Plan Ségur de la Santé : syndicats et collectifs craignent déjà un flop

Plan Ségur de la Santé : syndicats et collectifs craignent déjà un flop© Ludovic Marin Source: AFP
INTERVIEW
Soignants et syndicalistes mobilisés devant le ministère de la Santé à Paris le 25 mai 2020, avant le lancement du Ségur de la Santé.
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Le 25 mai, le Premier ministre a ouvert le Ségur de la Santé pour investir dans un secteur mis à rude épreuve par la pandémie de coronavirus. Les premières orientations sont déjà contestées par les syndicats et collectifs contactés par RT France.

Le Ségur de la Santé, grande réforme de l'hôpital souhaité par Emmanuel Macron, va-t-il enfin répondre aux attentes des soignants qui battent le pavé depuis plus d'un an ? Le discours d'inauguration du plan d'investissement et de transformation par Edouard Philippe le 25 mai n'a pas convaincu les syndicalistes et collectifs interviewés par RT France.

«Je doute très franchement», réagit ainsi Jérôme Marty, président de l'Union française pour une médecine libre (UFML-S). «Pour l'instant, on n'y croit pas», avoue de son côté Marc Auray, de CGT Santé Rhône, œuvrant au Centre Hospitalier Le Vinatier près de Lyon.

Les infirmiers seront les grands absents du comité

Avant même toute intervention publique du gouvernement, la composition du collège des représentants du monde de la Santé chargés de réfléchir au nouveau plan a sidéré les professionnels du secteur.

A commencer par la coordinatrice de la concertation, dont le nom n'a pas laissé que de bons souvenirs au monde syndical. «On met à la tête du "bousin" Nicole Notat !», tonne Jérôme Marty. «Elle s'est opposée en 1995 à son propre syndicat, la CFDT, car elle soutenait le plan de santé de Juppé, qui a créé l'enveloppe budgétaire de la Santé, "L'Objectif national des dépenses d'assurance maladie" (Ondam), qui est à la base de tout ce système défaillant. Alors vous croyez qu’on va en sortir ?», fait-il remarquer.

De très nombreuses organisations médicales et paramédicales furent invitées à la visio-conférence du 25 mai, qui a réuni 300 professionnels. Mais pour la suite, seuls 12 syndicats et organisations médicales, et les fédérations et associations d’établissements et employeurs du secteur sanitaire et médico-social participeront aux groupes de travail. Certaines professions ne seront qu'à peine ou pas représentées. Par exemple, les infirmiers seront les grands absents du comité : seuls la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) et l’Ordre national des infirmiers. y figureront. Le Syndicat national des professionnels infirmiers, SNPI a même dénoncé «la mascarade d’une grand-messe en visioconférence à 300 personnes».

Ils portent le plan sans l'aide des personnes qui portent l'hôpital

«On n'y trouve pas de personnel non médical ! Ils portent le plan sans l'aide des personnes qui portent l'hôpital, qui sont sur le terrain !», s'écrie Laurent Rubinstein du collectif Inter urgences, interrogé par RT France. «C'est assez scandaleux. La technocratie dans toute sa splendeur !», blâme-t-il encore. Même écho pour d'autres catégories : «Pas mal de syndicats de jeunes médecins n'y figurent pas», affirme Jérôme Marty.

Des revendications clés absentes du discours du Premier ministre

Plus encore que la composition du collège des représentants, l'absence de la prise en compte des revendications des soignants dans le discours d'Edouard Philippe inquiète les professionnels.

Dès avril 2019, les services d'urgence avaient initié un mouvement de contestation, rejoints quelques mois plus tard par les chefs médicaux et le personnel hospitalier public dans son ensemble, peu de temps avant le début de l'épidémie. Ses requêtes nombreuses, à commencer par la revalorisation des salaires, l'arrêt de la tarification à l'acte et l'arrêt des fermetures de lits, exigeaient des réformes à la hauteur.

