Le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson a annoncé cette semaine que les Etats-Unis intensifieraient leur engagement militaire en Syrie et en Irak, ce qui risque, selon le journaliste Finian Cunningham, d’aggraver un peu plus la situation.
La feuille de route militaire présentée par Rex Tillerson risque d’aggraver un peu plus les problèmes des Etats-Unis.
L’aspect le plus problématique est peut-être que les forces américaines renforcent leur alliance avec les combattants kurdes dans le nord de la Syrie. Cela a de graves conséquences concernant une rupture avec un allié clé de Washington et de l’OTAN : la Turquie. Il existe aussi la menace d'une confrontation avec les forces du gouvernement syrien.
Rex Tillerson, haut responsable de la politique étrangère des Etats-Unis, s'est exprimé devant les leaders de la coalition de 68 pays dirigée par les Etats-Unis. Ils étaient réunis à Washington pour discuter du plan de lutte contre Daesh.
Rappelez-vous comment le président Trump avait promis, lors de sa campagne électorale, qu’il allait écraser Daesh – aussi efficacement qu'il assécherait le marais d’inefficacité qu'est Washington.
En tenant sa parole d’élaborer un plan pour vaincre le terrorisme, l’administration de Trump a annoncé cette semaine une intervention militaire en Syrie et en Irak beaucoup plus vigoureuse que celle observée sous la présidence Obama.
L’ironie est que si Barack Obama a passé huit ans à essayer de sortir les Etats-Unis du bourbier du Moyen-Orient créé par son prédécesseur, George W. Bush, Donald Trump semble maintenant se diriger en plein vers ce pétrin. Encore plus ironique : Trump avait saisi l'occasion de son discours d’investiture du 20 janvier pour déclarer que son administration mettait un terme au «nation building» et aux coûteuses interventions militaires à l’étranger.
Si l'on en croit ce que Rex Tillerson a annoncé cette semaine au cours du sommet de la coalition, il semblerait que les forces militaires américaines se préparent à occuper certaines régions en Syrie et en Irak sur le long terme. Tillerson a dit : «Le pouvoir militaire de la coalition restera là où le califat se trouvait afin de créer les conditions d'une reconquête complète de la tyrannie de Daesh.»
Ce que cela implique n'est pas ambigu. Les troupes américaines sont engagées, si non dans la construction de nations, au moins dans la construction de régions à l’intérieur de pays.
Les tentatives précédentes des Etats-Unis d’organiser des unités arabes sunnites n’ont pas été couronnées de succès – c'est le moins qu'on puisse dire
Le secrétaire d’Etat a ajouté : «Les leaders et gouvernements locaux feront avancer, avec notre soutien, le processus de rétablissement de leurs communautés après Daesh. Le développement d’une société civile redynamisée dans ces endroits conduira à un désenchantement envers Etat islamique et à l’établissement de la stabilité et de la paix là où il y avait autrefois chaos et souffrances. Mais rien de tout cela ne se produira automatiquement. Nous devons tous soutenir cet effort.»
Certes, tout cela ne pourrait être que du vent de la part de Washington, du vent qui disparaîtra dès que sa participation militaire deviendra pénible.
Néanmoins, la nouvelle administration américaine semble être embourbée profondément au Moyen-Orient.
Le signe le plus clair en a été l’évacuation massive par voie aérienne des insurgés kurdes à Raqqa, le bastion stratégique de l’Etat islamique en Syrie, qui a été effectuée cette semaine par les forces américaines. Ces événements vont évidemment bien plus loin que les déclarations du Pentagone selon lesquelles ses troupes ne sont au sol qu'en tant que conseillers militaires des combattants kurdes. Les forces américaines y sont intégrées dans le cadre de l’offensive prévue pour prendre Raqqa.
Et si les plans proposés par Rex Tillerson se réalisent, les troupes américaines resteront dans la région pour aider les Kurdes à mettre en place leur gouvernance. Et ce sera la même chose dans les autres régions du nord de la Syrie et de l’Irak, où les forces américaines sont déployées pour «libérer» le territoire de Daesh.
La Turquie affirme que les livraisons d’équipements militaires américains aux milices kurdes ont été accélérées. Cela signifie que Washington a décidé de soutenir pleinement les Kurdes en tant que force de combat la plus efficace contre les islamistes.
