Le capitalisme français survivra-t-il à une crise dont les effets sont encore largement dissimulés par le chômage partiel et l’endettement exponentiel de l’Etat ? Selon l'essayiste Eric Verhaeghe, une profonde mutation systémique est à l’œuvre.
Le capitalisme français est en danger, et le mouvement qui s’opère sous l’effet de la crise pourrait avoir raison de lui. La lecture des résultats semestriels publiés cet été, et les annonces diverses au fil de l’eau, engrangées depuis plusieurs semaines, illustrent l’urgence d’une situation dont les Français ne sont pas encore conscients.
Des champions français en danger
Lorsque Renault a annoncé une perte record de plus de 7 milliards d'euros, l’opinion n’a pas forcément mesuré la portée de cette information. C’est pourtant l’une des épines dorsales de notre économie qui est désormais atteinte par la crise. Officiellement, le gouvernement tempère beaucoup la gravité de la situation (jugée moins critique que celle d’Air France...). Il n’en reste pas moins que, dans la compétition internationale que l’industrie automobile structure, la France devrait reculer durablement. Face aux géants allemands ou japonais, notre présence dans le peloton de tête semble compromise.
De son côté, notre champion aéronautique Airbus annonce une perte de près de 2 milliards d'euros. Là encore, la situation semble critique et l’on voit mal comment les années à venir pourraient ouvrir un chemin vers les splendeurs du passé. L’exigence de «sauver la planète» pénalisera durablement le trafic aérien. Déjà de nombreux mouvements écologistes prônent le renchérissement de ce mode de transport pour en raréfier l’utilisation.
Situation critique pour Air France
Dans ce concert de mauvaises nouvelles, le gouvernement surveille donc comme le lait sur le feu la situation d’Air France, qui a annoncé près de 4,5 milliards d'euros de pertes pour le premier semestre. Le chiffre d’affaires de la compagnie s’est complètement effondré, dépassant péniblement le milliard d'euros sur les six premiers mois de l’année quand il atteignait les 7 milliards sur l’ensemble de l’année.
Pour la compagnie nationale, les perspectives sont sombres. Le groupe Air France-KLM a annoncé disposer d’une trésorerie de 14 milliards pour restructurer son activité. On peut craindre qu’elle soit essentiellement utilisée pour financer la liquidation d’une grande partie de l’activité, tant les perspectives du transport aérien sont sombres.
Des mutations systémiques en cours
Les difficultés peut-être létales de nos géants français manifestent la crise profonde du capitalisme que nous traversons, et que révèle la crise du coronavirus. Alors que ces activités «traditionnelles» sont en grande difficulté, il est évident que les activités liées au numérique et à la transformation du monde ont au contraire profité de la crise et en profitent encore.
C’est le cas de Cap Gemini ou de Sopra Steria, qui proposent des services informatiques et du conseil numérique. Au premier semestre, ces champions français ont dégagé des profits et affichent des chiffres d’affaires de plusieurs milliards d'euros. De son côté, ST Microelectronics a relevé ses prévisions.
Le grand bond en avant de la vente en ligne
De leur côté, les acteurs traditionnels qui ont parié sur la vente en ligne ont tous tiré parti de la crise. C’est le cas de Carrefour, qui a profité du doublement de son activité de e-commerce, laquelle dégage une hausse du chiffre d’affaires de 2 milliards... On notera, et c’est un signe majeur, que cette hausse se produit surtout à l’étranger, et n’est que très marginale en France.
Le phénomène est identique pour Maisons du Monde, dont l’activité de e-commerce a progressé de 50 % au premier semestre. Dans cette évolution, on trouve le signe d’une mutation avancée du capitalisme, accélérée par la crise. On voit bien que les activités du «monde d’avant» sont à la peine, et que seules progressent celles qui sont équipées pour tirer le meilleur parti de la numérisation de l’économie.
Le capitalisme français en danger
De cet ensemble, se dégage une certitude : la relance économique ne doit pas chercher à «zombifier» des géants français dont l’activité n’a que peu d’avenir. Cette stratégie défensive conduirait en effet à mobiliser des capitaux colossaux qui «n’iront pas» aux activités d’avenir sur lesquelles il faut investir maintenant pour disposer des géants de demain.
Dilapider des fortunes pour retarder le plus possible la disparition du monde d’hier
La technostructure française est-elle capable de comprendre cette évolution en profondeur ? Est-elle équipée pour faire face à l’avenir ? L’absence de marché libre et fluide, l’inclination française pour la collusion et l’esprit de coterie risquent de jouer un bien vilain tour à ce pays en asséchant le financement du monde de demain et en dilapidant des fortunes pour retarder le plus possible la disparition du monde d’hier.
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