Un ex-djihadiste de Toulouse révèle «tout ce qu'il sait» sur le réseau de Daesh en France
Ancien soldat de l'organisation terroriste Daesh qui affirme s'être repenti, le Toulousain Jonathan Geffroy a décidé de passer aux aveux. Projets d'attentats, rôle joué par les frères Clain, cellule de Toulouse : il livre tous les détails.
«Du moment où j'ai quitté l'Etat islamique jusqu'à aujourd'hui, je me suis donné l'engagement de dire tout ce que je savais sur l'EI [Etat islamique]» : c'est par ces mots que Jonathan Geffroy, repenti de Daesh, commence son entrevue le 15 janvier dernier, avec un juge d'instruction de Paris. Ce dernier, ainsi que les agents de la DGSI, ont en effet pu l'interroger à plusieurs reprises au cours des derniers mois. Il en ressort de précieuses notes, révélées par le journal L'Express, qui permettent de mettre en lumière le réseau dont dispose Daesh en France.
Un observateur privilégié de Daesh
L'homme de 35 ans intrigue beaucoup les enquêteurs ; et pour cause, ayant vécu au sein-même de l'organisation terroriste, il est un observateur privilégié de celle-ci. Après avoir passé deux ans en zone irako-syrienne, ce musulman converti a été fait prisonnier par les rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL) début 2017. Il a ensuite été remis à la France quelques mois plus tard, avant d'être mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle.
Et si son témoignage compte, c'est que Jonathan Geffroy n'a pas la langue dans sa poche. Ce qui lui vaudrait, assure-t-il, de faire l'objet d'une «fatwa avec le tampon officiel [du chef de Daesh] Abou Bakr al-Baghdadi» en personne.
Des fusils d'assaut enterrés près de Toulouse
Au Moyen-Orient, l'ancien djihadiste, issu de la région toulousaine, a pu côtoyer les frères Clain, qui avaient notamment revendiqué les attentats de Paris et de Saint-Denis. Ensemble, ils auraient produit des vidéos pour le compte du «département de la communication et des mosquées» de l'organisation terroriste.
Alors qu'il était en Syrie, Jonathan Geffroy se serait d'abord rapproché d'Othman Clain, fils de Jean-Michel. Comme dévoilé dans Le Monde le 26 juin, le jeune homme aurait été mis à la tête d'un projet visant à envoyer des enfants-kamikazes commettre des attentats en Europe.
Othman Clain se serait confié au djihadiste repenti sur plusieurs sujets. Il serait notamment question «de kalachnikovs enterrées à Toulouse par deux hommes partis faire le djihad et emprisonnés depuis leur retour en France», selon L'Express.
«Je n'ai pas plus d'infos sur la localisation. Je me dis que s'ils ont enterré cette kalachnikov, c'est qu'ils avaient peut-être prévu de faire quelque chose, mais sans en savoir plus», avance le Toulousain.
A propos des attentats qui ont eu lieu à Bruxelles le 22 mars 2016, dont il assure qu'ils étaient à la base «imprévus» avant d'être «déclenchés» par l'arrestation de Salah Abdeslam, Jonathan Geffroy déclare : «Othman m'a dit que pour éviter que tout le monde se fasse interpeller, ils ont ciblé directement l'aéroport [de Zaventem]. Ce qui était visé [au départ] c'était une centrale nucléaire française. Ils avaient prévu d'y aller en voiture et de faire exploser les voitures.»
Les Clain au cœur du clan
Lors de son interrogatoire, l'ancien djihadiste déclare que la famille Clain est un élément important de l'organisation terroriste : «La famille Clain est au courant de tout, ils sont proches des savants, des médias et des responsables.» Il fait partie des rares personnes qui ont pu se rendre chez Jean-Michel Clain, à Raqqa.
Lorsque «Fabien et Jean-Michel», comme il les appelle, sortent de leur habitation, c'est «toujours [avec] une djellaba et un voile sur la tête par peur d'être dronés».
«Dans Raqqa, il y a des lieux où des bâches sont tirées entre deux bâtiments, les Clain s'y dirigent à pied, ils attendent qu'un taxi passe, ils montent, ils se dirigent vers un endroit où il y a des bâches et ils changent de taxi, et ça jusqu'à ce qu'ils arrivent à destination», raconte-t-il encore.
Abou Othman, nom islamique de Jean-Michel Clain, «a une position importante dans Daesh», selon le repenti. «Il était dans le domaine de la transmission d'information de l'Etat islamique et il était en contact avec l'Ajna, les hautes autorités de l'Etat islamique», poursuit-il avant de préciser : «Jean-Michel est parti pendant un mois faire une formation sur les explosifs en Irak en 2015. Il a cherché une spécialité, car quand on n'a pas de spécialité, on va en première ligne.»
Des relations avec les frères Merah
Quant au rôle du frère de Jean-Michel, Fabien Clain, qui travaille pour une station radio de l'organisation terroriste, il ne se limiterait pas à celui de responsable de la propagande. Jonathan Geffroy le suspecte en effet d'être en charge des «opérations extérieures» telles que l'encadrement et la sélection «de gens pour les envoyer en France par exemple pour commettre des attentats».
Pour expliquer sa rancœur envers les frères Clain, le repenti de Daesh confie : «Avant de partir, j'ai voulu savoir qui était encore dans l'idéologie de l'Etat islamique et donc je me suis dit que je n'aurais aucun scrupule à balancer sur ceux qui sont encore dans l'Etat islamique. Pour moi, eux, ils sont à fond dans l'idéologie. Jean-Michel et Fabien parlaient beaucoup des opérations extérieures. Ils se réjouissaient de ce qu'il se passait en France.»
Le point commun entre tous ces djihadistes est l'appartenance à la cellule terroriste de Toulouse. Lors d'un séjour en Egypte, Jonathan Geffroy avait d'ailleurs été reçu par un certain Abdelkader Merah, originaire de Toulouse, qui lui aurait demandé d'héberger son petit frère, Mohamed, futur auteur des attentats de mars 2012.
Une reconversion en gérant d'une boutique de lingerie
Lors de son séjour en Syrie et en Irak, Jonathan Geffroy, qui parvenait à toucher son RSA français par l'intermédiaire de sa mère, affirme n'avoir pris part au combat qu'à deux reprises mais «sans tirer jamais un seul coup de feu».
«Comment la France peut-elle vous faire confiance et ne pas craindre une action violente de votre part sur notre sol ?», lui demande-t-on encore durant sa garde à vue.
«Je pense que quand j'ai tenu les propos anti-occidentaux, j'étais déjà dans un processus d'embrigadement de l'EI. Et qu'aujourd'hui, j'y suis opposé. La preuve est que j'ai dit tout ce que je savais sur l'EI et en impliquant mes anciens amis. Et que je suis prêt à aider la France par la suite si on a besoin de moi. Je veux reprendre une vie normale», assure-t-il.
Alors que les services sociaux ont pris en charge ses enfants, mineurs, il aurait le projet, pour lui et sa femme, d'ouvrir une boutique de lingerie au Maroc et en France, à sa sortie de prison.