L'ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn, a fini par accoucher d'un «plan urgences» en novembre 2019, qui n'a pas répondu à leurs attentes.

Nos revendications ont été claires, mais elle n'apparaissent pas

Mais le plan Ségur, selon les termes du ministre de la Santé Olivier Véran, se veut un «retour d'expérience sur ce qui a fonctionné et sur les attentes de ceux qui ont fait l'hôpital pendant la crise». Serait-ce une seconde chance du gouvernement pour réformer en profondeur la gestion hospitalière et le système de santé dans sa globalité ?

«Les revendications portées par les collectifs Inter urgences et Inter hôpitaux sont claires, mais elle n'apparaissent pas !», remarque, questionnée par RT France, Sabrina Ali Benali, médecin urgentiste, militante et auteure du livre Révolte d'une interne.

«Il connait nos revendications, expliquées, argumentées. Il faudrait au minimum une augmentation budgétaire de 5%, l'arrêt de la tarification à l'acte, l'ouverture de lits... soit le contraire de ce qui est fait actuellement», abonde Marc Auray, militant CGT Santé Rhône. «Sur la fermeture des lits d'aval, les recrutements de soignants, on n'a rien entendu», se désole de son côté l'infirmier Laurent Rubinstein, membre du collectif Inter urgences.

«Pas de changement de cap» : le satisfecit du gouvernement irrite les syndicats

En donnant le coup d'envoi de la concertation, le Premier ministre s'est plu à valider les plans Santé menés sous le mandat d'Emmanuel Macron. «Nous n'allons pas de changer de cap, mais de rythme», a affirmé Edouard Philippe sans ciller. Tant sur le fond que sur la forme, cette déclaration a glacé les personnels du secteur. «Il a dit que les réformes étaient les bonnes, et qu'il allait les accélérer. Alors que jusqu'ici, les réformes n’en étaient pas !», remarque Jérôme Marty, médecin généraliste président de l'UFML-S avant d'ajouter : «"Ma santé 2022" découle des réformes de Marisol Touraine, ils n'ont rien inventé.»

Il a dit que les réformes étaient les bonnes, et qu'il allait les accélérer. Alors que jusqu'ici, les réformes n’en étaient pas!

La célérité promise par le chef du gouvernement inquiète tout autant. «Tout doit être bouclé en juillet. ça nous inquiète, car vu l'état de notre système de santé, il faut tout reprendre depuis le départ. Et cela prend du temps !», estime-t-il.

«On a compris qu'il voulait aller plus vite, mais dans quel sens ?», s'interroge Marc Auray de la CGT «Chez nous, "plus vite", c'est fermer davantage de lits, comme le prévoyait leur plan d'économie de 10 millions d'euros que nous avons réussi à bloquer, mais pas à annuler», poursuit-il.

Une revalorisation des salaires contre l'abandon des 35h ?

Une bonne nouvelle aurait pu réjouir les soignants : celle de la revalorisation des salaires promise par Emmanuel Macron et confirmée par Edouard Philippe. Le ministre de la Santé Olivier Véran avait peu de temps auparavant précisé que le niveau de rémunération correspondrait «au moins à la moyenne européenne», soit environ 44 000 euros par an contre 42 400 aujourd'hui en France. Selon les premières estimation, ces augmentations devraient coûter entre 5 et 6 milliards à l'Etat, uniquement pour les infirmiers et les aide-soignants.

Mais Jérôme Marty – qui défend les intérêts de la médecine libérale – redoute que le budget annuel des dépenses de santé fixé à l'avance, le fameux Ondam, ne soit pas mieux doté malgré les augmentations promises aux infirmiers. Cela reviendrait à déshabiller Pierre pour habiller Paul : «Il faut sortir les salaires et nos tarifs de l’enveloppe de l'Ondam. Sinon, j'ai peur que le ministère estime qu'avec les augmentations à l'hôpital, l'Ondam va être dépassé, auquel cas ils vont prendre à quelqu'un d'autre, c'est à dire à nous.» Cette crainte est partagé par le CGtiste Marc Auray : «Si le projet est encadré par des restrictions budgétaires, ce sera terrible», estime-t-il.

