Nouveau suicide dans l'Education nationale : les enseignants tirent encore la sonnette d'alarme

Nouveau suicide dans l'Education nationale : les enseignants tirent encore la sonnette d'alarme© Bertrand GUAY / POOL Source: AFP
INTERVIEW
Une salle de classe à Clichy-la-Garenne, en septembre 2019 (image d'illustration).
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Près de 30 ans d'expérience, et pourtant... Christine Renon, directrice d'une école à Pantin n'en pouvait plus : pressions hiérarchiques, poids de l'administratif, surcharge de travail... Ses lettres témoignent de la souffrance des enseignants.

Le malaise semble bel et bien profond dans l'éducation nationale. Et le suicide de Christine Renon, directrice d'une école à Pantin en Seine-Saint-Denis (93) – plus de 30 ans d'expérience dans la profession – semble l'illustrer. Dans une de ses lettres d'adieu rendue publique, dans laquelle elle explique son geste fatal, ses premiers mots sont évocateurs : «Aujourd'hui, samedi, je me suis réveillée épouvantablement fatiguée, épuisée après seulement trois semaines de rentrée.»

Quelques heures plus tard, selon les premiers éléments de l'enquête, la femme de 58 ans s'est suicidée dans le hall de son école. Le corps a été découvert seulement deux jours plus tard, le 23 septembre.

Dans la lettre dévoilée sur les réseaux sociaux, Christine Renon évoque les «très lourdes responsabilités», «l'épuisement», l'indifférence de la hiérarchie, des directeurs d'école «particulièrement exposés [à qui] on leur demande de plus en plus sans jamais les protéger», le manque de temps pour aller voir ne serait-ce que le médecin pour un problème de santé, «ces petits riens qui occupent à 200% notre journée», etc.

Elle voulait que son geste ne serve pas à rien, c’est un acte politique

Les syndicats enseignants comprennent le geste et interpellent le ministère de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer. En envoyant ses lettres d'adieu à plusieurs directeurs d'école, à son syndicat la SNUIPP-FSU, et à son école, Christine Renon voulait que son geste soit connu du public. «Elle voulait que son geste ne serve pas à rien, c’est un acte politique», souligne Camille Saugon, membre de Sud Education 93, interrogée par RT France. Elle craint toutefois que «l'institution se défausse de ses responsabilités et trouve des raisons d'ordre personnel» pour expliquer le choix de Christine Renon : «L’institution tente toujours, et c’est systématique lors des suicides au travail, de cacher la poussière sous le tapis. Nous sommes des êtres humains, évidemment que chaque personne va avoir des problèmes personnels. Mais ces problèmes sont amplifiés par nos conditions de travail. Là, clairement, ce que Christine dit dans cette lettre, c’est qu’on n’en peut plus.»

Les syndicats exigent que l'Education nationale agisse pour améliorer les conditions de travail des enseignants

Un membre de Sud 93 a d'ailleurs affirmé sur son compte Twitter que «le Dasen [le directeur académique des services de l'Education nationale] a dit "ne pas vouloir connaître le contenu de ces courriers"». «Comme souvent, les responsables du suicide tentent de se couvrir [...]  Première réponse de l’administration ? Il est trop tôt pour parler d’un suicide. Deuxième réponse ? Ce n’est pas un suicide car c’est hors temps de service», s'offusque l'internaute.

Contactée, la Direction des services départementaux de l’Education nationale 93 (Dsden 93) dont dépend le Dasen n'a pas encore donné suite à notre demande d'interview. Pour Camille Saugon, l’administration va toutefois «avoir du mal à se cacher derrière ses fausses excuses» : «Cela s’est passé un samedi, elle est revenue sur son lieu de travail pour se suicider. Y a pas plus explicite comme démarche.»

