Theresa May ayant basé sa campagne sur la peur, Jeremy Corbyn s'est tourné vers les préoccupations de base de la population, juge Slavoy Zizek, philosophe slovène.
Theresa May s’est excusée, à l’issue des élections générales du 8 juin, devant les députés conservateurs pour avoir perdu la majorité parlementaire dont disposait son parti.
Theresa May a assumé la responsabilité de cet échec et juré de se rattraper, arguant : «Je suis celle qui nous a mis dans ce pétrin et je serai celle qui nous en sortira.» Dans un contexte où les spéculations sur son avenir politique vont bon train, la dirigeante du Parti conservateur se bat désormais pour former un gouvernement de coalition.
RT évoque ces élections et leurs répercussions avec Slavoj Zizek, directeur international de l’Institut Birbeck pour les sciences humaines.
RT :Theresa May semblait très sûre d’elle-même, la veille des élections. Comment expliquer cet échec ?
Slavoj Zizek (S.Z.) : Je crois que la seule chose que j'ai à dire est que ça a été un vrai miracle éthique et politique. La stratégie de Theresa May et du Parti conservateur était une politique de la peur : peur des terroristes, des immigrés, de l’Union européenne, etc. Un alarmisme quasiment obscène. Quand elle invoquait «la lutte contre le terrorisme », elle était prête à violer les droits de l’Homme. Ce qui relève de la politique contemporaine typique de la plupart des pays occidentaux.
C’est un signe formidable d'un point de vue éthique, cela montre que les gens ne peuvent être aussi si simplement manipulés
RT : L’exacerbation de la peur est un procédé qui, généralement, fonctionne. Pourquoi cela n'a-t-il pas été le cas cette fois-ci?
S.Z. : Jeremy Corbyn [...] a fait campagne d’une manière admirablement naïve. Il a ignoré tout [l'alarmisme de May], il n’a pas surenchéri sur ce terrain. Il s’est tout simplement adressé aux gens ordinaires, avec leurs préoccupations quotidiennes : la santé publique, les emplois, l’enseignement. Il a abordé ces questions. [...] C’est un signe formidable d'un point de vue éthique, qui démontre que les gens ne peuvent être si simplement manipulés.
R.T. : Corbyn s’est adressé aux gens ordinaires, Theresa May à l’élite et à la classe politique, c'est cela ?
S.Z. : Oui, mais elle n'agissait pas ainsi ouvertement. Elle a fait semblant de se préoccuper des gens ordinaire. Comment ? En manipulant leurs peurs. Corbyn n’est pas entré dans ce jeu. Savez-vous que le terme de «majorité morale» est associé au parti conservateur ? Pour moi, ces élections britanniques ont prouvé que c'était désormais le contraire. Ce sont les élites conservatrices au pouvoir qui sont décadentes, et c’est la gauche moderne qui représente aujourd’hui une majorité morale.
Corbyn s’est adressé aux gens ordinaires, sans évoquer aucune de ces préoccupations ringardes et populistes
RT : On parle beaucoup de la montée du populisme aux Etats-Unis et en Europe. Quel rôle le populisme a-t-il joué dans les élections britanniques ?
S.Z. : Si par «populisme», nous entendons cet alarmisme ringard, visant à monter la population contre une catégorie ciblée d’ennemi, il n’y en a eu aucune trace dans l’attitude de Corbyn. Lui s’est adressé aux gens ordinaires, sans évoquer aucune de ces préoccupations ringardes et populistes.
RT : Certains sont surpris de voir que Corbyn a été capable de résister, après avoir subi tant de défaites ces derniers mois et une vaste campagne médiatique dirigée contre lui…
S.Z. : J’estime, paradoxalement, qu’il n’a pas réussi malgré cette campagne, mais bel et bien grâce à cette campagne. «Corbyn est djihadiste, il soutient les terroristes» : cela a eu l’effet inverse, les gens ont tout à coup pris conscience [de la manipulation].
RT : Pensez-vous que, dans une certaine mesure, les médias ont échoué dans leur objectif d’assurer une base plus solide à Theresa May?
SZ : Oui, mais c’est un miracle. Malgré cette stratégie très complexe, élaborée par des centaines des spécialistes en relations publiques, de spin doctors, la décence et la sagesse de la population ont prévalu. Cela n’a pas marché. Et c’est une preuve que, non, il n'est pas vrai que nous vivons dans une société totalement manipulée, où n’importe quoi peut être vendu dans le bon emballage. Cela donne de l’espoir.
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