LONG FORMAT : Crise migratoire : quand les citoyens européens organisent leur propre défense
Un groupe fait actuellement parler de lui en Finlande. «Les soldats d’Odin» patrouillent dans plusieurs villes afin de «protéger» les citoyens des migrants. Une situation de moins en moins marginale sur le Vieux Continent.
Dans le panthéon nordique, Odin est le roi des dieux. Divinité du savoir, de la guerre et de la mort il s’est trouvé des nouveaux fils. A l’aune de la crise migratoire qui frappe l’Europe, «les soldats d’Odin» se sont investis d’une mission : celle de «défendre» les Finlandais de souche contre les migrants.
Selon les médias du pays, ils seraient environ 500, vêtus de leurs vestes noires, à patrouiller dans les centres urbains. Si aucun affrontement n’a pour l’instant été signalé entre le groupe d’auto-défense et les migrants, leur présence inquiète dans les plus hautes sphères de l’Etat. «Il y a quelque chose d’assez extrémiste à patrouiller dans les rues. Cela n’améliore en rien la sécurité» a souligné le ministre de l’Intérieur Petteri Orpo. «Ces gens n’ont aucun droit à utiliser la force.»
‘Soldiers of Odin’: Finnish anti-migrant group takes to patrolling streets https://t.co/QRgF8Y6Z5Tpic.twitter.com/X3L5JAA5bR
— RT (@RT_com) 14 Janvier 2016
A écouter plusieurs membres du groupe originaires de la ville de Joensuu (est), le gouvernement n’a pas à s’inquiéter : «Attaquer ne fait pas partie de nos principes. Nous nous inquiétons seulement de nous défendre. Tout le monde a le droit de se défendre s’il est attaqué. C’est ce que nous faisons et ensuite nous appelons la police.»
L’intérêt principal de l’affaire réside dans les origines de la création du mouvement. Fondé fin 2015 dans la ville de Kemi (nord), située à proximité d’un point de passage des migrants, le groupe justifie son existence par l’incapacité de la police à assurer la sécurité des Finlandais. «On en est arrivé à une situation de melting-pot culturel. Cela cause peur et inquiétude au sein de la communauté. Alors on a commencé à rassembler un peu de monde. Le plus gros problème étant que nous avons appris par Facebook que des demandeurs d’asile s’introduisaient dans des écoles primaires à la recherche de jeunes filles» explique Mika Ranta, l’un des organisateurs.
Ces accusations n’ont pu être vérifiées mais la police finlandaise a tout de même rapporté que des hommes «d’origines étrangères» ont sexuellement agressé plusieurs femmes durant la nuit du 31 décembre à Helsinki. Les rapports des forces de l’ordre font état d’un doublement des cas d’agressions de ce type dans les quatre derniers mois de 2015 comparé à la même période un an plus tôt (147 contre 75). Pour «les soldats d’Odin», il est clair que les responsables sont les «intrus islamistes».
Si cette défiance de certains citoyens envers leurs élites en matière de sécurité existe dans ce pays qui a accueilli environ 30 000 demandeurs d’asile en 2015, imaginez la situation en Allemagne, où ils ont été plus d’un million.
Düsseldorf monte la garde et les hooligans s’en mêlent
De l’autre côté du Rhin, les terribles événements de la nuit de la Saint-Sylvestre ont marqué un tournant. Cette soirée, qui a vu des centaines de femmes agressées dans plusieurs villes allemandes, notamment Cologne, par des hommes d’origines étrangères dont plusieurs demandeurs d’asile, a changé la perception de bien des citoyens à l’égard des migrants. Pour beaucoup, fini l’accueil chaleureux sur le quai des gares, les pancartes «refugees welcome» ou même les initiatives d’hébergement à grande échelle.
Place au doute.
Et dans le débat public, beaucoup se demandent comment la police a pu se faire déborder à ce point et permettre ces agressions de masse. C’est dans cette optique, à l’instar des «soldats d’Odin» en Finlande, que plusieurs groupes ont décidé de prendre les choses en main.
A Düsseldorf, dans l’Ouest, un nouveau collectif s’est lancé. Il y a quelques jours «Düsselorf is watching», littéralement «Düsseldorf veille» a vu le jour. Les membres ont appelé à «patrouiller» dans les villes afin d’éviter que des événements comme ceux de Cologne puissent se reproduire. Un temps sur Facebook, le groupe d’origine a semble-t-il été remplacé par un homonyme. Sur la première version de la page, les administrateurs décrivaient leur mouvement ainsi : «Depuis que ce genre de chose arrive encore et encore dans nos belles cités, notamment depuis quelques mois, nous souhaitons et nous devons faire quelque chose. Chacun d’entre nous a une petite amie, une mère, une soeur, une cousine, une tante ou une femme. L’idée est la suivante : les week-ends et certains jours, montrons clairement notre présence dans les rues et le fait que nous n’accepterons pas la violence à l’encontre des êtres humains dans nos merveilleuses villes!»
Le groupe, qui prévoit de lancer une nouvelle branche à Stuttgart, a l’attention des autorités. Un porte-parole de la police de Düsseldorf a indiqué aux médias locaux qu’il ne voyait aucun problème à ce que les citoyens agissent avec bravoure face au crime. Mais il s’est formellement positionné contre les «auto-proclamés vigiles».
