Le retrait des forces armées marocaines de la route reliant le Sahara occidental à la Mauritanie est-il «positif» ou de la «poudre aux yeux» ? Le politologue Mezri Haddad explique le contexte du dossier du Front Polisario.
RT France : Le roi du Maroc Mohammed VI a annoncé le 26 février avoir ordonné un «retrait unilatéral» de ses forces armées d'une route reliant le Sahara occidental à la Mauritanie. Que cela signifie-t-il pour le Sahara occidental ?
Mezri Haddad (M. H.) : Cette initiative du roi Mohammed VI, un retrait unilatéral de la zone de Guerguerat frontalière avec la Mauritanie, est selon moi à la fois un compromis diplomatique et un repli stratégique. Diplomatique, car deux jours avant le communiqué du 26 février des Affaires étrangères marocaines annonçant ce retrait unilatéral, le roi Mohammed VI s'était entretenu au téléphone avec le nouveau secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, pour «attirer son attention sur la situation grave» dans la zone, depuis plusieurs mois et particulièrement depuis le retour du Maroc au sein de l’Union africaine, il y a quatre semaines. Je suppose que le sens diplomatique de ce contact avec la plus haute autorité onusienne consistait à démontrer que pour éviter l’escalade et l’affrontement armé, le Maroc prenait l’initiative de se retirer de cette zone conflictuelle. Ce retour au sein de la famille africaine, comme d’ailleurs le retrait du Maroc de l’OUA en 1984, dénote le réalisme politique des dirigeants marocains, ainsi que leur sagacité de se glisser dans le sens de l’Histoire. C’est aussi un retour qui constitue évidemment un revers politique pour le Front Polisario et explique, par conséquent, sa tentation de revenir à la surenchère et à l’escalade dans l’extrême sud du Sahara marocain. D’où le second aspect, stratégique cette foi-ci : je me retire pour ne pas donner l’occasion aux chefs et militants du Front Polisario d’un affrontement direct avec les forces armées marocaines.
С’est l’instance onusienne qui avait décrétée, il y a quelques années et à la demande du Front Polisario et de ses alliés, l’organisation d’un référendum d’autodétermination, alors que le Maroc proposait un statut d’autonomie
RT France : L’ONU a salué la décision «positive» du Maroc. Est-ce effectivement positif dans le contexte du différend avec le Front Polisario ?
M. H. : Le communiqué du responsable onusien, le lendemain de l’entretien téléphonique entre le roi du Maroc et Antonio Guterres, exhortant les deux parties à retirer leurs troupes de la zone tampon le plus rapidement possible, confirme précisément le flair diplomatique que je viens de vous indiquer. Cela est-il positif ? Oui, je le pense, puisque le Maroc désamorce ainsi par anticipation un face à face physique entre son armée et le Polisario, que celui-ci cherche implicitement à provoquer, pour la simple raison que depuis le «printemps» dit arabe et ses conséquences politiques et géopolitiques au Proche-Orient et au Maghreb, le dossier du Sahara occidental n’était plus prioritaire dans la diplomatie internationale et au sein de l’ONU. Il faut rappeler que c’est l’instance onusienne qui avait décrétée, il y a quelques années et à la demande du Front Polisario et de ses alliés, l’organisation d’un référendum d’autodétermination, alors que le Maroc proposait plutôt un statut d’autonomie, considérant cette zone comme étant «ses provinces du sud», autrement dit comme une parcelle intégrante et inaliénable de son territoire national.
Avec tout ce qui se passe maintenant dans toute la région et pas seulement dans cette zone de tension, la moindre étincelle peut entraîner un embrasement total
RT France : Le Front Polisario affirme que le recul du Maroc n'est que de la «poudre aux yeux» qui masque le refus du royaume de négocier. Etes-vous d’accord ? Pourquoi ?
M. H. : Cette réaction du Front Polisario peut se comprendre, puisque le but de ses dernières manœuvres était de remettre le dossier du Sahara occidental sur la table des négociations et d’en refaire une priorité onusienne et multilatérale. Il me semble au contraire que le Maroc est porté à la négociation plutôt qu’à l’affrontement, d’autant plus qu’avec tout ce qui se passe maintenant dans la région, et pas seulement dans cette zone de tension, la moindre étincelle peut entraîner un embrasement total. C’est que la situation n’a plus rien à voir avec celle qui prévalait dans les années 1980 et 1990. Aujourd’hui, le terrorisme islamiste menace indistinctement le Maroc, l’Algérie, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, la Tunisie… sans parler de la Libye qui reste une poudrière. Sa déflagration impactera forcément l’ensemble de ces pays et même l’Europe, ne serait-ce qu'avec une vague migratoire encore plus forte que l’actuelle et aussi par la multiplication des actions terroristes. Malgré le grand changement politique aux Etats-Unis, avec l’arrivée d’un président isolationniste, souverainiste et aux antipodes du «droit d’ingérence» cher à quelques imposteurs, certaines monarchies du Golfe, qui soutiennent les Frères musulmans, et certains Etats européens qui croient à l’islamisme «modéré», ne désespèrent pas de provoquer un «printemps arabe» en Algérie, qui y a fort heureusement résisté ces six dernières années. C’est pour vous dire que le contexte historique, comme la géopolitique et les enjeux stratégiques ont complètement changé. C’est pour vous dire aussi que l’ensemble des protagonistes du conflit du Sahara occidental ont tout intérêt à trouver un terrain d’entente pour éviter le pire.
Aujourd’hui et plus que jamais, ce Maghreb a besoin d’unité et plus jamais de division
RT France : Et quelles seront les solutions au problème du Sahara occidental selon vous ?
M. H. : Même si la légitimité historique, sociologique et culturelle du Maroc sur cette ancienne colonie espagnole est de mon point de vue indiscutable, la solution ne peut-être que dans le dialogue politique, la négociation diplomatique, la realpolitik et, surtout, une prise de conscience commune des nouvelles menaces. Comme je viens de vous le dire, tous les protagonistes ont intérêt à se mettre d’accord sur un modus vivendi et un modus operandi, pour trouver une issue politique à ce conflit qui n’a que trop longtemps duré et qui a empêché l’Union du Maghreb arabe de devenir une entité politique, économique, énergétique, diplomatique, militaire et géopolitique agissante et surtout invincible, face aux nouveaux périls terroristes qui menacent les cinq pays de l’Union du Maghred arabe [UMA], et face aussi aux tentations néocolonialistes de certaines puissances occidentales. C’est cette question du Sahara occidental qui a été le principal Talon d’Achille et pomme de discorde pour l'UMA. Aujourd’hui et plus que jamais, ce Maghreb a besoin d’unité et plus jamais de division. Les chefs d’Etats responsables et visionnaires doivent répondre aux aspirations des peuples à l’unité et renouer avec les idéaux des pères fondateurs de la lutte pour l’indépendance…et pour l’Unité du Maghreb : les Tunisiens Habib Bourguiba et Moncef Bey, les Marocains Mohammed V et Allal el-Fassi, les Algériens Messali Hadj et Malek Bennabi, les Libyens Omar el-Mokhtar et Mohamed Idriss el-Senoussi. Il faut parfois savoir regarder et méditer l’Histoire pour penser le présent et bâtir l’avenir.
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