Le Maroc menace l’Europe d'une «reprise des flux migratoires» si l'UE ne respecte pas l'accord agricole. Le politologue Mustapha Tossa avertit que cela peut aller loin, le Maroc ne souhaitant pas céder aux pressions des «agitateurs de Bruxelles».
RT France : Le Maroc estime que si l'UE poursuit sa politique actuelle et ne respecte pas l'accord agricole conclu entre Bruxelles et Rabat, cela pourrait avoir des conséquences sur «la reprise des flux migratoires». Que signifie cette mise en garde pour l’UE ?
Mustapha Tossa (M. T.) : Cela signifie que le Maroc n’est pas prêt à revenir et à avoir des relations économiques et politiques tendues avec l’UE. Depuis le dernier jugement de la Cour européenne qui a invalidé la demande du Front Polisario et un certain nombre de prétentions [opposées à la mise en pratique de l'accord agricole], les Marocains croyaient que le dossier était clos, qu’il fallait tourner la page et passer à autre chose. Or, le constat est que cette relation Maroc-UE est susceptible d’être perturbée par un certain nombre d’événements extérieurs. A lire le communiqué marocain, on a l’impression qu'un avertissement a été donné à l’application de l’accord agricole sur l’ensemble du territoire marocain, le signal qu'il ne faut pas céder aux pressions des uns et des autres, aux arguties administratives et politiciennes. Il faut un exercice de clarté de la part de l’UE dans sa relation économique pleine et totale avec le Maroc, c’est ce que le Maroc demande.
Il y a le risque de suspendre encore le dialogue économique et politique avec l’UE et de retomber dans une nouvelle crise
RT France : Quelles seront les conséquences de cette mise en garde ? La relation que vous mentionnez pourra-t-elle être rétablie ?
M. T. : Il y a le risque de suspendre davantage le dialogue économique et politique entre Rabat et Bruxelles, de retomber dans une nouvelle crise. L’avertissement marocain montre à quel point Rabat est disposé à conserver ce traité historique. En même temps, si demain la relation UE-Maroc est perturbée par l’intervention de quelques agitateurs de Bruxelles, et que Bruxelles accorde de l’importance à leur agitation, le Maroc se réserve le droit de revoir l’ensemble des moyens de sa coopération avec l’UE, le droit de se trouver d’autres partenaires économiques et d’autres pistes économiques pour sa prospérité et celle de ses citoyens.
RT France : Où en sont les relations entre le Maroc et l'UE après cette mise en garde de Rabat ?
M. T. : On en est encore au stade de l’avertissement et de messages presque codés. Il est question de montrer une mauvaise humeur, d'alerter sur les possibles évolutions. On n’en est pas encore à la crise, au gel de la relation et à la rupture. Rabat alerte Bruxelles sur un certain nombre de comportements possibles et sur la disponibilité de certains interlocuteurs européens à ouvrir leur porte à certaines agitations. Cela peut avoir une conséquence grave sur la relation avec l’UE. C’est le sens même de cet avertissement qui donne l’alerte avant que la crise réelle et structurelle n’arrive.
L’UE doit comprendre que le temps de jouer à l’apprenti-sorcier ou d'avoir des postures politiciennes est révolu et que cela peut avoir des conséquences graves
RT France : Le Maroc signale aussi que toute entrave à l’application de cet accord porterait directement atteinte à des milliers d’emplois d’un côté comme de l’autre, dans des secteurs extrêmement sensibles. Qu'en sera-t-il pour les travailleurs marocains ?
M. T. : L’accord le plus visé, c’est l’accord de pêche qui fait travailler énormément de citoyens européens et marocains. Si demain on le gèle, on le revoit ou on le suspend, cela aura clairement des conséquences particulièrement désastreuses sur le marché du travail, sur l’agro-alimentaire, sur un certain nombre de filières. Cela impactera aussi de manière très négative les économies de certains pays européens et aussi du Maroc, et même au-delà, des citoyens africains. C’est un avertissement pour montrer que l’UE doit avoir un comportement clair et être consciente des intérêts vitaux des uns et des autres et que le temps de jouer à l’apprenti-sorcier ou d'avoir des postures politiciennes est révolu car cela peut avoir de graves conséquences.
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