Qui soutient qui ? Le labyrinthe des consignes de vote à la loupe
Certains socialistes soutiennent LREM, d'autres la France insoumise, qui ne soutient, elle, que les frondeurs... mais aussi parfois le MoDem. Et tandis que la droite oscille entre impartialité et convergence macroniste, le FN reste (presque) neutre.
Rarement le paysage politique français aura été aussi bouleversé. Après le raz-de-marée qui a permis à La République en marche (LREM) d'écraser le Parti socialiste (PS) et de distancer de très loin Les Républicains (LR), le Front national (FN) et la France insoumise (FI), des candidats du parti d'Emmanuel Macron (ou de son allié le MoDem) sont présents au second tour dans 510 circonscriptions sur 577. Tantôt opposés aux candidats de la droite, du FN, de FI ou du PS, les candidats soutenus par le camp Macron sont même parfois l'un face à l'autre dans certains cas, comme dans la 18e circonscription de Paris.
Dans un tel contexte, et alors que le second tour se jouera presque partout entre deux candidats (une seule triangulaire aura lieu, dans la première circonscription de l'Aube), les consignes de votes et ralliements entre les deux tours revêtent des allures quelque peu chaotiques. Une situation qui devrait d'autant plus profiter aux candidats LREM, en ballottage favorable dans la plupart des cas, que les scores relativement faibles de LR et du PS (respectivement 15,77% et 13,20%) ne leur permettent pas réellement de peser dans la balance.
Chez Les Républicains, des consignes de vote à la carte
Officiellement, LR a exclu d'emblée les «accords d'appareil» et les consignes de vote automatiques. Si certains, au sein du parti, montrent des signes de sympathie à l'égard de la majorité présidentielle, d'autres, notamment dans le camp de Laurent Wauquiez, refusent de choisir, y compris entre le FN et LREM. Difficile, donc, de définir une ligne à l'échelle nationale. «Nous allons regarder la situation au cas par cas», avait déjà déclaré Bernard Accoyer sur France 2 le 11 juin dernier, privilégiant donc des soutiens ponctuels dans chacune des circonscriptions où la droite a été éliminée au premier tour.
Dans de nombreux cas, cette stratégie se traduit par une absence de consigne de vote. Tel est par exemple le cas dans la quatrième circonscription de Marseille, où la candidate LR Solange Biaggi (10,63%), éliminée dès le premier tour, a refusé de choisir entre Jean-Luc Mélenchon (34,3%) et la candidate LREM Corinne Versini (22,66%). Même discours dans plusieurs configurations où un candidat LREM affrontera le FN : dans la première circonscription des Pyrénées-Orientales, le candidat de LR Daniel Mach (19,36%) a refusé de donner une consigne de vote pour départager le candidat LR Romain Grau (31,75%) et celui du FN, Alexandre Bolo (20,26%).
Pourtant, certains candidats de droite ont décidé de prendre position. Tel est par exemple le cas de Frédéric Nihous, investi par LR dans la 17e circonscription du Nord et éliminé dès le premier tour avec 10,40%. L'ex-candidat à la présidentielle a implicitement appelé ses électeurs à faire barrage au FN, «le parti du parachutage qui surfe sur la colère des gens», représenté par Thibaut François (24,38%) en affirmant qu'il voterait pour son adversaire, le candidat LREM Dimitri Houbron (23,13%).
De manière plus insolite, le député sortant de la 5e circonscription des Hauts-de-Seine Patrick Balkany qui se présentait sans étiquette a appelé à voter pour la candidate LREM Céline Calvez (41,7%)... contre son adversaire investi par LR, Arnaud de Courson (14,7%). En cause : la rivalité féroce entre le maire de Levallois, membre de LR non-investi par son parti, et le candidat officiel de LR «à qui on a dû envoyer un GPS». «Céline est une femme charmante», a argumenté Patrick Balkany, qui a appelé ses électeurs à voter pour elle pour dénoncer le «parachutage» d'Arnaud de Courson.