Le problème de ces initiatives citoyennes, c’est qu’elles sont parfois parasitées par des mouvements beaucoup plus sulfureux. C’est notamment le cas d’«Hogesa» pour «les hooligans contre les salafistes». Cette branche de la Ligue de défense européenne, elle-même satellite de la Ligue de défense anglaise, s’est mêlée à la manifestation organisée par Pegida le 9 janvier à Cologne. Plusieurs de ses membres ont été arrêtés dans les heurts qui ont opposé manifestants et policiers.
Ce jour là, des milliers d’Allemands en avaient d’ailleurs profité pour reprocher à la police le gargantuesque dispositif en place qui tranchait avec les quelques dizaines d’officiers chargés d’assurer l’ordre public au soir du 31 décembre. Des slogans tels que «où étiez-vous à la Saint-Sylvestre ?» fusaient de toutes parts.
C’est ce sentiment d’insécurité qui prodigue un terreau si fertile aux initiatives de défense citoyennes. Et le phénomène aurait même touché la France.
Calais, laboratoire français de l’auto-défense citoyenne ?
Le groupe des «Calaisiens en colère» fait régulièrement l’actualité depuis quelques mois. Ce collectif d’habitants de la ville du Pas-de-Calais s’est formé pour dénoncer les violences régulières dont la ville est le théâtre. Contenant l’un des camps de migrants les plus importants du pays (plus de 5000 résidents), «la Jungle», la ville a été en proie à plusieurs nuits de violences qui ont vu des migrants s’affronter ainsi que s’en prendre aux CRS. Plusieurs habitants se sont plaints de ne pas être en sécurité dans leur propre ville et ont multiplié les manifestations et les «rondes de surveillance».
Il y a quelques jours, une vidéo a créé une vive polémique. C’est le collectif «Calais Migrants Solidarity» qui l’a posté sur la plateforme Youtube. Comme son nom l’indique, le groupe défend la situation des résidents de «la Jungle». La diffusion fait apparaître un homme qui serait membre des «Calaisiens en colère», posté aux côtés de CRS intervennenant aux abords du camp. On y verrait notamment cet individu lancer des pierres en direction des migrants.
Pour «Calais Migrants Solidarity», cette vidéo est la preuve que les forces de l’ordre laissent faire les civils hostiles aux demandeurs d’asile qui seraient libres d’agir «en toute impunité.» Dans le camp d’en face, si l’homme incriminé avoue avoir été présent cette nuit là, il «réfute» tout jet de projectile.
Du côté des autorités, on est visiblement gêné par l’affaire. Gilles Debove, du syndicat de police FO, a qualifié la situation d’«intolérable et pas normale». Pour lui, «les Calaisiens en colère n’ont rien à faire dans nos rangs».
Visiblement, la préfète du Pas-de-Calais montre les mêmes signes d’inquiétudes quant à voir que les CRS pourraient agir de consort avec des civils. Si elle n’a pas vu la vidéo, Fabienne Buccio parle d’une situation qui serait tout bonnement «inadmissible». Elle se satisfait néanmoins que les «Calaisiens en colère» aient dû mettre un terme à leurs rondes sous la pression des autorités : «C’était dangereux pour eux-mêmes et pour les autres. Je comprends que des citoyens veulent prendre en charge la sécurité, mais ils devraient le faire via des associations tels que les Voisins Vigilants».
Le boom des ventes d’armes
Initiatives citoyennes ne sont pas forcément synonymes d’initiatives collectives. Dans plusieurs pays européens, la vague migratoire a coïncidé avec une explosion des ventes d’armes. Dans le pays de Goethe par exemple, les incidents du nouvel an ont conduit des milliers d’individus directement à l’armurerie. La législation étant une des plus dures d’Europe concernant les armes, les Allemands se jettent sur le matériel non létale.
Un rapport du Gatestone Institute nous apprend ceci : «Les Allemands, faisant face à un afflux de plus d’un million de demandeurs d’asile en provenance d’Afrique, d’Asie et du Moyent-Orient se dépêchent de s’armer. Partout à travers le pays, qui possède une législation des plus contraignante en matière d’armement civil, la demande explose pour des produits non mortels tels que les sprays lacrymogènes, pistolets à gaz, tasers. Les demandes pour des permis de port d’arme sont à un nombre record.»
Une mère de famille originaire du lander de Thuringe explique pourquoi elle a souhaité s’équiper : «Je pense que je dois faire tout pour protéger ma fille. Elle est à un âge où elle est susceptible de sortir dehors seule le soir. Si elle me dit qu’elle a besoin d’une arme pour se protéger, je pense que ce n’est pas injustifié.»
Mais l’Allemagne n’est pas la seule concernée. Sa voisine autrichienne voit également son taux de foyers armés exploser. Ce pays qui compte 8,5 millions d’habitants était déjà l’un des plus armés d’Europe avec 900 000 armes à feux détenues par des civils.
Depuis l’explosion de la crise migratoire, le phénomène est en net augmentation. Afin d’en illustrer l’importance, il suffit de constater que presque tous les fusils à canon court du pays ont été vendus ! La législation est telle qu’elle autorise tout citoyen de plus de 18 ans à acheter une arme de ce type. Pour le reste, il faudra un permis. Et pour s’organiser devant la demande, le gouvernement a augmenté la cadence des cours de tirs, nécessaires à l’obtention d’un permis (toutes les semaines contre cinq semaines auparavant).
Un marchand d’armes a confié au site internet OE24 : «A cause des changements sociaux, les gens veulent se protéger.»