Les tentatives précédentes des Etats-Unis d’organiser des unités arabes sunnites n’ont pas été couronnées de succès, c'est le moins qu'on puisse dire.
Il semble à Ankara que les Etats-Unis sacrifient son alliance de longue date en prenant les armes en compagnie des Kurdes, ennemis jurés de la Turquie
Cependant, en fournissant un soutien aux Kurdes, l’administration de Trump risque de rompre avec la Turquie, membre de l’OTAN. Ankara a averti à maintes reprises d’une potentielle collision, si Washington continuait de coopérer avec les Kurdes. Les unités de protection du peuple kurde sont considérées par le gouvernement turc comme des terroristes affiliés à l'illégal Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), basé en Turquie.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et son parti craignent que les Kurdes syriens forment un Etat autonome dans le nord de la Syrie, qui, à son tour, contribuerait à renforcer les séparatistes kurdes en Turquie.
Lorsque la Turquie a lancé son opération «Bouclier de l’Euphrate» dans le nord de la Syrie en août 2016, la principale raison invoquée par Ankara était de contenir les militants kurdes et de les empêcher de s’ancrer autour de l’Euphrate.
Désormais, il semble à Ankara que les Etats-Unis sacrifient son alliance de longue date en prenant les armes en compagnie avec les Kurdes, ennemis jurés de la Turquie.
Reuters cite un haut responsable turc exaspéré : «Il semblerait que les Etats-Unis puissent mener cette opération avec les Unités de protection du peuple, et non pas avec la Turquie. Les Etats-Unis fournissent des armes à ces unités. Si cette opération est réalisée de cette manière, il y aura de graves conséquences pour les relations turco-américaines, car ces unités sont des organisations terroristes.»
Dans un rapport séparé, un autre haut responsable turc a déclaré qu’Ankara avait lancé un ultimatum : «Nos soldats ne combattront pas aux côtés de gens qui tirent sur nous, tuent nos soldats et essaient de nous tuer... Ce message est adressé aux Américains.»
Le président américain a déjà des difficultés à assécher le marais de Washington. La dernière chose dont il a besoin est de s’enliser plus profondément dans le bourbier du Moyen-Orient
La Turquie exige que les Etats-Unis soutiennent des milices arabes appartenant à la soi-disant «Armée syrienne libre». Mais l’expérience a démontré que ces groupes n'étaient pas fiables. En outre, tout semble déjà être décidé : Washington se dirige vers une collaboration avec les Kurdes.
Si la nouvelle administration américaine suit son plan de déploiement de troupes américaines pour consolider les zones autonomes, comme Rex Tillerson l’a indiqué cette semaine, la coopération américaine avec les Kurdes sera inévitablement sur le long terme. Cela va aggraver les tensions entre Ankara et Washington. Juste au moment où Erdogan espérait que l’administration de Trump pourrait être plus souple que celle d’Obama, avec laquelle elle ne s'entendait pas quant à la politique syrienne et la tentative de coup d’Etat en Turquie en juillet 2016.
Mais le potentiel marécage ne se limite pour Trump pas à cela. Le président syrien Bachar el-Assad a récemment prévenu que toute troupe américaine présente dans son pays serait considérée comme «agresseur».
Si les troupes américaines devaient mettre en place des missions de long terme pour aider les Kurdes près de Raqqa et dans le nord de la Syrie, la protestation de l'armée nationale syrienne face à la présence de force américaine dans le pays n'est qu'une question de temps. Assad et ses alliés russes et iraniens ont dit à maintes reprises que la souveraineté syrienne et son intégrité territoriale étaient inviolables.
Si Donald Trump essaie de s’assurer un succès politique au Moyen-Orient – et avouons-le, il doit obtenir quelques résultats, au regard de ses malheurs domestiques – son administration peut faire face à de multiples obstacles. De la part des Turcs, des Kurdes et des Syriens, sans parler des graves conséquences concernant la Russie, l’Iran et le Hezbollah.
Le président américain a déjà des difficultés à assécher le marais à Washington. La dernière chose dont il a besoin est de s’enliser plus profondément dans le bourbier du Moyen-Orient.
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