Les socialistes unanimes contre le FN, divisés face à LREM
Rue de Solferino, aucune position nationale n'a pu être définie. Seule constante pour le PS : l'appel à «faire barrage» au FN partout où celui-ci est parvenu à se qualifier pour le second tour. Dans la quasi-totalité des 92 circonscriptions où le parti de Marine Le Pen affrontera celui d'Emmanuel Macron le 18 juin prochain, les candidats du PS éliminés au premier tour ont clairement appelé leurs électeurs à se reporter sur le candidat LREM. Dans la troisième circonscription des Pyrénées-Orientales où elle a subi un lourd revers, l'ex-secrétaire d'Etat socialiste Ségolène Neuville (15,68%) a par exemple demandé à ses électeurs d'empêcher l'élection de la candidate FN Sandrine Dogor (22,70%) en soutenant le candidat LREM Laurence Gayte (22,70%).
Théoriquement, les consignes des candidats socialistes devraient donc se limiter à ce seul cas de figure. Pour autant, plusieurs socialistes n'ayant pu accéder au second tour semblent vouloir également «faire barrage» à la droite. Nicolas Chauvin, candidat PS de la troisième circonscription de la Sarthe (8,53%) a ainsi donné une consigne de vote en faveur de la candidate LREM Pascale Fontenel-Personne (32,10%) contre celle de LR, Béatrice Pavy-Morançais (22,20 %). «Dans cette élection, cette droite s'est révélée particulièrement conservatrice», s'est-il justifié.
Témoignage de la très profonde fracture au sein du PS, certains ont préféré appeler à empêcher l'élection des candidats de la majorité présidentielle, notamment en se reportant sur des candidats de FI. L'exemple le plus emblématique, reflet de l'imbroglio sans précédent de ce second tour, est celui de la première circonscription de l'Essonne, où Manuel Valls est arrivé en tête avec 25,45% des voix. Pour battre l'ex-Premier ministre, toujours membre du PS mais rallié à Emmanuel Macron tout en se présentant sans étiquette, le candidat du PS à la présidentielle Benoît Hamon a donné une consigne de vote en faveur de la candidate FI Farida Amrani (17,61%). De même, dans la première circonscription de la Somme, l'ancienne secrétaire d'Etat socialiste Pascale Boistard (7,06%) a choisi de soutenir François Ruffin (24,32%), candidat LFI-PCF-EELV, contre son adversaire LREM Nicolas Dumont (34,13%).
Pour autant, tous les socialistes ne semblent pas se décider à franchir le pas et à s'opposer aussi frontalement à LREM. C'est par exemple le cas de Patrick Menucci, sèchement battu dans la quatrième circonscription de Marseille (12,43%), qui ne peut se résoudre à choisir entre Jean-Luc Mélenchon, en ballottage favorable face à Corinne Versini. Alors que le leader de FI a d'ores et déjà appelé les électeurs du candidat socialiste à voter pour lui au second tour, ce dernier a réagi de manière très tiède : «Jean-Luc Mélenchon est très aimable, je le remercie, mais en même temps les choses ne sont pas si simples. Si le Parti socialiste en est là, c'est parce que justement son électorat est divisé.» Signe supplémentaire de cette division, sa propre suppléante, Nasséra Benmarnia, n'a pas hésité à soutenir Jean-Luc Mélenchon. «J'ai décidé de prendre mes responsabilités face à la débâcle de la gauche», a-t-elle expliqué.
La France insoumise appelle finalement à un «barrage» gradué
«Vous n'avez pas besoin de moi pour savoir ce que vous avez à faire. Je ne suis pas un gourou, je suis pas un guide», avait lancé Jean-Luc Mélenchon après sa défaite au premier tour de la présidentielle. Critiqué de toutes parts pour ce refus d'appeler clairement à voter pour Emmanuel Macron contre Marine Le Pen, le chef de file de FI semble avoir opéré un revirement sur la question. «Attention à ne jamais permettre l'élection d'un député du Front national», a-t-il lancé lors de son discours au soir du 11 juin, allant même jusqu'à assumer de donner «une consigne» aux électeurs FI.
