur l'immigration clandestine, dont le gouvernement hongrois de Viktor Orban.
Emmanuel Macron a par exemple dénoncé le 21 juin 2018 à Quimper la «lèpre qui monte» en Europe, «le nationalisme qui renaît, la frontière fermée que certains proposent» et ceux qui «trahissent même l'asile», tout en revendiquant de ne pouvoir «accueillir tout le monde». Une référence assez claire aux pays du groupe de Visegrad, dont fait partie la Hongrie, qui avaient exclu le même jour de participer à un mini-sommet sur la politique migratoire européenne, prévu à Bruxelles quelques jours plus tard. Les groupe de pays d'Europe centrale s'opposaient aux quotas de répartition obligatoires des migrants entre les différents pays membres de l'UE, une idée défendue notamment par Paris et Berlin.
Macron est à la tête des forces politiques soutenant l’immigration
Le 28 août 2018 à Milan, à l'occasion d'une rencontre avec l'alors ministre italien de l'Intérieur Matteo Salvini, Viktor Orban répondait aux reproches du président français : «Il y a actuellement deux camps en Europe. Macron est à la tête des forces politiques soutenant l’immigration. De l’autre côté, il y a nous qui voulons arrêter l’immigration illégale.»
Je ne céderai rien aux nationalistes et à ceux qui prônent ce discours de haine
Le lendemain, Emmanuel Macron réagissait, depuis Copenhague : «S’ils ont voulu voir en ma personne leur opposant principal, ils ont raison […] je ne céderai rien aux nationalistes et à ceux qui prônent ce discours de haine.»
Le 6 septembre 2018, le président français envoyait une nouvelle pique aux pays du groupe de Visegrad : «Je suis pour qu’on soit clairs et fermes avec tous les pays qui ne respectent plus l’Etat de droit, la base de ce qui est au fondement même de nos traités, et du Conseil de l’Europe. On ne doit transiger en rien.»
Le 31 octobre, Emmanuel Macron réitérait de nouveau son attaque, dans un entretien à Ouest-France, sans nommer précisément la Hongrie : «L'Europe est face à un risque : celui de se démembrer par la lèpre nationaliste et d'être bousculée par des puissances extérieures.» Frôlant le point Godwin, il constatait «la ressemblance» entre la situation actuelle en Europe et celle des années 1930.
Orban, un «esprit fou» pour Macron ?
Mais un cran a été franchi par le président français le 26 octobre 2018, en République tchèque. Emmanuel Macron s'en est alors pris avec viruleance à la Hongrie et à la Pologne et à leurs dirigeants : «Quand je vois de grandes affiches disant "Stop à Bruxelles", qu’est-ce que ça veut dire ? Ils veulent stopper Bruxelles et ses fonds structurels ? Mais qu’ils le fassent. Comment vivent-ils ? Comment se finance le parti de Viktor Orban, le Fidesz ? Qui les a payés ? Qui a fait leur carrière ? Les fonds structurels européens !» Et le président français de se demander, dans une formule des moins diplomatiques : «Que font ces dirigeants avec ces esprits fous et qui mentent à leur peuple ?»
Viktor Orban a répliqué à plusieurs reprises. Le 10 janvier 2019 à Budapest, le Premier ministre hongrois juge par exemple «néfaste», pour son pays et pour l’Europe, la politique migratoire défendue par le chef d'Etat français : «On ne peut nier qu'Emmanuel Macron est une personnalité importante, et qui plus est le chef des forces pro-immigration [en Europe]», ajoutant : «Si ce qu'il veut à propos de l'immigration se réalise en Europe, alors ce sera néfaste pour la Hongrie, il faut donc que je le combatte.» Viktor Orban a en outre exprimé son souhait d'assister à la victoire des partis anti-immigration lors des élections au Parlement européen de mai 2019.
Motion anti-hongroise : #Budapest dénonce une «petite vengeance des pro-immigration», #Paris applaudit#Hongrie#UE#Article7
— RT France (@RTenfrancais) September 12, 2018
➡️ https://t.co/vuwKw3C10Fpic.twitter.com/PGYTyOopcw
A travers ses déclarations, le président français s'est présenté sur la scène européenne comme un champion du combat fédéraliste, progressiste et anti-populiste. Il a conforté cette image durant la campagne pour les élections européennes, en s'y engageant personnellement, à travers notamment sa tribune adressée aux citoyens européens le 4 mars 2019. Le président français proposait notamment dans ce message de remettre «à plat» les règles de l'espace Schengen afin de garantir «la liberté en sécurité». Le Parisien faisait alors savoir qu'«avant de rédiger sa tribune, Emmanuel Macron a[vait] consulté plusieurs de ses homologues européens, sans aller jusqu'à sonder Viktor Orban, Premier ministre de Hongrie».
Or, contre toute attente, Viktor Orban a salué la volonté affichée par Emmanuel Macron de réformer l'espace Schengen. «Cela pourrait marquer le début d'un véritable débat européen», a déclaré le dirigeant hongrois, après la publication de la tribune macronienne.
Pas de quoi, néanmoins, effacer les différends entre Budapest et Paris. Viktor Orban a en effet mis en garde le chef d'Etat français le 3 mai 2019, sur la radio publique hongroise Kossuth radio : «Nous respectons le président Macron, mais heureusement la France ne jouit pas d'un statut particulier dans l'Union européenne [...] S'ils veulent s'écarter de la réglementation Schengen actuellement en vigueur, ils doivent d'abord modifier l'accord de Schengen. Cela n'arrivera pas et je lui conseille de ne pas essayer.»
Un simple déjeuner parviendra difficilement à tourner la page de ces tensions.