Les médecins vont-ils être rémunérés pour transgresser le secret médical ?
La sécurité sociale a évoqué «une rémunération» pour les médecins transmettant les données de personnes en contact avec des patients infectés au Covid-19. Une décision qui fait bondir certains généralistes et pourrait être amendée par l'Assemblée.
Alors que les discussions s’annoncent longues et houleuses à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire en raison du coronavirus – adopté en première lecture par le Sénat le 6 mai – une mesure rendue publique par la Sécurité sociale fait naître beaucoup de critiques.
Le site ameli.fr a en effet mis en ligne un article intitulé «Les médecins au cœur du circuit de "contact tracing" [traçage des cas contacts] des patients Covid-19», présentant une «stratégie» découlant des «mesures d’accompagnement de la stratégie de déconfinement progressif» présentées par le gouvernement. Parmi celles-ci, la volonté d’offrir «une rémunération supplémentaire» aux médecins qui décideraient de remplir le fichier «Contact Covid» avec les informations de personnes ayant été en «contact» avec un patient malade, donc sans preuve réelle de leur contamination.
«Si le médecin souhaite mener le "contact tracing" au-delà de la cellule proche du patient (personnes résidant au même domicile que le patient) et enregistrer dans le téléservice "Contact Covid" les autres cas contacts, une rémunération supplémentaire par cas contact renseigné sera versée», fait valoir le document, soulignant que cette prime s’élèverait à «2 euros pour chaque cas contact avec saisie des éléments de base» et «4 euros pour chaque cas contact avec saisie de données plus complètes», sans toutefois spécifier le détail des données concernées.
«Une remise en cause du secret médical», selon un syndicat de médecins généralistes
Une nouvelle qui a fait bondir le Syndicat national des jeunes médecins (SNJMG) généralistes. Dans un communiqué diffusé le 7 mai, l’organisation explique : «Le SNJMG n’ignore pas qu’il existe des résultats encourageants sur des expériences à l’étranger d’identification systématique et de prise en charge des personnes infectées et de leurs contacts mais il n’en reste pas moins que le projet repose toujours sur des atteintes aux droits des personnes et sur une remise en cause du secret médical, alors que la pathologie CoViD-19 évolue majoritairement vers la guérison spontanée.»
Interrogé par RT France, le président du SNJMG, Benoit Blaes, transcrit un certain questionnement au sein des ses confrères. «Il y a un sentiment partagé dans la profession qui est celui de la transgression du secret médical […] Il est incroyable que cette mesure ne s’applique pas uniquement à nos patients, à qui nous pourrions demander l’accord, mais également aux cas-contact du patient positif», fait-il savoir, arguant qu’«il est très troublant de devoir transmettre des données personnelles de personnes qui ne sont pas nos patients et que nous ne suivons pas».
Il se dit par ailleurs «mal à l’aise avec l’idée de devoir dénoncer des individus qui nous auraient été désignés, le tout contre rémunération». Benoit Blaes appelle à «être prudent concernant la collecte des données personnelles» et considère que «cette mesure s’inscrit dans une série de mesures d’état d’urgence sanitaire qui portent atteinte à de nombreuses libertés dont le secret médical».
Un amendement contraire déposé par un député LREM
Mais si la mesure a bel et bien été présentée par la Sécurité sociale, son avenir est incertain après le dépôt d’un amendement par le député LREM de la Vienne, Sacha Houlié, par ailleurs fondateur du mouvement Les Jeunes avec Macron, et hostile au traçage. Devant la commission des lois de l’Assemblée nationale le 7 mai, il a proposé «d’interdire une partie de la rémunération qui sera offerte aux médecins […] du complément de deux euros par nom ou quatre euros par coordonnée supplémentaire», s’insurgeant par la suite sur Twitter contre une «rémunération au rendement [qui] n'a pas sa place en matière de santé publique».
Amendement adopté ✅ !
— Sacha Houlié (@SachaHoulie) May 6, 2020
Le forfait de 55 euros, soit plus de deux fois le plafond de la consultation classique, est suffisant. La rémunération au rendement n'a pas sa place en matière de santé publique. https://t.co/hjIvjyjllT
Adopté, l’amendement du Bressuirais de 31 ans sera donc discuté en séance plénière, malgré un avis défavorable du rapporteur, Marie Guévenoux, députée LREM de l’Essonne. «Personnellement, j’ai été convaincue par la réponse qui nous a été faite dans le cadre des auditions par les directeurs présents. Ce double mode de rémunération […] est justifié par l’exhaustivité qui aura été recherchée par le médecin, qui, s’il peut renseigner les cordonnées des cas-contacts, permettra de gagner du temps», lui a-t-elle rétorqué.
"Ce double mode de rémunération a été justifié au regard du temps que prendra ce suivi en plusieurs étapes", répond la rapporteure @mguevenoux. Elle demande le retrait de l’amendement. Refus du député LaREM.#DirectAN#PJLEUS#COVID19pic.twitter.com/R83Df6ZUWj
— LCP (@LCP) May 6, 2020
Alors nouvelle fronde chez les députés LREM ? Ou revirement gouvernemental amené par la voix d'un député en commission ? Deux jours seulement après l’exclusion de la députée du Bas-Rhin, Martine Wonner du groupe de la majorité à l’Assemblée nationale – qui avait voté contre le plan de déconfinement proposer par le gouvernement – cet amendement promet de susciter de nombreux échanges. De là à menacer l'unité du parti présidentiel sur la loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire ? Les débats autour du texte au palais Bourbon devraient durer jusqu'à la fin de la semaine, alors que le Premier ministre Edouard Philippe a annoncé que la première phase du déconfinement était maintenue pour le 11 mai.
Alexis Le Meur