Le Premier ministre slovaque a appelé les dirigeants européens à mettre fin aux scrutins par référendum qui peuvent menacer l'Europe. Pour le politologue Matthew Goodwin, cette «déclaration condescendante» est un aveu du déficit démocratique de l'UE.
RT : Le Premier ministre de la Slovaquie Robert Fico a demandé le 2 janvier aux dirigeants des pays membres de l'Union européenne «de mettre un terme à leurs scrutins aventureux comme les référendums au Royaume-Uni ou en Italie sur des questions nationales qui pourraient menacer l'Europe.» Est-ce démocratique de demander aux dirigeants de ne plus recourir à un vote censé représenter la volonté du peuple ?
Matthew Goodwin (M. G.) : Il est intéressant de souligner que le Premier ministre slovaque parle «d'aventures» pour décrire le fait de demander aux citoyens de s'exprimer sur des sujets précis et locaux. Nous avons vu en Europe - aussi bien au Royaume-Uni qu'en Hongrie - que les référendums avaient été lancés pour permettre au peuple de donner son avis sur différentes questions. La réponse donnée par les citoyens a mis les élites européennes dans l'embarras. Leur réaction consiste désormais à appeler à la fin de ce type de scrutin, ce qui a pour conséquence principale de faire sortir les citoyens des débats politiques. C'est pour moi un aveu clair du déficit démocratique au cœur même des institutions européennes.
La position de Robert Fico implique que l'on doit désormais marginaliser l'opinion publique au profit de l'Union européenne
RT : Robert Fico décrit les référendums sur des questions nationales comme une menace. Pourquoi des questions à l'échelle d'un pays peuvent-elles être vues comme dangereuses ? Pourquoi refuser toute souveraineté des Etats ?
M. G. : Ses propos interviennent après une série de scrutins en Europe, dont notamment le référendum italien, où l'instabilité politique qui fait suite au résultat peut mettre en péril l’euro-zone. En clair, le Premier ministre slovaque explique qu'aucun référendum sur des questions nationales ne devrait être permis quand il pourrait potentiellement toucher l'intégrité de l'UE. Cette position implique que l'on doit désormais marginaliser l'opinion publique au profit de l'Union européenne. C'est une priorité donnée à l'UE sur la volonté des peuples. Or cela intervient au moment-même où l'Europe souffre d'un manque de légitimité aux yeux des électeurs, qui, ces dix-quinze dernières années, ont perdu de plus en plus confiance non seulement en l'UE et son parlement mais également en ses dirigeants nationaux. Si vous voulez mon avis, une telle déclaration condescendante envers les citoyens n'est pas très constructive en cette période de crise dans la construction européenne.
La colère est particulièrement forte chez les électeurs qui viennent de passer deux décennies difficiles au sein de l'UE
RT : A en croire les résultats des derniers référendums, les citoyens lambda ne soutiennent plus vraiment l'UE et ses politiques : le référendum grec contre les réforme de la troïka, le Brexit... Que doit-on en retenir sur les sentiments des Européens vis-à-vis de leurs institutions ?
M. G. : Il y a un phénomène politique qui est très clair et certainement clé face à cette défiance, c'est le soutien populaire grandissant pour des partis ouvertement nationalistes. Ces partis veulent offrir aux électeurs des référendums qui dans la plupart des cas remettent en cause l'adhésion à l'UE ou à l'euro et qui veulent revenir à des Etats-nations souverains. La plupart de ces mouvements politiques ont été encouragés par le vote pour le Brexit et par l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis. Ils utilisent ces victoires comme des arguments séduisants d'un retour du pouvoir dans les mains du peuple qui devrait avoir à choisir le destin de l'Europe.
Les institutions européennes répondront probablement à cela - on est déjà en train de le voir avec ce genre de déclaration - en essayant de repousser cette colère populaire. Le problème c'est que cette dernière est particulièrement forte chez les électeurs qui viennent de passer deux décennies difficiles au sein de l'UE. Ceux qui ont le sentiment qu'ils n'ont bénéficié ni de l'intégration économique, ni des revenus de la croissance de l’euro-zone. Ils se sentent aujourd'hui laissés pour compte par leurs dirigeants mais aussi par la tournure que prend la construction européenne.
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