L'impasse révolutionnaire, par Henri Guaino

L'impasse révolutionnaire, par Henri Guaino© Eric Gaillard Source: Reuters
Un Gilet sur un rond-point de Nice, le 11 janvier 2019 (image d'illustration).
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Face à la persistance de la révolte des Gilets jaunes, Henri Guaino pointe les limites de la «violence révolutionnaire». Selon lui, en raison de la complexité de la crise, il n'y a pas de solution politique immédiate. Mais alors, quelle issue ?

Le président de la République écrit aux Français qu'il veut transformer avec eux les colères en solutions. Intention louable mais qui néglige un fait majeur : la révolution est à la mode. Depuis que les Gilets jaunes sont sur les ronds-points et dans la rue, tout le monde sur les plateaux de télévision devient de plus en plus révolutionnaire. Il faut tout casser, plus rien ne vaut rien à commencer par les institutions : «Du passé faisons table rase !» Mais à chacun sa révolution et ses lendemains qui chantent : révolution prolétarienne, nationale, conservatrice, libérale, démocratique…

Les uns espèrent que l'insurrection balaiera le néocapitalisme mondialisé, les autres qu’elle en finira avec ce qui reste de l'Etat-providence, les uns que la France va enfin s'adapter à la mondialisation, les autres qu’elle va enfin enfin lui tourner le dos, les uns que les corps intermédiaires vont être mis à bas, les autres qu'ils vont reprendre le pouvoir… Mais dans les têtes de tous ceux qui sont en colère, qui en ont ras-le-bol, qui ont le sentiment, non sans raison, qu'ils ne maîtrisent pas leur vie, qu’elle est broyée par quelque chose qui les dépasse, que faire des efforts ne sert à rien, que voter ne change rien, ne pas voter non plus, il y a deux obsessions : punir ceux qu'ils jugent responsables de leur situation et le changement immédiat de celle-ci.

Cette urgence sociale et psychologique, tout à coup libérée, qui appelle tant de gens à vouloir reprendre leur destin en mains, se heurte à l’incompréhension du pouvoir

40 ans de sacrifices, 40 ans d'efforts, 40 ans de frustrations, 40 ans de mépris, ça suffit ! Voilà le cri des révoltés qui manifestent ou qui restent chez eux en ruminant leur colère. Cette urgence sociale et psychologique, tout à coup libérée, qui appelle tant de gens à vouloir reprendre leur destin en mains, se heurte à l’incompréhension du pouvoir qui doit en outre assumer la nécessité de l'ordre public, elle se heurte aussi aux arrières-pensées de tous ceux qui n'ont d'autres soucis que de ne pas rater le train de l'histoire et cherchent a récupérer la colère à leur profit. Elle se heurte surtout à la réalité qui fait que l'on ne sort pas du jour au lendemain de 40 ans de pensée unique, de financiarisation, de traités, de directives européennes, de privatisations, d’austérité…

Il faut pour changer les choses se battre sur tellement de fronts qu'à ce stade il n'y a pas de solution politique immédiate à cette crise. Il y a donc gros à parier que chacun cherchera à prendre à l'autre ce que l'on ne lui donnera pas. C'est ce qu'il faut entendre derrière certains mots. Ainsi du mot «privilèges» et de la revendication de leur abolition, figure imposée tous les mouvements révolutionnaires qui mêle toujours un vrai sentiment d'injustice, une vraie aspiration à l’égalité et la recherche de boucs émissaires. Ainsi, aussi, du mot «riches». Opposer les 20% de plus «riches» qui doivent continuer à payer la taxe d’habitation aux 80 autres pour cent de la population fracture la société. Mettre les célibataires qui gagnent 2 500 euros par mois net dans la même catégorie que les cadres dirigeants de multinationales, les financiers qui gagnent des millions d'euros par an et qui représentent moins de 1% des ménages, pose un problème qui n'est pas anodin, non seulement parce qu'on mélange des situations qui n'ont absolument rien de comparable, mais aussi et surtout parce que cela conduit à séparer les diplômés, les cadres du reste de la société. Mais que serait notre société sans les ingénieurs, les avocats, les médecins, les chirurgiens, les entrepreneurs…

Quand chacun se prend pour le peuple à lui tout seul, les choses prennent toujours une mauvaise tournure

Et sans la reconnaissance du savoir, des compétences et de la promotion sociale par les études ? Il flotte déjà autour de cette histoire des 20% les plus riches comme un petit parfum de révolution culturelle maoïste contre les plus diplômés qui ne seraient pas le peuple. Mais quand chacun se prend pour le peuple à lui tout seul, les choses prennent toujours une mauvaise tournure. Si chacun veut prendre à l’autre, qui soit-disant ne fait pas partie du peuple, ce qu’on ne lui donne pas, les haines et les violences que l’on sent monter ne sont qu’un début.

Qui plus est, comme de toutes les façons la pensée dominante n’est pas prête à changer, et que c’est exactement ce que dit le président quand il réaffirme dans sa lettre qu’il ne changera pas de cap, le risque est grand que cette violence révolutionnaire s’installe sans pouvoir déboucher sur un monde meilleur. Le référendum d'initiative citoyenne n’y changera rien. Si la Révolution française a finalement, après bien des violences, laissé un héritage positif c'est parce que celui-ci avait été préparé par un siècle de pensée, de philosophie et de science.

Si la crise des années 1930 et la Seconde guerre mondiale ont engendré le programme du Conseil national de la Résistance, c'est par ce qu'elles avaient d'abord engendré un renouvellement en profondeur de la pensée économique, sociale et politique. Aujourd'hui rien de semblable à ces révolutions intellectuelles : face à face, seulement la pensée unique et la colère. On peut détruire la société de toutes sortes de façons, pour toutes sortes de raisons. On ne la reconstruit que sur des idées. Quand la pensée est sourde aux cris de la colère et la colère aveugle, la révolution n’a pas beaucoup de chances de fabriquer des lendemains qui chantent mais plutôt le contraire.

Lire aussi : Gilets jaunes : le risque du grand défoulement, par Henri Guaino

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