Le monde enseignant est le métier le plus touché par le nombre de suicides

«Elle exprime clairement une souffrance au travail», soutient-elle, avant d'affirmer : «De source sûre, je sais que le monde enseignant est le métier le plus touché par le nombre de suicides.» «Ce que Christine exprime dans sa lettre, c’est ce que des collègues nous remontent tous les jours ! Les pressions hiérarchiques on en a tous les jours, la surcharge de travail, elle existe, elle est là. Les réformes successives détruisent le service public, elles mettent en souffrance les personnels et les élèves. Tout cela c’est réel», appuie-t-elle.

Si la lettre accuse les inspecteurs (hiérarchie directe au-dessus des enseignants) de ne pas se rendre compte à quel point «tout le monde est épuisé», Camille Saugon vise l'institution Education nationale dans son ensemble (IEN) : «La responsabilité est à toutes les échelles mais évidemment l’inspecteur de circonscription, l’IEN, est notre chef hiérarchique. Il subit lui-même des pressions du directeur académique, qui subit lui-même des pressions du recteur, qui subit lui-même des pressions du ministre. Ces pressions existent réellement sur le terrain, fréquemment.»

Au diapason de Camille Saugon, la secrétaire départementale de la Snuipp-FSU 93, Marie-Hélène Plard, se reconnaît elle aussi dans le contenu de la lettre. Les syndicats demandent de fait «un CHSCT [un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail] extraordinaire au directeur académique sur cette question spécifique pour demander des comptes et des vraies réponses». «Ce mal-être est général, et ça fait un moment qu’on tire la sonnette d’alarme là-dessus sans être entendu», confirme Marie-Hélène Plard.

Le calvaire de Christine Renon, un quotidien pour des dizaines de directeurs d'école ?

En charge aussi de la direction d'une école, la syndicaliste de la Snuipp-FSU 93 ressent dans les mots de Christine Renon, «le quotidien qu’elle a décrit», et accuse elle aussi l'institution dans son ensemble : «Il y a un certain nombre d’injonctions qui arrivent directement du ministère, qui sont parfois complètement contradictoires, qui sont déconnectés de la réalité du terrain. On y perd le sens même du métier, le temps pédagogique est de plus en plus restreint. Ça devient compliqué. L’épuisement professionnel et cette solitude que Christine a montré font écho à beaucoup de collègues directeurs.»

Marie-Hélène Plard avertit en outre à propos du «nombre de remontées de plus en plus inquiétantes», venant de la base, avec des collègues à bout dès les premières semaines de rentrée : «Il y a une mise en place d’un management, d’une infantilisation avec des protocoles pour tout. On perd goût au métier. Et ça, s’aggrave d’années en années.» «On met en place des stratégies de new management comme dans les entreprises privées», soutient Camille Saugon. «Pour nous, les suicides dans l’Education nationale sont à mettre au regard des suicides à France Telecom, à la SNCF, etc. On est maltraité par notre notre employeur», conclut la militante Sud 93.

On est maltraité par notre notre employeur

Nul doute, le signal donné par la hiérarchie après le décès de Christine Renon n'a pas été du goût des enseignants. Alors que le corps de l'enseignante a été retrouvé le 23 septembre, l'école a été rouverte le lendemain, le 24 septembre. Peut-être pour calmer la tension ambiante, le ministre de l'Education nationale Jean-Michel Blanquer s'est rendu au rassemblement en hommage à Christine Renon le 26 septembre à Pantin. Dans un tweet laconique, il a exprimé ses «pensées de solidarité et de profonde tristesse pour la directrice de l’école de Pantin et pour la communauté éducative de toute la ville». «Le recteur de Créteil est en lien avec les équipes depuis lundi [23 septembre], j’ai missionné l’Inspection générale qui est sur place ce matin [26 septembre]», ajoute-il.

Le suicide de Christine Renon fait écho au mouvement #pasdevague en octobre 2018 sur les réseaux sociaux, les enseignants dénonçant publiquement les violences subies, les pressions et le manque de soutien de la hiérarchie. L'école semble malade, et le médicament n'a pas encore été trouvé.

Bastien Gouly

Lire aussi : Fondamentalisme islamiste et scolarisation : Jean-Michel Blanquer a-t-il tordu la réalité ?

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