Edouard Philippe a par ailleurs confirmé la suggestion de la suppression des 35 heures : «La question du temps de travail n’est pas tabou». Une perspective qui a fait bondir les soignants.

Qu’ils ne touchent pas à notre temps de travail ! On est déjà assez fatigués !

«Les 35h, mais n’en parlez même pas !», s'agace Laurent Rubinstein. «C'est bien le nombre d'heures qui figure sur la fiche de paie, mais on en fait beaucoup plus. On a donc un compte épargne temps et on se fait payer en plus, 100 euros par jour supplémentaire travaillé… mais qu’ils ne touchent pas à notre temps de travail ! On est déjà assez fatigués !», s'insurge-t-il.

La crainte d'une absence de réforme en profondeur

Edouard Philippe l'a martelé : le Ségur permettra de faire «bouger profondément les lignes». Outre les revalorisations salariales il a promis «l’investissement massif, la réorganisation territoriale, l'agilité retrouvée, et la modernisation par le numérique».

Au sujet de cet investissement, que tout le secteur de la santé appelait de ses vœux, le chef du gouvernement a évoqué «la reprise d'un tiers de la dette» par l'Etat, qui était déjà prévue, soit 10 milliards d'euros, et le lancement d’un «plan d'aide à l'investissement de proximité de 250 millions d'euros par an».

Il compte également investir au niveau des territoires pour mettre en lien tous les acteurs du soin. Mais pour Jérôme Marty, le président de l'UFML-S, cette perspective renforcerait le pouvoir de l'administration qui se chargerait d'encadrer encore davantage les dépenses au détriment des besoins. Alors qu'il faut selon lui confier les rênes au personnel médical, aux soignants, privés de tout pouvoir depuis la loi Bachelot de 2009.

Si on ne repart pas de zéro, on n'y arrivera pas

Et de manière plus générale, syndicats et collectifs appellent à revoir le système de financement de la sécurité sociale de fond en comble. L'Ondam, l'Objectif des dépenses de Santé, a été fixé en 2020 à 205,3 milliards d'euros, en augmentation de 2,3%. Malheureusement dans le même temps, les charges augmentent... de 4,4%. L'Ondam est condamné à être déficitaire, sauf à réaliser des milliards d'économies qui laissent établissements et personnel exsangues. «Depuis la réforme d'Alain Juppé et l'Ondam, le financement de la sécurité sociale est lié aux cotisations sociales. A cause de la crise permanente, du taux de chômage, elle est constamment en déficit», explique Jérôme Marty. «Donc il faut remettre en question ce dogme de 1996, qui alloue un budget d'emblée trop bas. Et si on ne repart pas de zéro, on n'y arrivera pas», poursuit le président du syndicat de médecine libérale.

Appel à la mobilisation

Pour les militants et syndicalistes interviewés par RT France, les dés sont déjà jetés. «On attend de voir, mais on pense qu'ils ont déjà un plan en tête», estime l'infirmier Laurent Rubinstein, du collectif Inter urgences. «Ils vont faire des commissions, des consultations, des rencontres avec des professionnels sur le terrain, et ils sortiront un texte écrit avant le Ségur. Je ne les vois pas inventer de nouvelles choses», prédit Jérôme Marty.

Mais les soignants, les hospitaliers sont déjà à pied d’œuvre pour les mobilisations. L'hôpital Robert Debré organise les déambulations dans la rue du «jeudi colère». Et la date du 16 juin se profile pour une mobilisation nationale. «On demande aux citoyens de venir avec nous, pour qu'un véritable rapport de force s'établisse de notre coté», plaide l'urgentiste Sabrina Ali Benali.

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