Toutefois, la consigne ne résume pas à cela. Poussant la subtilité un peu plus loin, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon a appelé le 12 juin à faire élire «toutes celles et ceux qui s'opposent à la loi Travail, à l'état d'urgence et au projet autoritaire et productiviste d'Emmanuel Macron» pour construire «une opposition écologique et sociale». Il s'agit, autrement dit, des députés PS sortants ayant signé la motion de censure contre le gouvernement de Manuel Valls lors de l'emploi du 49.3 pour la loi El Khomri. Dans le deuxième circonscription de la Nièvre, le chef de file des frondeurs Christian Paul (18,3%) devrait ainsi bénéficier du report d'une partie des 10,16% de voix obtenus par la candidate FI Marie-Anne Guillemain. Il lui sera malgré tout difficile de rattraper son retard sur le candidat LREM Patrice Perrot (33,8%).
Comme au PS, certains candidats FI estiment nécessaire de conserver les vieux réflexes de hiérarchisation des adversaires, et préfèrent ainsi un centriste à un candidat de droite. C'est la raison pour laquelle, dans la troisième circonscription du Jura, Jean-Bernard Marcuzzi (15,4%) a appelé à battre Jean-Marie Sermier (32,75%) en votant pour Paul-Henri Bard, le candidat du MoDem soutenu par LREM (26,48%). « Le candidat LR tient des propos qui dépassent parfois celui du Front National que nous combattons», a expliqué Jean-Bernard Marcuzzi.
Le FN : une réserve de voix considérable, mais pas de consigne
Le parti de Marine Le Pen, après avoir effectué un score décevant au niveau national (13,9%), s'en est tenu à sa ligne traditionnelle, refusant de choisir entre LR, LREM et le PS. Il n'y aura pas non plus d'appel à un front anti-Macron. Pourtant, dans les 360 circonscriptions où un candidat LREM affrontera celui d'un autre parti en l'absence du FN, les voix des électeurs frontistes pourraient bien souvent faire la différence. Dans la 6e circonscription de Seine-Maritime, Nicolas Bay (22,78%) a raté l'accession au second tour à 20 bulletins près – une réserve de voix alléchante mais difficile à courtiser pour les deux finalistes, le candidat LREM Philippe Dufour (26,87%) et le communiste Sebastien Jumel (22,82%).
De manière très inhabituelle, deux candidats du FN ont pourtant décidé d'appeler à battre les candidats de la majorité présidentielle en votant... pour leurs adversaires FI. Ainsi, le candidat mélenchoniste Adrien Quatennens (19,38%) a pu compter sur le soutien du candidat frontiste Eric Dillies (10,89%) dans la première circonscription du Nord, où il affronte au second tour le candidat LREM Christophe Itier (32,61%). Dans la huitième circonscription de Loire-Atlantique, le candidat FN Gauthier Bouchet (9,01%) a mêmement choisi de soutenir un candidat FI... avant de se raviser. Réagissant à sa défaite au soir du premier tour, Gauthier Bouchet a ainsi appelé à soutenir le candidat FI Lionel Debraye (15,98%) face à son adversaire LREM Audrey Duufeu-Schubert (38,44%) dans un communiqué publié sur internet, retiré par la suite. «Je ne suis pas au second tour. Mes électeurs sont libres. Ils voteront ce qu'ils veulent, et c'est bien ainsi. Aucune consigne !», a-t-il néanmoins écrit dès le lendemain sur Twitter.
Autre situation particulière : dans les deux circonscriptions de Nouvelle-Calédonie, face au candidat sans étiquette Louis Mapou (30,08%) et au régionaliste Philippe Dunoyer (27,88%), tous deux arrivés en tête, le FN a décidé de soutenir leurs adversaires de droite, respectivement l'UDI Philippe Gomes (23,94%) et la candidate sans étiquette Sonia Backes (17,27%), tout en posant certaines conditions. En effet, les vues indépendantistes des deux candidats en tête inquiètent le FN, opposé à l'indépendance de cette collectivité d'outre-mer qui devrait se prononcer à ce sujet par un référendum en 2018. Le FN exige des deux candidats qu'ils s'engagent «sur l'honneur» à faire activement compagne pour le «non».
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